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L’aménagement des courtes peines menacé pour le meilleur… mais surtout pour le pire

Critiqué, menacé, l’article 723-15 du code de procédure pénale qui permet l’aménagement des courtes peines avant leur mise à exécution a, il faut en convenir, bien des défauts. Mais aussi son utilité. L’abolir, comme le souhaite le président de la République, sans revoir le fonctionnement de la justice pénale dans son ensemble, c’est risquer une explosion du nombre d’emprisonnements pour des courtes durées.

L’article 723-15 du code de procédure pénale permet au juge de l’application des peines d’aménager les peines de prison inférieures à deux ans (un an en cas de récidive) prononcées par les tribunaux correctionnels, lorsque le condamné repart « libre » à l’issue de l’audience. Un article introduit par la droite en 2005 et modifié en 2009 pour désengorger des prisons qu’elle avait largement contribué à remplir : cette nouvelle disposition législative venait en effet ponctuer une décennie de lois toutes plus répressives les unes que les autres, dont les plus connues lois Perben et Loppsi II. D’une certaine façon, cet article permet aux magistrats de concilier deux injonctions contradictoires dont ils sont régulièrement la cible : accusation de laxisme et incitation à la fermeté d’un côté, indignation devant le surpeuplement carcéral et encouragement à davantage d’aménagements de peine de l’autre. Grâce à lui, les magistrats peuvent en effet prononcer des peines de prison ferme à l’audience sans pour autant placer la personne sous mandat de dépôt. La peine est alors aménageable – ce qui n’assure cependant pas qu’elle soit effectivement aménagée…

« Illisibilité des peines »

La principale critique qu’on oppose au « 723-15 » est sa tendance à brouiller les décisions de justice. « Il n’y a plus de lisibilité sur le prononcé des courtes peines d’emprisonnement : quelqu’un qui est condamné à moins de deux ans de prison, sauf en cas de mandat de dépôt *, ne sait pas comment il va exécuter sa peine : est-ce qu’il va partir en détention ? Porter un bracelet électronique ? Faire une semi-liberté ? À l’issue de l’audience, personne ne le sait », explique Ludovic Fossey, vice-président de l’Association nationale des juges de l’application des peines. Si le justiciable n’y comprend pas grand-chose, le président de la République non plus. Une incompréhension dont on prend toute la mesure lorsqu’Emmanuel Macron assène, dans un discours à l’université de Lille II, en mars 2017 : « Quand vous avez, de manière systématique, des peines inférieures à deux ans qui font l’objet, en quelque sorte, d’une absence de réponse, (…) c’est incompréhensible. » Sauf que, n’en déplaise au président, une peine aménagée reste une peine, qui plus est une peine exécutée.

Effets pervers

Pour Ludovic Fossey, « le 723-15 » aurait aussi un « effet pervers » : en déresponsabilisant les juges de siège, il « désinhibe le prononcé de courtes peines d’emprisonnement ». Il explique : « Comme les peines peuvent être aménagées après l’audience, les juges prononcent assez facilement du ferme en disant « de toutes façons, il verra le JAP, il n’ira pas en détention ». » Pour la chercheuse Virginie Gautron, l’article pourrait même avoir un deuxième effet pervers : celui de gonfler les quanta à l’audience. « Des magistrats qui veulent absolument que le condamné aille en détention vont peutêtre avoir tendance, pour s’en assurer, à prononcer une peine légèrement supérieure au seuil légal d’aménagement », s’aventure la chercheuse, précisant que cette hypothèse doit être vérifiée faute d’évaluation de la loi. Aussi, ce dispositif, qui devait à l’origine encourager les aménagements de peine, pourrait en réalité générer davantage de prison…

Et pourtant, sa suppression pure et simple est dangereuse

Pour autant, l’abolir comporte sans doute plus de risques encore. Car les habitudes ont la vie dure : habitués à prononcer de courtes peines de prison ferme, les juges risquent de poursuivre dans leur pratiques – ne serait-ce que parce qu’ils sont comptables de leur jurisprudence. Surtout, l’article avait fonction de soupape de sécurité, notamment dans le cadre des procédures rapides : dans l’urgence, les juges en sont souvent réduits à prononcer des peines qu’ils savent inadaptées, par manque de temps et d’informations sur les justiciables. Supprimer la possibilité de revenir sur cette décision sans corriger le système dans son ensemble, c’est courir le risque d’une explosion du nombre d’emprisonnements.

Par Laure Anelli

* Même si cette possibilité est très rarement utilisée, le tribunal correctionnel peut aussi prononcer une peine ferme avec mandat de dépôt tout en décidant, dès l’audience, qu’elle s’exécutera sous la forme d’une semi-liberté ou d’un placement sous surveillance électronique par exemple. Le condamné est alors incarcéré immédiatement et le JAP a cinq jours pour mettre en place l’aménagement de peine.