Ce n’est pas le moindre des paradoxes de l’actuel garde des Sceaux, dont chacun se rappelle qu’il fut l’apôtre impuissant d’une « pause législative » en matière pénale lors de son arrivée place Vendôme, que d’aborder les derniers mois de son ministère en chantre de la réforme pénitentiaire. Quelle mouche a donc piqué Pascal Clément ?
En l’espace de deux mois, le ministre de la Justice, habituel pourfendeur des « belles âmes qui ne manquent pas sur ce terrain », a annoncé rien moins que la création d’un contrôle extérieur, le respect des règles pénitentiaires européennes ou l’extension des unités de visites familiales… sans oublier, des assurances quant à la gratuité de la télévision ou l’abaissement des prix de cantine. Autant de mesures qui vont concourir à n’en point douter à une sensible amélioration des conditions de détention et dont il faut souligner qu’elles avaient été renvoyées jusqu’alors aux calendes grecques. Par ce garde des Sceaux comme par ses prédécesseurs. D’une majorité à l’autre. D’aucuns, pourtant, s’interrogeant sur les motivations profondes de cette ardeur réformatrice, auront été frappés comme tout observateur attentif du processus de décision en politique… par la temporalité singulière de la communication ministérielle autour de ces diverses annonces.
avant le 20 octobre
Les annonces ministérielles se multiplient alors que l’on se rapproche de la date du 20 octobre 2006, autrement dit de la fin de l’acte I des États généraux… Le 29 septembre, Pascal Clément promet l’extension des unités de visites familiales aux établissements pour longues peines issus du nouveau programme immobilier et la généralisation de « parloirs familiaux » dans les maisons centrales existantes d’ici à 2008-2009. Le 13 octobre, le directeur de l’administration pénitentiaire, Claude d’Harcourt, annonce qu’une mission de réflexion est lancée sur l’application des règles pénitentiaires européennes dans les prisons françaises. Les jours suivants, le site du ministère de la justice s’enrichit d’un descriptif inédit de « La prison du XXIème siècle en France ». Le 19 octobre, soit la veille de la conférence de presse organisée par les États généraux pour rendre publics les résultats de leur consultation, Pascal Clément fait savoir qu’un « contrôle extérieur » des prisons va être confié au Médiateur de la République. Sans omettre de préciser qu’il « s’agira d’une structure étatique ayant une valeur officielle et incontestable »… contrairement à l’OIP qui, lui, « n’a que la valeur qu’on veut bien lui donner ». Il convoque par ailleurs la presse à l’heure même de la publication des résultats des États généraux, pour discuter « de la situation des prisons en France » qui, sans doute, ne pouvait être abordée ni une heure, ni un jour, ni une semaine plus tôt ou plus tard. Enfin, le matin du 20 octobre, à quelques heures de la prise de parole des États généraux, le garde des Sceaux est invité à débattre avec Robert Badinter à France Inter. Il déclare que le surcoût des produits vendus en « cantine » aux personnes détenues n’aura plus court en 2008 et que la télévision va devenir gratuite.
au lendemain du 20 octobre
Au vu de l’impact médiatique des résultats de la consultation, la stratégie de communication de la Chancellerie se modifie au soir du 20 octobre. Après la période des effets d’annonce, vient le temps fort de l’invective. Réunis à 19 heures sur l’antenne de France Inter, le directeur de l’administration pénitentiaire et le président de l’OIP se heurtent violemment lorsque Claude D’Harcourt évoque les raisons pour lesquelles Gabriel Mouesca fut emprisonné. Le 2 novembre, auditionné par la Commission des lois de l’Assemblée nationale, Pascal Clément réagit également aux démarches initiées par les États généraux. Il déclare s’en être tenu, « concernant l’enquête de l’Observatoire international sur les prisons, à une stricte neutralité », précisant au passage que « cette association, fondée par un ancien détenu pour crime, est de quelque parti pris, ce qui explique qu’aucun surveillant n’ait accepté d’y répondre ». Pour autant, il n’hésite pas à s’approprier la démarche, en affirmant à propos du questionnaire que c’est lui qui a « d’ailleurs dû, pour le faire distribuer dans les établissements, recourir au Médiateur de la République » !
jusqu’au 14 novembre
Alors que le 1er novembre débute sur l’antenne de Canal + la diffusion quotidienne de courts-métrages mettant en scène les dysfonctionnements récurrents de l’administration pénitentiaire, le ministère de la Justice prend acte de l’échec de ses tentatives de dénigrement et de récupération. Il décide d’occuper le terrain en faisant valoir son bilan. Sans surprise, ses programmes immobiliers reviennent au cœur de sa communication. Le 3 novembre, Pascal Clément visite « en grande pompes » le chantier de rénovation de la Maison de Fleury-Mérogis (Essonne). Pendant plus d’une semaine, entre les 8 et 16 novembre, Claude d’Harcourt et plusieurs directions régionales communiquent sur des éléments du programme immobilier pénitentiaire, pour la plupart déjà rendus publics : ouvertures d’établissements pour mineurs dans le Rhône et en Île-de-France en 2007 et 2008, commencement des travaux de construction de la prison de Corbas (Rhône) avant la fin du mois de novembre, début de la rénovation de la prison marseillaise des Baumettes (Bouches-du- Rhône) « dans les jours qui viennent », déblocage d’1,3 milliard d’euros pour le programme immobilier en Midi- Pyrénées et Languedoc-Roussillon, fermeture d’un nouveau bloc de la prison de la Santé (Paris), fermeture et remplacement dans les prochaines années des maisons d’arrêt de Rennes, Nantes, Alençon et du Mans, par des « établissements modernes qui comprendront davantage de salles de classe, de terrains de sport ou d’ateliers, propres à favoriser la réinsertion des détenus ». Enfin, le 14 novembre, au soir de la journée de clôture des États généraux et au moment même où Canal + diffuse le documentaire « La honte de la République », le ministère de la Justice décide d’occuper lui aussi les antennes télévisées. À sa façon. Dans les espaces publicitaires. En tentant de donner une seconde vie à un spot vantant le métier de surveillant pénitentiaire et à son slogan « La prison change, changez la avec nous ! ».
pour ne pas perdre la face
Ne nous payons pas de mots. Que signifie l’instauration d’un contrôle extérieur des prisons si les droits des personnes détenues dont l’application serait désormais évaluée ne sont pas connus ni même reconnus ? Que signifie de déclarer faire siennes les Règles pénitentiaires européennes si on annonce dans la foulée que certaines ne pourront être mises en œuvre et que d’autres ne sont pas souhaitables ? Que signifie d’affirmer que « l’humanité » impose d’ « assurer la continuité des liens familiaux en détention » lorsqu’aucune unité de visites familiales dont on annonce la généralisation ne sera mise en place au sein des maisons d’arrêts, là où sont incarcérés trois détenus sur quatre ? Que signifient des promesses concernant la gratuité de la télévision ou l’abaissement des prix de cantine si elles ne sont pas suivies d’effet ? Pascal Clément s’est suffisamment exprimé sur le dossier pénitentiaire pour débarrasser qui que ce soit de la moindre illusion quant à la philosophie réformatrice qui l’anime. Il a expliqué une fois, dix fois, cent fois que la meilleure façon d’en finir avec les problèmes récurrents que posent les prisons consistait à en construire davantage. Mille fois, il a complaisamment alimenté la plus dangereuse des confusions en mettant en avant le sort des victimes quand il était interpellé sur celui réservé aux prévenus comme aux condamnés dans les geôles de la République. Il est le dernier convaincu de la très honorable place qu’occupent les prisons françaises en comparaison de celles de nos voisins européens. Alors que se manifeste un engagement politique quasi unanime autour de la nécessité de réformer l’institution carcérale au point d’en réviser tous les fondements, les démarches de l’actuel garde des Sceaux apparaissent pour ce qu’elles sont. Elles témoignent des dernières lignes de résistance, de moins en moins en mesure de s’opposer à une évolution inéluctable des consciences encouragée par toutes les instances de protection des droits de l’homme. Celle qui, quels qu’aient été les actes commis, n’accepte plus de justifier qu’un individu soit privé en conséquence de sa qualité d’être humain d’une part, de citoyen à part entière d’autre part. Celle qui, dans le rapport de l’auteur de l’infraction à la victime, n’attend plus rien d’une sanction qui administre une souffrance supposée compensatrice. Celle qui, dans la relation du détenu à son gardien, admet que leurs sorts étant indéfectiblement liés, l’amélioration de la vie quotidienne de l’un influe directement sur les conditions de travail de l’autre.
Par Patrick Marest