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Les autorités pénitentiaires ne peuvent pas saisir de manière discrétionnaire les écrits des détenus

Si la Cour européenne des droits de l’homme est aujourd’hui surtout connue pour sa lutte en faveur de conditions de détention dignes, il ne faudrait pas réduire son domaine de compétence à ce seul contentieux. Elle peut agir sur tous les droits protégés par la Convention européenne des droits de l’homme, dont la liberté d’expression. C’était le cas dans l’affaire Sarıgül.

M. Sarıgül était détenu au centre pénitentiaire d’Erzurum, en Turquie, écrivait un roman quand l’ébauche, destinée à sa famille en vue d’une publication, a été saisie par les autorités pénitentiaires. Motif ? Le manuscrit « contenait des mots et phrases gênants selon la grille de vérification » habituellement utilisée par l’administration pénitentiaire. Bien que M. Sarıgül ait pu finalement obtenir la restitution de son ouvrage à l’issue d’une procédure pénale, il a saisi la Cour de Strasbourg, qui a condamné la Turquie pour violation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. Si les juges strasbourgeois acceptent le principe d’un contrôle des écrits des détenus (qu’il s’agisse comme ici de l’ébauche d’un roman, ou, plus habituellement, de leur correspondance avec l’extérieur), ils rappellent que les modalités de ce contrôle doivent être prévues par un texte indiquant « avec suffisamment de clarté l’étendue et les modalités du pouvoir d’appréciation des autorités dans le domaine en cause » (confirmant ici la solution de l’arrêt Tan c/ Turquie du 3 juillet 2007). La saisie avait en effet été opérée par la commission disciplinaire de l’administration pénitentiaire en précisant seulement que le texte en question contenait « des mots et phrases gênants », en application d’une grille de vérification préétablie par l’administration, dont la portée et le contenu n’avaient pas été explicités au requérant (le juge de l’exécution d’Erzurum précisera par la suite que le roman « soutenait le séparatisme kurde et faisait la propagande de cette idéologie » et « que plusieurs passages du manuscrit litigieux glorifiaient une organisation illégale et insultaient les forces de l’ordre »). La solution de l’arrêt Sarıgül dépasse évidemment le seul cas des établissements pénitentiaires turcs, puisque les arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l’homme ont toujours vocation à s’appliquer aux quarante-sept États membres du Conseil de l’Europe. À cet égard, la situation française ne semble guère conforme aux exigences européennes qui imposent que les textes organisant le contrôle et l’éventuelle censure des écrits des détenus soient « prévisibles », en indiquant « avec suffisamment de clarté l’étendue et les modalités du pouvoir d’appréciation des autorités dans le domaine en cause ». L’article R57- 6-18 du Code de procédure pénale prévoit en effet que « la sortie des écrits faits par une personne détenue en vue de leur publication ou de leur divulgation est autorisée par le directeur interrégional des services pénitentiaires », qui peut retenir tout manuscrit « pour des raisons d’ordre » et ne le restituer à son auteur qu’au moment de sa libération. La marge d’appréciation accordée aux autorités pénitentiaires en la matière est excessive et l’on peut penser que la saisie d’un manuscrit rédigé par un détenu uniquement motivée par de telles « raisons d’ordre » aboutirait à une condamnation de la France par la Cour de Strasbourg.

— CEDH, 23 mai 2017, Sarıgül c. Turquie, n° 28691/05

par Jean-Manuel Larralde, professeur à l’Université de Caen-Normandie

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