Vingt-deux ans après la réforme de la santé en prison, qui prévoit un accès aux soins équivalent à celui de la population générale, un récent rapport dresse un nouvel état des lieux de la prise en charge sanitaire en détention. Chargées d’évaluer le plan d’action stratégiques 2010-2014 relatif à la politique de santé des personnes placées sous main de justice (1), les inspections générales des affaires sociales (IGAS) et des services judiciaires (IGSJ) pointent de nombreuses carences dans son application.
« En dépit des progrès réalisés depuis 1994, des conditions dégradées, en termes de locaux et de personnels, et les enjeux de sécurité notamment lors des extractions médicales, font que, de fait, le patient peut être amené à s’effacer derrière le détenu. » Voilà qui résume assez bien la problématique sous-jacente aux nombreux défauts constatés par les inspections générales des affaires sociales (IGAS) et des services judiciaires (IGSJ) dans la prise en charge sanitaire des détenus. Dans leur dernier rapport, rendu public fin mai, elles pointent les limites au « respect du secret médical » en prison, et évoquent la tension entre « exigences de sécurité et d’éthique de la prise en charge sanitaire ». Inventaire des problèmes soulevés.
Une offre de soins disparate et insuffisante
Pour commencer, les unités sanitaires sont « globalement sous-dotées », avec des surfaces de locaux de 30 à 40 % inférieures aux besoins (2). Dans vingt établissements « prioritaires », les travaux « n’ont pas débuté faute de financement ». Le doublement des effectifs de soignants, entre 1997 et 2013, s’est malheureusement vu partiellement atténué par l’augmentation de plus de 25 % du nombre de détenus. S’ajoutent à cela de « fortes » difficultés de recrutement de soignants. Pourtant budgétés, 22 % des postes de spécialistes et 15,5 % des postes de psychiatres ne sont pas pourvus. Vingt-et-une unités sanitaires fonctionnent avec moins de la moitié des effectifs de dentistes prévus, certaines en ayant même été totalement privées « pendant plusieurs mois ». La télémédecine, qui apparaît à la mission « nécessaire et pertinent[e] » pour pallier les difficultés dans certaines disciplines, ne peut pour autant être « qu’une modalité complémentaire d’accès aux soins » dont « l’économie présumée de temps ou de nombre d’extractions médicales n’est pas systématique, surtout rapportée au coût d’investissement ». En outre, la permanence des soins la nuit et le week-end, qui devrait garantir un contact direct du détenu malade avec le médecin régulateur du centre 15, n’est toujours pas assurée dans la plupart des établissements pénitentiaires.
« Réticence chronique » des détenus à se rendre à l’hôpital
Pensées à l’origine pour offrir « une prise en charge satisfaisante » et de meilleures conditions d’hospitalisation que celles offertes dans les chambres sécurisées des hôpitaux de rattachement, les huit unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI) s’avèrent sous-utilisées. Un taux d’occupation de 59 % en 2014 qui s’explique d’une part par la « réticence chronique » des détenus à s’y rendre en raison de conditions de détention « plus difficiles » qu’en prison (éloignement des familles, absence d’espace de déambulation à l’air libre, impossibilité de fumer), et d’autre part par « des plateaux techniques limités ». Nombre d’hospitalisations restent effectuées dans les hôpitaux de rattachement en chambres sécurisées (3), dans des conditions également mal vécues : les détenus, gardés par la police, ne peuvent sortir de leur chambre et sont généralement privés des visites de leurs proches. Là encore, le rapport relève un faible taux d’occupation (moins de 20%), expliqué par des difficultés dans l’organisation de la garde et des transferts intrahospitaliers des patients.
Le bilan des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) est en revanche jugé « positif » par la mission IGAS-IGSJ, qui « plaide pour la poursuite de leur déploiement » (4). Un déploiement jugé « d’autant plus indispensable » que les hospitalisations hors UHSA sont effectuées « en hospitalisation d’office au centre hospitalier spécialisé (CHS) de rattachement, voire en unités pour malades difficiles », dans des conditions « que la seule qualité de personne détenue ne justifie pas ». En outre, les hospitalisations en CHS, de quelques jours, permettent « de traiter une crise mais pas d’engager un protocole de soins », le détenu étant ensuite renvoyé en prison « sans nécessairement avoir été stabilisé ». L’hospitalisation se déroule « en chambre d’isolement », et souvent « sous contention ». Les malades n’ont généralement pas accès aux espaces collectifs ni aux activités thérapeutiques.
Par contraste avec les CHS, la mission identifie « quatre points forts » chez les UHSA : « unique structure permettant l’hospitalisation des détenus avec leur consentement » (5), où « la prééminence [est] donnée aux soins », les patients circulent librement dans les espaces communs (bibliothèque, cour de promenade, réfectoire et salles d’activités thérapeutiques), la durée moyenne d’hospitalisation est de 45 jours, et les taux d’occupation oscillent entre 82 et 93 %. Les inspections notent néanmoins que la poursuite du programme de création d’UHSA doit s’accompagner « de l’amélioration de l’offre de soins ambulatoires et de celle des hospitalisations de jour, insuffisamment développées ». Par ailleurs, face au constat du peu d’aménagements de peine pour raisons psychiatriques, IGAS et IGSJ craignent que les UHSA aient de plus en plus « vocation à accueillir des détenus atteints de lourdes pathologies pour la totalité de leur peine » et deviennent ainsi un « lieu d’exécution de peine pour malades mentaux ».
Sur ce dernier point, la mission s’interroge par ailleurs, « d’un point de vue éthique, comme du point de vue de la qualité de la prise en charge sanitaire », sur la « place en prison des personnes atteintes de troubles mentaux d’une particulière gravité, en particulier si la pathologie prive l’intéressé de la conscience même qu’il purge une peine ».
Elle précise que « cette question vaut tant pour les condamnés que pour les prévenus, notamment lorsqu’ils sont dans l’attente d’une éventuelle déclaration judiciaire d’irresponsabilité pénale après qu’une expertise psychiatrique a conclu à l’abolition du discernement ».
Des aménagements de peine pour raison médicale peu prononcés
Rendues plus nécessaires encore par la pénurie de spécialistes, les sorties pour consultations et soins se déroulent généralement sous forme d’extractions médicales, lors desquelles l’usage de menottes et d’entraves est « très largement généralisé ». Afin de garantir « le respect de la dignité et du secret médical », IGAS et IGSJ recommandent une diminution des extractions, « lourdes et coûteuses », au profit d’une « utilisation plus large des permissions de sortie pour raison médicale ». Egalement applicables pour motif médical et garantissant de « meilleures conditions » d’accès aux soins, les aménagements de peine classiques sont malheureusement « peu prononcés ».
Il en va de même pour les suspensions de peine et les remises en liberté pour raison médicale, « améliorées par la loi du 15 août 2014 », dont l’« application demeure imparfaite » et la procédure mal connue, « a fortiori pour troubles psychiatriques ». Nombre des psychiatres rencontrés par la mission « ignoraient » ces dispositions de la loi, et aucune libération ou suspension de peine pour raison médicale liée à l’état de santé mentale n’a été prononcée depuis son entrée en vigueur.
L’accès aux outils de réduction des risques toujours pas effectif
S’il a augmenté, passant de 2 % en 1998 à 9 % en 2013, l’accès aux traitements de substitution aux opiacés (TSO) « ne s’effectue pas de la même manière qu’en milieu libre ».
Le secret médical est « mis à mal », les horaires de dispensation des TSO étant connus de tous. L’échange de seringues en prison s’est vu régulièrement différé « alors que des expérimentations étaient envisageables ». Votée en 2016, la loi de modernisation du système de santé (6) devrait enfin permettre à cette mesure d’être « progressivement déployée » en prison. Rappelant par ailleurs que « les condamnations liées à l’alcool sont parmi les plus fréquentes (7) », et que sa consommation, bien qu’interdite, existe en prison, la mission regrette que ce phénomène « massif », « enjeu de santé publique mais également de réinsertion », n’ait pas été « suffisamment pris en compte par le plan ». Face au tabagisme, également « massif », l’accès à un encellulement non-fumeur n’est toujours pas garanti. La mission demande donc la reconnaissance de ce droit.
Des méthodes de prévention à généraliser et uniformiser
Le plan 2010-2014 a « incontestablement posé les jalons d’une politique organisée de prévention en milieu carcéral ». La mission note un effort « significatif » sur la production de référentiels d’intervention, mais déplore que la promotion de la santé repose sur une multiplicité de projets locaux à l’impact « limité », encadrés « par un nombre toujours plus grand de comités ad hoc mais ne [bénéficiant] qu’à peu de personnes détenues ». La prévention gagnerait en outre « à s’appuyer sur une meilleure participation des personnes détenues à la définition des projets » [à ce sujet, lire pages suivantes]. Les dépistages du VIH et des hépatites sont désormais systématiquement proposés, ce qui n’est pas le cas de maladies sexuellement transmissibles telles que syphilis, chlamydiae, gonocoque ou herpès. Les actions prévues pour améliorer la prévention des risques sexuels et « réunir les conditions du maintien d’une vie affective et sexuelle » n’ont été que « partiellement mises en œuvre ». L’accès aux préservatifs et lubrifiants n’est toujours pas généralisé, et seuls les UVF et les parloirs familiaux, dont le nombre est encore très limité, « autorisent l’intimité des relations et des conversations ». La mission note par ailleurs que le dépistage de maladies telles que le cancer colorectal et les cancers féminins du col de l’utérus et du sein est encore « perfectible ».
En matière de prévention du suicide, les inspections estiment enfin que « la prise en charge des personnes à tendances suicidaires ne doit pas se limiter à la mise en place de mesures de surveillance passive mais doit permettre une réponse aux difficultés rencontrées par la personne détenue et la construction d’un plan individuel de protection destiné à agir sur les déterminants de la souffrance ».
Par François Bès
(1) Consultable sur en ligne.
(2) Recommandations de l’Agence Nationale d’Appui à la Performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP)
(3) 277 chambres sécurisées en France en 2015 selon la DGOS, « dont moins d’un quart avait fait l’objet d’un financement des travaux de sécurisation et ainsi d’une reconnaissance par le ministère de la Justice ».
(4 ) En 2014, 60% des hospitalisations y étaient réalisées avec le consentement de la personne. Les psychiatres rencontrés par la mission estiment que la majorité des personnes détenues hospitalisées en psychiatriene relèvent pas de soins sous contrainte. Ils soulignent aussi l’importance de l’adhésion aux soins et de la construction d’un projet thérapeutique avec le patient.
(5 ) En 2014, 60 % des hospitalisations y étaient réalisées avec le consentement de la personne. Les psychiatres rencontrés par la mission estiment que la majorité des personnes détenues hospitalisées en psychiatrie ne relèvent pas de soins sous contrainte. Ils soulignent aussi l’importance de l’adhésion aux soins et de la construction d’un projet thérapeutique avec le patient.
(6) Article L.3411- 8-IV : La politique de réduction des risques et des dommages s’applique également aux personnes détenues, selon des modalités adaptées au milieu carcéral.
(7 ) En 2013 une condamnation sur six faisait suite à une conduite en état alcoolique.