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Le «What Works?» et ses programmes cognitivo-comportementaux

Le courant du « what works ? » initié au Canada est à l’origine d’une multitude de recherches sur l’efficacité de la réponse pénale et des méthodes de suivi sur la prévention de la récidive. Il a généré de nombreux programmes présentant des résultats de 30 à 60 % de diminution de la récidive. Reconnu pour sa rigueur scientifique, le « what works ? » montre néanmoins des limites dans son appréhension de l’auteur d’infraction comme seul porteur de risques, avec des conséquences en termes d’implication de la personne dans le suivi et de taux d’abandon en cours de programme.

Courant de recherche à l’origine de la plupart des outils d’évaluation et programmes de suivi développés dans le monde occidental, le « what works ? » vise à établir « ce qui marche, pour qui, et à quelles conditions » en matière de prévention de la récidive. Quatre chercheurs (Andrews, Bonta, Gendreau et Ross) l’ont initié au début des années 1980, en réaction à un article publié en 1974 par le sociologue américain Robert Martinson, qui concluait que les programmes de réhabilitation des délinquants « avaient peu ou pas d’effet dans la réduction de la récidive ». Une théorie rapidement surnommée « Nothing works1 », qui a fait le lit des politiques ultra répressives d’Amérique du Nord pendant plusieurs décennies, l’emprisonnement et la neutralisation étant dès lors confortés comme les seuls à même d’assurer la « protection civile ».

Des recherches inexistantes en France

Les méthodes utilisées par ces chercheurs sont comparables à celles utilisées par la recherche médicale. Il s’agit de mesurer à grande échelle ce qu’il advient d’un groupe de personnes suivant un traitement par rapport à un « groupe témoin » qui ne le suit pas. Norman Bishop, expert scientifique auprès du Conseil de l’Europe, explique que « l’efficacité de telle intervention chirurgicale ou tel médicament est mesurée de la même manière que l’effet de nos interventions avec les délinquants. Pour pouvoir déterminer si une intervention exerce des effets, et le cas échéant si ces effets sont positifs ou négatifs, nous utilisons de grands échantillons et des méthodes d’analyse statistique complexes, telles que la “Cox regression” (régression de Cox)2 ». Ce type de méthodes, inutilisées en France dans le domaine des sciences sociales, permet ainsi de mesurer les effets des réponses pénales, de « programmes pour délinquants » ou de méthodes de suivi moins structurées. Par exemple, ils vont jusqu’à étudier quel est le taux de récidive des personnes selon le temps consacré dans les entretiens avec leur agent de probation à tel ou tel aspect (respect des obligations, problématiques d’insertion, réflexion sur le passage à l’acte, etc.) ou selon la posture du professionnel (confrontative, motivationnelle, empathique…). Les résultats de ces recherches à très grande échelle viennent ainsi guider l’élaboration et la mise en œuvre des outils d’évaluation et des programmes de suivi sur la base de critères objectifs d’efficacité.

Autant de repères inexistants en France, où aucune pratique n’étant évaluée, personne ne sait, preuves à l’appui, ce qui est plus ou moins efficace à prévenir la récidive dans l’accompagnement des auteurs d’infraction. Sans compter que les résultats de la recherche internationale, qui pourraient d’emblée inspirer les politiques pénales et pénitentiaires en France, tout autant que les pratiques de suivi, s’avèrent largement méconnues dans l’Hexagone. C’est ainsi que les « programmes de prévention de la récidive » développés en France depuis 2007, tout autant que le « diagnostic à visée criminologique », ont été conçus sans référence à ces recherches. La plupart des praticiens ignore les travaux du « what works ? », qui ne leur sont pas enseignés. Les décideurs institutionnels et politiques s’avèrent encore moins informés, méconnaissant de manière plus générale ce que sont la probation, le milieu ouvert et le travail des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP).

Trois principes d’efficacité

Au terme d’années de recherche, le courant du «what works ? » est parvenu à dégager trois principes d’efficacité des interventions pénales, à partir desquels a été forgé le modèle des « risque-besoins-réceptivité » (RNR – « Risk, Needs, Receptivity »).

Le principe du risque « indique qui doit être traité (le délinquant à risque plus élevé) » : il a été démontré que pour être efficace, le système pénal doit prévoir un suivi intensif pour les personnes présentant le plus de risques, mais aussi se garder d’intervenir auprès des personnes présentant un faible risque, car elle aurait alors plutôt tendance à l’accroître3. A titre d’exemple, une évaluation d’un programme canadien réalisée en 2000 a montré que « les délinquants à faible risque qui recevaient un traitement minimal affichaient un taux de récidive de 15 % », multiplié par deux (32 %) pour ceux d’entre eux ayant fait l’objet de « services intensifs ». Quant aux « délinquants à risque élevé », leur taux de récidive était de 51 % s’ils ne bénéficiaient pas de « services intensifs » et de 32 % pour ceux en ayant bénéficié4. Si le principe peut sembler évident, sa mise en œuvre l’est beaucoup moins. Il a notamment été montré que « d’énormes pressions sont exercées pour que les ressources soient centrées sur les délinquants à risque plus faible », qui sont généralement « plus coopératifs et plus motivés à se conformer aux exigences du traitement ». Pour évaluer le niveau de risque, les professionnels doivent, selon les mêmes recherches, être dotés d’outils de type actuariel qui « donnent de meilleurs résultats que le jugement clinique ou professionnel lorsqu’il s’agit de prédire le comportement5 ».

Le principe des besoins « indique ce qui doit être traité (les facteurs criminogènes)»: il s’agit d’identifier les besoins directement liés à la délinquance, dits facteurs criminogènes, et de les cibler dans l’accompagnement. Là encore, des recherches à grande échelle ont permis d’établir les sept principaux facteurs favorisant la récidive :

1. «Attitudes et croyances approuvant le comportement délinquant » : il s’agit de tout ce qui, dans la manière de penser et d’appréhender la réalité, vient justifier et encourager le fait de commettre une infraction ;

2. Environnement relationnel et social « soutenant le comportement délinquant » : pairs, famille, quartier encourageant l’inscription dans la délinquance… ;

3. Toxicomanie, addictions: dépendance à l’alcool ou à une drogue ;

4. Problème de personnalité dit antisocial : tendance à l’impulsivité, agressivité, fébrilité, irritabilité… ;

5. Problèmes familiaux/conjugaux: surveillance parentale déficiente, mauvaises relations familiales, contextes de séparation, divorce, disputes…

6. Problèmes d’insertion professionnelle : manque de formation, absence d’emploi ou insatisfaction au travail ;

7. Absence de loisirs et activités «prosociales»: activités récréatives, associatives, implication dans la vie locale… 6.

La présence de ces « facteurs de risque » doit non seulement être évaluée pour mesurer un niveau de risque, mais l’importance de chaque facteur pour une personne permettre de définir les aspects sur lesquels agir pour diminuer les risques.

– Le principe de la réceptivité « aide à déterminer comment doit se faire le traitement ». Il s’agit là « d’optimiser la capacité du délinquant à tirer les enseignements d’une intervention réhabilitante en l’adaptant à son style d’apprentissage, à sa motivation, à ses aptitudes et points forts ». « Presque tout le monde a entendu parler du conseil pédagogique invitant les enseignants à varier leurs méthodes d’enseignement afin de tenir compte à la fois des étudiants visuels et des étudiants auditifs », expliquent les auteurs. Par exemple, si le probationnaire « possède des aptitudes verbales limitées et un style de pensée concrète, le programme doit utiliser le moins de concepts abstraits possible et faire plus de place à la pratique comportementale qu’à la discussion7 ».

Lorsque le traitement correctionnel adhère aux principes RBR, des réductions de la récidive sont invariablement observées. L’ampleur de l’effet (…) correspond à des réductions de la récidive situées entre 30 et 60 %.

Programmes cognitivo-comportementaux

De manière générale, les chercheurs ont relevé une meilleure « réceptivité » aux « méthodes cognitives de l’apprentissage social » ou techniques cognitivo-comportementales, considérées comme les plus efficaces « quel que soit le type de délinquant8 ». Ils ont dès lors développé avec le Service correctionnel du Canada (SCC) toute une gamme de programmes pour différents types de délinquance et niveaux de risque de récidive, dont l’essentiel relève de l’enseignement de techniques cognitivo-comportementales devant permettre aux participants de modifier leur appréhension des situations et d’agir autrement. A titre d’exemple, citons les programmes de prévention de la violence familiale (d’intensité élevée ou modérée), ainsi qu’une intervention préparatoire à ces programmes et un programme de « maintien des acquis ». Le programme d’intensité modérée concerne des « délinquants de sexe masculin qui, d’après les évaluations, présentent un risque modéré de violence dans leurs relations de couple ». Il comprend 29 séances de groupe (2h-2h30) et au moins trois séances individuelles (environ une heure), pour un total de 75 heures. Les six modules « sont conçus pour motiver le délinquant, lui donner de l’information, l’aider dans sa prise de conscience et lui faire acquérir des compétences dans une série d’étapes » :

Module 1 : Renforcement de la motivation

. Améliorer la compréhension, l’intérêt pour le programme et la motivation à l’égard du changement ;

. Définir des objectifs à évaluer tout au long du programme.

Module 2 : Sensibilisation et éducation

. Faire connaître la dynamique de la violence familiale et y sensibiliser les participants ;

. Présenter les facteurs qui contribuent à la violence familiale ;

. Étudier l’origine des schèmes de comportement violent ;

. Étudier le rôle de la culture et des sous-cultures dans la formation des attitudes et des valeurs ;

. Comprendre les effets des comportements violents sur les partenaires et les enfants et améliorer la compréhension des schèmes des relations saines et de celles qui sont empreintes de violence.

Module 3 : Gestion des pensées et émotions liées aux comportements violents

. Illustrer le lien entre les opinions irrationnelles, les attitudes négatives et les émotions fortes qui mènent à des comportements de domination ou de violence (modèle ABC) ;

. Montrer des schèmes de pensée différents ;

. Inculquer des techniques de maîtrise de soi pour gérer les émotions liées aux comportements violents.

Module 4 : Aptitudes sociales

. Enseigner des compétences en communication ;

. Enseigner la négociation ;

. Enseigner la résolution de conflits.

Module 5 : Gestion des rechutes

. Étudier les facteurs personnels de risque et les situations à haut risque de comportement violent ;

. Montrer des moyens de faire face à des situations à risque élevé ;

. Élaborer des plans personnels de prévention des rechutes et de gestion du risque.

Module 6 : Relations « saines »

. Intégrer toute l’information reçue au cours du programme ;

. Redéfinir les relations saines et le lien entre des relations de couple saines et un mode de vie équilibré ;

. Traiter des questions de relations familiales et d’un exercice constructif de l’art d’être parent.

Une influence mondiale

Ce modèle RNR constitue aujourd’hui la base de toute intervention correctionnelle au Canada. Il fait également office de référence dans le monde anglo-saxon (États-Unis, Grande-Bretagne, Australie…), où de nombreux outils d’évaluation et programmes de suivi ont été « importés », tout comme dans des pays tels que la Suède, les Pays-Bas, l’Espagne… Les Règles européennes relatives à la probation (REP) y font explicitement référence lorsqu’elles recommandent d’évaluer, en début de suivi, la situation de l’auteur d’infraction « y compris les risques, les facteurs positifs et les besoins, les interventions nécessaires pour répondre à ces besoins ainsi qu’une appréciation de la réceptivité de l’auteur d’infraction à ces interventions9 ». Les chercheurs du « what works ? » sont parvenus à convaincre en avançant des résultats positifs à grande échelle : en 2009, il était relevé que « plus de 50 méta-analyses ont examiné l’efficacité des principes risque-besoins-réceptivité lorsqu’ils sont appliqués auprès des délinquants adultes et juvéniles, des femmes délinquantes, des délinquants provenant de minorités ethniques, des délinquants violents et des délinquants sexuels (Hollin et Palmer, 2006). Les résultats montrent que lorsque le traitement correctionnel adhère aux principes RBR, des réductions de la récidive sont invariablement observées. L’ampleur de l’effet [...] correspond à des réductions de la récidive situées entre 30 et 60 %. En termes de signification clinique, il importe de souligner que les ampleurs de l’effet évaluées par les méta-analyses du traitement correctionnel sont tout à fait comparables, voire dans certains cas supérieures, à celles d’interventions médicales bien crédibles telles que l’usage d’aspirine et du pontage coronarien pour réduire le risque de crise cardiaque (Lipton, 1992, 1995 ; Marshall et MacGuire, 2003) » 10.

Des critiques à l’origine de nouveaux courants…

Pour autant, l’application du modèle RNR comporte certaines dérives et suscite de plus en plus de critiques de la part de chercheurs et de praticiens ces dernières années. L’une des limites de cette approche est d’appréhender l’auteur de l’infraction sous le seul prisme des risques qu’il présente, et la réponse pénale sous le seul angle de la réduction de ces risques. L’application des programmes RNR à grande échelle tend également à appliquer de manière mécanique des programmes à des publics de plus en plus importants, avec une perte d’adaptation du suivi à chaque personne. Dès lors, des déficiences sont observées en termes de renforcement de la motivation et de l’implication des participants, avec des taux d’abandon parfois très élevés. Les critiques les plus couramment développées à l’égard du RNR sont ainsi résumées par des chercheurs en psychologie clinique de l’Université de Liège (Belgique) :

. «La centration exclusive sur la protection de la communauté sans aucune considération pour le bien-être de l’individu » : il s’agit en effet de réduire les risques en n’intervenant que sur les facteurs en lien avec l’infraction et non sur d’autres besoins importants pour le bien-être de la personne (tels que l’état psychologique d’anxiété, dépression, etc.) ;

. « La réduction de l’individu à un ensemble de facteurs de risque»: la personne est appréhendée comme un être « porteur de risques et différente des non délinquants » ;

. « L’emphase excessive sur des éléments négatifs (apprentissage de listes de “ne pas… “) à la fois dans les cibles du traitement (difficultés, déficits et vulnérabilités telles que distorsions cognitives, attitudes négatives, intérêts sexuels déviants, etc.) et dans le langage employé par les intervenants (ex. : prévention de la récidive, modification de l’excitation sexuelle déviante, etc.) » ;

. « La négligence du rôle de l’influence de l’intervenant (personnalité, attitudes, etc.) » ;

. « Le manque de considération des facteurs contextuels en privilégiant une approche censée convenir à tout délinquant »11.

A partir de ces critiques, émergent de nouveaux courants de recherche, tels que celui de la « désistance », cherchant à intégrer davantage la motivation personnelle et la prise en compte de l’environnement social comme facteurs d’efficacité de l’intervention. Ou encore celui du « Good Lives Model », appréhendant l’infraction comme une manière socialement inadaptée de répondre à des besoins légitimes partagés par tout être humain. Ces courants ne rejettent pas en bloc le modèle RNR, mais ils cherchent à le compléter et l’enrichir d’autres dimensions et outils. Ces critiques et nouveaux courants gagnent en influence auprès des administrations chargées de la probation. Certains pays commencent à revenir sur l’idée d’appliquer massivement des programmes préformatés à de grands ensembles d’auteurs d’infraction, revenant à des suivis plus individualisés (« sur mesure »). Une nouvelle ère semble ainsi s’ouvrir, intégrant la rigueur scientifique du « what works ? » en lui ajoutant le supplément d’humanisme qui pouvait lui manquer. La France a raté l’ère du « what works ? », passera-t-elle également à côté celle de la « désistance » et du « Good Lives Model » ?

Sarah Dindo

1. P. Lalande, « Punir ou réhabiliter les contrevenants ? Du “Nothing works” au “what works”, dans La sévérité pénale à l’heure du populisme, ministère de la Sécurité publique du Québec, Canada, 2006.

2. N. Bishop, ancien chef des recherches à l’administration pénitentiaire et probationnaire suédoise, dans « Sursis avec mise à l’épreuve, la peine méconnue », S. Dindo, DAP/PMJ1, 2011.

3. J. Bonta, D.A. Andrews, « Modèle d’évaluation et de réadaptation des délinquants fondé sur les principes du risque, des besoins et de la réceptivité », ministère de la Sécurité publique, Canada, 2007.

4. J. Bonta, S. wallace-Capretta et R. Rooney, « A quasi-experimental evaluation of an intensive rehabilitation supervision program », Criminal Justice and Behavior, n° 27, 2000.

5. J. Bonta, D.A. Andrews, op.cit., 2007.

6. J. Bonta, D.A. Andrews, op.cit., 2007.

7. J. Bonta, D.A. Andrews, op.cit., 2007.

8. J. Bonta, D.A. Andrews, op.cit., 2007.

9. Conseil de l’Europe, Recommandation Rec (2010) sur les Règles du Conseil de l’Europe relatives à la probation, Règle n° 66, 20 janvier 2010.

10. F. Cortoni, D. Lafortune, « Le traitement correctionnel fondé sur les données probantes : une recension », in Criminologie, vol. 42, n° 1, 2009.

11. Geneviève Coco et Serge Corneille, « Quand la justice restaurative rencontre le Good Lives Model de réhabilitation des délinquants sexuels : fondements, articulations et applications », Revue Psychiatrie et violence, volume 9, numéro 1, 2009.