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Projet de réforme pénale aussi indispensable qu’inaboutie

Après dix ans de politique pénale ayant mené à des records d’incarcération et une fuite en avant dans la construction de prisons, pour un résultat tout aussi inefficace que coûteux, la réforme pénale est indispensable. Le projet de loi du 9 octobre sur la prévention de la récidive et l’individualisation de la peine n’en reste pas moins inabouti, au terme d’arbitrages l’ayant éloigné de son ambition première : « dépasser l’hégémonie de la peine d’emprisonnement ».

Une inflation carcérale sans précédent, une justice pénale attaquée jusque dans ses principes les plus élémentaires, une opinion chauffée au refrain d’un prétendu « laxisme » judiciaire… Le bilan des deux dernières législatures ressemble à un véhicule accidenté qu’il faudrait réparer pièce après pièce. Il rend la réforme indispensable et urgente, après plus de 50 lois entre 2002 et 2012 qui on cherché à réduire la justice à un instrument de la politique de sécurité. Une politique à courte vue en réaction à des faits divers aussi tragiques qu’exceptionnels, ressassés ad nauseam en se jouant d’alimenter la peur du citoyen.

Le pénal en guise de politique générale

Le pénal est devenu la réponse à tout : pour répondre à un problème, on crée un nouveau délit. A titre d’exemple, « ce n’est plus une hypothèse d’école de voir des comparutions immédiates pour des ventes à la sauvette », signale Françoise Martres, du Syndicat de la magistrature (SM). Les infractions routières sont venues engorger les tribunaux: sur les 617221 condamnations prononcées en 2012, 43,8 % sont relatives à des délits routiers. Pourtant « la réponse administrative est plus efficace et souvent plus sévère dans ce domaine : suspension immédiate du permis de conduire par la préfecture pour deux, trois ou six mois », explique le SM.

Pour lutter contre la récidive, « le bon sens près de chez vous » a aussi répondu « peines plancher ». Le délinquant persistant saurait désormais qu’une peine de prison minimale l’attend au tribunal. Mais les peines plancher « reposent sur un système de dissuasion qui n’a jamais marché. Nos cours d’histoire du droit en 1re année nous ont appris que c’est pendant que l’on décapitait les voleurs sur la place de Grève, qu’il y avait le plus de vols dans le public ! », assène Christophe Régnard, de l’Union syndicale des magistrats (USM). Une réponse inefficace, qui n’a pas moins engendré « près de 12 000 années » d’emprisonnement ferme supplémentaires sur la période 2008-2010 (1).

Les années Sarkozy, c’est aussi une volonté d’élimination des auteurs de crimes : des longues peines de plus en plus longues, des obstacles accumulés pour empêcher leur libération conditionnelle, puis des mesures de sûreté à leur sortie pour qu’ils soient contrôlés pendant des durées défiant l’intelligence humaine, voire qu’ils soient placés en rétention de sûreté. L’avis du Contrôleur général du 6 février sur les quatre premiers placements au Centre de sûreté en montre toute l’absurdité. Retenus pour des durées de 41 à 88 jours, ils ont tous été libérés sans avoir bénéficié d’aucune forme de « traitement de leur dangerosité », qui venait pourtant justifier leur placement en rétention.

La fuite en avant carcérale

Le nombre d’entrées en prison croit régulièrement à partir de 2002, il atteint un pic en 2007 avec 90270 entrées dans l’année, contre 67308 en 2001. La durée moyenne sous écrou augmente, atteignant 10,2 mois en 2012 contre 8,6 en 2001. La population détenue croît de 35,4 % entre les 1er janvier 2001 et 2012. Face un tel afflux, les établissements pénitentiaires menacent d’implosion. Les gouvernements optent en toute discrétion pour le développement des aménagements de peine, dont le nombre double entre 2005 et 2010, principalement via la hausse spectaculaire des bracelets électroniques. Ils s’engagent aussi dans un accroissement sans précédent du parc pénitentiaire. En 2007, sont mis en service les premiers établissements d’un programme de construction de 13 200 places de prison. Un nouveau programme de 24000 places est prévu en fin de législature, le 29 février 2012. Ces orientations ne permettent pas de remédier à la surpopulation dans les maisons d’arrêt : entre les 1er janvier 2001 et 2012, leur taux d’occupation est passé de 104,8 % à 138,3 %, en dépit d’une augmentation notable du parc carcéral (de 48 593 à 57236 places opérationnelles). Cette fuite en avant laisse une facture exorbitante : la somme restant à payer pour les nouveaux établissements s’élève à 5,3 millions d’euros. Une politique inefficace et particulièrement coûteuse pour le contribuable, tel est le bilan.

Des débuts prometteurs…

L’arrivée à la Chancellerie de Christiane Taubira laisse penser qu’une page se tourne. Dans un entretien à Libération le 7 août 2012, la rupture est nette et assumée : « Il y a des années qu’on sait que la prison, sur les courtes peines, génère de la récidive, c’est presque mécanique. Je le dis, il faut arrêter ! Ça désocialise, ça coûte cher et ça fait de nouvelles victimes. La droite a fait croire à l’opinion publique qu’en enfermant de plus en plus, n’importe comment, et pour n’importe quoi, qu’on assurait sa sécurité. Or, on met aussi des humains en péril. Ça, j’ai le devoir de le démontrer ». Elle fustige également la rétention de sûreté : « Comment a-t-on pu faire avaler ça à un pays comme la France ! ». Et de promettre : « Soyons clair, ça, c’était une parenthèse. Moi, je vais la fermer ».

Le bilan des deux dernières législatures en matière de justice pénale ressemble à un véhicule accidenté

qu’il faudrait réparer pièce après pièce.

Pour donner une base solide à la réforme, l’appuyer sur les connaissances issues de la recherche et des expériences professionnelles, la garde des Sceaux convoque une Conférence de consensus. Dans son rapport final, le jury énonce les « principes d’action pour une nouvelle politique de prévention de la récidive ». En premier lieu, « considérer la pr son comme une peine parmi d’autres et instaurer une peine de probation sans lien ni référence avec l’emprisonnement, dont la finalité réside dans la réinsertion des personnes condamnées ». Découle de ce principe « l’abandon des peines plancher, la réduction du nombre d’incriminations passibles d’une peine d’emprisonnement et la contraventionnalisation de certains délits ». Le jury invite à revenir sur les dispositions aggravant la répression à l’encontre des récidivistes et limitant leur accès aux aménagements de peine, pour laisser au magistrat la possibilité d’apprécier chaque situation. Les sorties sèches, sans accompagnement, doivent être proscrites et à cette fin une libération conditionnelle (LC) d’office instaurée. Cette mesure, considérée comme l’une des plus « efficaces et constructives pour prévenir la récidive et favoriser la réinsertion sociale » par le Conseil de l’Europe deviendrait ainsi le « mode normal de libération des détenus ». « Condition sine qua non de la prévention de la récidive », les conditions d’exécution de la peine de prison doivent enfin faire l’objet d’une réforme profonde. Le jury se dit « bien conscient que l’ensemble de ces propositions implique une nouvelle culture et un aggiornamento des mentalités ». Il n’aura pas lieu.

Le retournement

Faisant face à une campagne médiatique aussi violente que mensongère, le gouvernement cède rapidement du terrain. Le procès en laxisme bat son plein lorsque les grandes lignes du projet de loi commencent à être connues : l’UMP prétend qu’« il ne s’agit rien de moins que l’annonce de la fin des peines de prison (2) ». Au terme de cinq arbitrages au cours de l’été 2013, le président de la République ampute le projet de la garde des Sceaux de ce qui faisait sa cohérence. Au titre des dispositions sauvées, la suppression des peines plancher et des révocations automatiques de sursis.

La LC d’office devient pour sa part un simple examen obligatoire de la situation de chaque détenu aux deux tiers de sa peine, afin d’envisager une « libération sous contrainte ». Une nouvelle procédure qui devrait avoir peu ou pas d’impact sur le recours aux aménagements de peine. « On se contente d’examiner si la personne présente les conditions, et l’aménagement peut être refusé sans aucune limite. On ne voit dès lors pas pourquoi les pratiques changeraient. Or, le taux de sortie en aménagement reste très faible, de l’ordre de 20 %, alors que ces sorties accompagnées permettent de réduire la récidive », explique le Snepap.

Quant à la peine de probation, qui pour le jury de consensus devait être une peine de référence sans lien avec l’emprisonnement, elle devient un succédané de l’actuel sursis avec mise à l’épreuve, qu’elle ne remplace même pas. Une « coquille vide » selon la CGT-pénitentiaire, définie uniquement par une série d’interdictions et d’obligations. « Il faudrait que le législateur intègre que la probation n’est pas un empilement de contraintes, mais une modalité d’accompagnement et de prise en charge, élaborée à partir des besoins de la personne pour ne pas récidiver », explique le Snepap.

Pour couronner le tout, apparaît dans le projet de loi un abaissement des seuils permettant l’aménagement des courtes peines de prison avant incarcération. Les peines concernées ne sont plus celles allant jusqu’à deux ans pour les primo-délinquants mais jusqu’à un an. Pour les récidivistes, le seuil passe d’un an à six mois, ce qui « reviendrait à les exclure du dispositif d’aménagement », déplore l’USM, qui propose de revenir à un an pour tous.

La phobie du « laxisme »

Il aura suffi de quelques chiffons rouges agités par les forces ultra-sécuritaires du pays pour que la gauche se laisse anéantir par sa hantise d’apparaître laxiste. Les travaux de la conférence de consensus, qui montraient l’échec de l’option répressive à mieux assurer la sécurité publique, ont rapidement été balayés. Il faut pourtant « sortir de la centralité de la prison, c’est essentiel au XXIe siècle », explique Françoise Tulkens, qui a présidé le jury de la conférence. Pour l’USM, les concessions gouvernementales étaient le seul moyen de faire avaler la pilule à l’opinion publique et aux syndicats majoritaires dans la Police. Un point de vue que ne partage pas le SM : « L’opinion publique est capable de comprendre beaucoup de choses, pourvu que le message qui lui est adressé soit clair. Or, celui qui ressort aujourd’hui est brouillé ». T DE RÉFORME PÉNALE :

Considérer la prison comme une peine parmi d’autres et instaurer une peine de probation sans lien ni référence avec l’emprisonnement, dont la finalité réside dans la réinsertion des personnes condamnées

A vouloir ménager la chèvre et le chou, « on ne réforme pas, on ajoute », déplore le professeur de droit Xavier Pin. Conséquence, « la politique sécuritaire de la précédente législation reste dans le code pénal ».

Et notamment, le projet de loi ne supprime pas la rétention de sûreté ni les périodes de sûreté automatiques, et pas même les entraves aux aménagements pour les longues peines. Sylvain Chatelet évoque « frustration et incompréhension » du côté des condamnés à de longues peines : « On a le sentiment que c’est le sujet tabou. Si on ne veut rien faire pour les longues peines, si la réinsertion n’est envisagée que pour les courtes peines, il faut le dire clairement ». Sur ces questions délaissées, le gouvernement renvoie à des projets de loi ultérieurs. S’il n’a pas trouvé le courage en début de mandat d’affronter le populisme pénal, il y a fort à parier qu’il s’y pliera encore plus volontiers au fil des échéances électorales. Le combat est à mener aujourd’hui, dans le cadre de l’examen au Parlement du projet de loi sur la prévention de la récidive et l’individualisation de la peine. Dès avril 2014.

Sarah Dindo et Barbara Liaras

(1) F. Leturcq, « Peines plancher : application et impact de la loi du 10 août 2007 », Infostat Justice n°118, octobre 2012.

(2) Communiqué du 30 août 2013.


Les amendements à défendre

Côté associatif, syndical, politique, et même ministériel, des modifications du texte déposé le 9 octobre sont attendues. Afin de donner corps à l’ambition du Gouvernement de « dépasser l’hégémonie de la peine d’emprisonnement », plusieurs modifications restent à défendre.

La « contrainte pénale ». Elle doit devenir applicable à tous les délits, au lieu d’être restreinte à ceux encourant une peine maximale de cinq ans. Idéalement, elle devrait être érigée en troisième peine de référence en matière délictuelle, aux côtés de l’emprisonnement et de l’amende. Cela impliquerait de faire de la peine de probation la peine maximale encourue pour certaines catégories de délits, et une peine alternative à l’emprisonnement pour les autres. Elle devrait aussi remplacer l’ensemble des peines alternatives existantes, qui deviendraient des modalités de la peine de probation. A minima, la contrainte pénale devrait être distinguée du sursis avec mise à l’épreuve (SME) : en devenant la seule de ces deux peines impliquant un suivi socio-éducatif, le SME étant réduit à une mesure de contrôle d’obligations et d’interdictions (paiements aux parties civiles ou au Trésor public, interdiction de fréquenter certains lieux ou personnes, etc.). Le contenu de la contrainte pénale doit être redéfini afin de placer au premier plan ce qu’est la probation : « des actions structurées et programmées destinées à prévenir la récidive et favoriser l’insertion au sein de la société ». Le terme de « contrainte pénale » doit être remplacé par celui de « peine de probation », comme le demandent les deux syndicats représentatifs dans les SPIP.

Aménagement des courtes peines. La procédure visant à aménager le plus de courtes peines possibles avant incarcération doit être améliorée par un renforcement des moyens, afin de raccourcir les délais d’exécution et de prise en charge. Les peines concernées doivent être ramenées à un seuil de deux ans pour tous, afin de ne pas exclure ceux qui ont le plus besoin de suivi et de limiter les courtes peines, reconnues comme nocives en termes de désocialisation et de récidive.

Supprimer les restrictions aux aménagements de peine pour les récidivistes. La distinction primaires/récidivistes doit être supprimée dans les critères d’accessibilité aux aménagements de peine en cours d’incarcération : montant des réductions de peine, délais à partir duquel une demande d’aménagement peut être déposée…

Supprimer les périodes de sûreté automatiques. Contradictoires avec la volonté du Gouvernement de supprimer tous les « mécanismes automatiques limitant les possibilités d’individualisation », les périodes de sûreté automatiques empêchent, sans aucune évaluation ni prise en compte des démarches du condamné, toute mesure d’aménagement, réduction de peine ou permission de sortir pendant des durées pouvant atteindre 18 ans.

Faire de la conditionnelle le mode normal de libération. Afin de préparer la sortie dans des conditions favorables à l’insertion et la prévention de la récidive, la LC doit être le mode de sortie prévu dès lors que « la personne présente les garanties matérielles pour l’exécution de la mesure et s’engage à en respecter le cadre ». Cette mesure ne devrait néanmoins être prise qu’avec l’accord du condamné.

Réviser la procédure spécifique d’octroi de la LC pour les longues peines. L’avis de la commission pluridisciplinaire de sûreté doit être rendu facultatif, le placement extérieur doit être intégré parmi les mesures probatoires à la LC et il doit être laissé aux juridictions le soin de fixer la durée des mesures probatoires.

Supprimer la surveillance et la rétention de sûreté. Ces mesures qui ont bouleversé l’équilibre du droit pénal en autorisant une restriction ou une privation de liberté non plus sur le fondement de la culpabilité, mais de la présomption d’infractions futures, doivent être impérativement supprimées.