Le comédien, écrivain et dramaturge Olivier Brunhes a commencé à intervenir en prison en 2010. En décembre 2015, il présentait une pièce montée avec des détenus de la maison d’arrêt d’Osny. Au terme de trois mois de travail, deux d’entre eux (1) ont ainsi pu se produire sur la scène nationale de Cergy-Pontoise.
Olivier Brunhes tire le bilan de ces cinq années d’expérience en détention.
La première fois que je suis entré en détention, c’était à la maison d’arrêt de Villepinte. Je devais y faire du théâtre. L’écriture et la mise en scène d’un spectacle. Ma seule motivation était de pouvoir pénétrer une réalité inconnue, à forte emprise fantasmatique sur l’ensemble de la société. De l’enfance à la vieillesse, chez les riches comme chez les pauvres, chez les voleurs comme chez les gendarmes, les questions de punition, de cachot, d’isolement, l’idée d’un bouillon de culture criminel existe, alimente les imaginations. Il n’est qu’à lire les contes pour enfants.
Globalement, j’étais arrivé à saturation des réponses préfabriquées de la pensée bien ordonnée. Le milieu artistique institutionnel ne m’offrait plus de jaillissements imprévisibles, bouillonnants, vibrants. Je m’étais précédemment aventuré du côté de ce qui est appelé le “handicap mental”. J’avais déjà écrit avec des “pas pareils”, et ces “pas pareils” m’avaient ouvert des horizons éblouissants. Je me suis donc “fondu” en détention, aidé en cela par le fait d’avoir grandi dans une HLM de Villeneuve-la-Garenne. Comme si je retrouvais de jeunes cousins. Les détenus m’identifiaient comme un qui s’en serait sorti. Sorti de quoi ? La réalité que j’ai rencontrée derrière les murs m’a souvent fait penser à une sorte de poubelle de la société. L’endroit où l’on parque ce qu’on ne veut pas voir, ceux avec lesquels on ne veut pas parler, ceux qu’on cherche à éliminer du paysage. Je partageais souvent, avec les détenus, des réflexions autour de la violence, de la souffrance, du bien et du mal, du sexe, de l’ivresse, de l’argent. Bref, on partageait, puis on écrivait cash… Je n’étais pas là pour faire de la morale, mais pour entendre.
Je ne peux pas juger de ce que j’ai apporté aux hommes que j’ai croisés à Villepinte et à Osny (je ne suis intervenu que dans des prisons d’hommes). Un ancien détenu a intégré ma troupe… avant d’être incarcéré à nouveau… Son retour derrière les barreaux m’a confirmé que mon apport, en dépit du contrat professionnel que je pouvais proposer à un moment, n’était que de l’ordre de l’esprit. L’art ne peut rien résoudre à la place des êtres.
Pour les détenus comme pour moi, à égalité, je ne peux parler que de la chance de se croiser un jour. De se faire confiance. De pouvoir livrer, délivrer du fond. Enfin, pour les détenus, le soulagement me semblait palpable de ne pas subir de rapport de domination, dans notre temps de partage. Je ne suis pas professeur, je ne me considère ni mieux, ni moins bien que les personnes que j’ai rencontrées en détention. Chacun doit résoudre les questions soulevées par sa trajectoire –moi compris. »
Par Olivier Brunhes
(1) Sur huit initialement prévus, le climat sécuritaire post-attentats du 13 novembre ayant entravé l’octroi des permissions de sortir.