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Réforme pénale : le projet de loi a minima

Le texte présenté le 9 octobre 2013 n’assume pas la nécessité d’un moindre recours à l’emprisonnement. Il opère un recul sur l’aménagement des courtes peines avant leur mise à exécution, ne fait pas le choix d’une peine de probation applicable comme peine de référence à la plupart des délits, ni celui d’une libération conditionnelle d’office. Les espoirs d’amélioration du texte se concentrent désormais sur le débat parlementaire, annoncé pour avril 2014.

Le choix d’investir dans la probation et de faire le choix de faire de l’emprisonnement un ultime recours, le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et l’individualisation des peines ne le fait pas. Il n’opte pas pour une peine de probation dont le contenu serait suffisamment amélioré par rapport à un sursis avec mise à l’épreuve (SME) pour crédibiliser le recours à une peine alternative pour la plupart des délits. Il écarte l’option d’une libération conditionnelle (LC) d’office, seule à même de remédier à un taux exorbitant de sorties « sèches » en fin de peine.

Quelques apports de la réforme

Il reste dans le projet de loi quelques mesures visant à «dépasser l’hégémonie de la peine d’emprisonnement», selon les termes de l’étude d’impact. L’obligation de motiver le choix d’une peine de prison ferme sans aménagement en matière correctionnelle est étendue aux cas de récidive légale (article 3). Symbolique, cette disposition s’inscrit dans un mouvement qui se devrait plus large : revenir sur le régime dérogatoire mis en place pour les récidivistes à toutes les étapes du processus judiciaire. Il ne tient en effet pas compte des processus de sortie de délinquance (désistance), qui commencent souvent par une diminution des délits, en fréquence et en gravité. En systématisant une répression plus sévère en cas de récidive, la justice pénale peut avoir un effet particulièrement nocif sur des parcours d’insertion engagés.

La suppression des peines plancher (article 5) répond à cet objectif d’éviter des peines de prison systématiquement plus longues à l’encontre des récidivistes. Il est en effet établi qu’avec l’instauration de peines minimales « le quantum d’emprisonnement ferme est passé en moyenne de 8,2 mois à 11 mois » (Infostat Justice, octobre 2012). La suppression de la révocation automatique du sursis simple et des SME en cascade (article 6) s’inscrit dans la même perspective d’individualisation. Chaque année, « les sursis simples révoqués représentent un peu plus de 6 % de l’ensemble des années d’emprisonnement ferme à exécuter ». Le gouvernement escompte ainsi de la suppression de la révocation automatique et des peines plancher une baisse annuelle d’environ 7000 années d’emprisonnement prononcées (étude d’impact).

La probation manquée

Le Gouvernement n’a pas osé le choix de la probation. Le texte qui sera présenté au Parlement manque l’occasion de créer une peine de probation comme sanction de référence pour la majorité des délits, voire la seule possible pour certaines catégories d’infractions. Cela impliquait que la non exécution de la peine de probation devienne un délit en soit, tout comme pour le travail d’intérêt général, condition sine qua non pour sortir de la logique du sursis. La peine de probation avait vocation à remplacer l’ensemble des « peines alternatives » actuelles (TIG, stage de citoyenneté, peines privatives ou restrictives de droits, sanction-réparation…) toutes intégrées dans les obligations possibles. Elle devait également remplacer le sursis avec mise à l’épreuve, afin de ne pas juxtaposer deux peines très proches et de sortir la probation de la référence à l’emprisonnement.

Nouvelle peine de contrainte pénale

Réduisant l’intérêt de créer une nouvelle peine de probation, la « contrainte pénale » vient juste s’ajouter au SME parmi les peines applicables en matière correctionnelle, au côté de la peine d’emprisonnement et des autres peines « alternatives ». En outre, il s’agit d’une peine plus contraignante que le SME, prévue pour des délits moins graves : elle ne vise que les délits encourant une peine maximale de cinq ans d’emprisonnement, quand le SME peut assortir toute peine de prison d’une durée maximale de cinq ans, ou dix ans en récidive légale (article 132-41 du code pénal).

La contrainte pénale a vocation à s’appliquer quand « un accompagnement socio-éducatif individualisé et renforcé » est nécessaire. Imposer dès le jugement un suivi renforcé ignore les principes d’efficacité dégagés par la recherche (What Works ?), selon lesquels l’intensité du suivi doit être définie et adaptée régulièrement en fonction des risques de récidive et des besoins de la personne, et non de manière prédéterminée par la peine prononcée.

Le contenu de la contrainte pénale a le même défaut que le SME: il n’est défini que par les obligations et interdictions qui peuvent être imposées. Une telle conception limite déjà, voire empêche, le travail de probation dans le cadre du SME : le contenu du suivi est déterminé par les obligations fixées et consacré essentiellement à leur contrôle, alors qu’il devrait partir des problématiques des personnes. Cette approche omet aussi l’un des pans essentiels de la probation : le travail autour de ce qui a amené le passage à l’acte délinquant, l’analyse du contexte et des facteurs déclencheurs, la participation à des programmes de prévention de la récidive (encore très limités en France)…

Seul apport de la contrainte pénale: le JAP décidera de l’essentiel des obligations après évaluation du SPIP, alors que pour le SME, ce rôle est dévolu à la juridiction de jugement. Avec pour conséquence des obligations prononcées de façon quelque peu mécanique sans connaissance véritable des problématiques de la personne, souvent sur la base de stéréotypes : obligation de soins pour des infractions contre les personnes, obligation de travail ou de formation pour des infractions contre les biens…

Dans la même veine, le terme de « contrainte » pénale relève d’une culture passéiste de la probation. Ce n’est pas par la contrainte qu’une personne prend conscience de son rapport à la loi, de son rapport à l’autre, etc. L’approche de l’entretien motivationnel, dont l’efficacité dans le cadre de la probation a été évaluée, privilégie la capacité de la personne à s’autodéterminer, le rôle du professionnel étant de l’aider à renforcer sa propre « motivation au changement ». Les travaux de Fergus Mc Neill dégagent ainsi trois axes d’intervention pour les personnels de probation : le travail sur la motivation, le travail sur les facteurs internes du passage à l’acte délinquant (aspects cognitivo-comportementaux) et le travail sur les facteurs externes (insertion, formation, entourage relationnel…) (1).

Faute d’innovation en termes de cadre juridique et de contenu, la contrainte pénale présente peu de chances d’être utilisée à titre de substitut aux courtes peines d’emprisonnement. L’étude d’impact du projet de loi montre que le Gouvernement s’en accommode déjà: «320 000 condamnations par an pourraient théoriquement relever de la contrainte pénale, dont 60 000 SME. C’est principalement à ces dernières peines que la contrainte pénale a vocation à se substituer ».

Recul sur l’aménagement des courtes peines

La loi pénitentiaire de 2009 permettait de convertir les courtes peines de prison (jusqu’à un an pour les récidivistes, deux ans pour les primaires) en aménagement de peine. Le nouveau projet de loi abaisse ces seuils à six mois et un an. Dans l’exposé des motifs, cet arbitrage est justifié, pour les aménagements ab initio prononcés par la juridiction de jugement, par le fait que les dispositions antérieures permettaient « l’aménagement immédiat de lourdes peines et dénaturaient par là-même le sens de la peine de prison ». Rappelons qu’en dépit de ces dispositions, le nombre de condamnés purgeant une peine de prison de moins d’un an reste très élevé en France : 21 961 personnes, soit 36 % des détenus condamnés au 1er janvier 2013.

Pour la procédure de l’article 723-15, permettant un aménagement par le JAP après une condamnation à une courte peine, le gouvernement justifie son recul par le fait qu’elle ralentit « le processus d’exécution de la peine, puisque la décision éventuelle d’aménagement pouvait prendre plusieurs mois durant lesquels la peine n’était d’aucune façon ramenée à exécution, même sous une forme aménagée ». La loi pénitentiaire de 2009 ayant été adoptée sans que les moyens nécessaires à son application ne soient dégagés, des retards de mise à exécution ont en effet été observés. Plutôt que d’engager les moyens permettant un aménagement plus rapide des courtes peines, le gouvernement de 2013 privilégie leur mise à exécution, tout en décriant leurs effets nocifs.

L’étude d’impact estime les conséquences d’un tel recul: 12 000 condamnations par an ne seraient plus aménageables. Considérant que toutes ces peines n’étaient pas aménagées, il y aurait « environ 5 000 personnes » en plus dans les maisons d’arrêt chaque année, ce qui correspond à une augmentation de 3 600 personnes détenues à un instant donné.

Nouvelle procédure de « libération sous contrainte »

Dans sa recommandation du 24 septembre 2003, le Conseil de l’Europe affirme que « pour réduire les effets délétères de la détention et favoriser la réinsertion des détenus dans des conditions visant à garantir la sécurité de la collectivité, la législation devrait prévoir la possibilité pour tous les détenus condamnés, y compris les condamnés à perpétuité, de bénéficier de la libération conditionnelle ». La législation française s’est peu à peu éloignée de cet objectif, avec pour conséquence un taux de sorties « sèches » de 78 % en 2012 et un taux d’octroi de libération conditionnelle particulièrement faible (6,3 %).

Le projet de loi opte néanmoins pour un choix a minima : une procédure de « libération sous contrainte » impliquant l’examen de la situation de l’ensemble des détenus aux deux tiers de leur peine, en vue d’un éventuel aménagement. La logique d’une telle procédure est d’examiner la situation des condamnés qui n’en font pas la demande. Tel est le cas de nombreux condamnés à de courtes peines, si bien qu’en 2011, seuls 2 % des sortants condamnés à moins de six mois ont obtenu un aménagement de peine. Ce taux s’élève à 16 % pour les condamnés à des peines de six mois à un an. Ces faibles taux s’expliquent notamment par des délais d’audiencement de plusieurs mois (trois ou quatre), rendant la démarche moins utile. Une autre cause est la difficulté de constituer un projet d’insertion dans de brefs délais, notamment au vu du temps d’intervention des partenaires de droit commun en matière d’hébergement, de formation ou d’accès à l’emploi. La nouvelle procédure ne remédie à aucun de ces obstacles. Si bien que le risque d’un d’examen à la chaîne de dossiers peu solides et de rejets en cascade est important.

Pour les peines supérieures à cinq ans, l’apport de la libération sous contrainte apparaît encore plus limité, les condamnés formulant davantage de demandes d’aménagement. La part de ceux obtenant un aménagement de peine s’élève de 59 % à 60 %. Et surtout, une procédure d’examen « au moins une fois par an » de la « situation des condamnés ayant vocation à la libération conditionnelle » existe déjà (article D523 du CPP). Elle a vocation à s’exercer « même en l’absence de demande de la part des intéressés ».

La libération conditionnelle d’office écartée

L’hypothèse plus ambitieuse défendue par la Conférence de consensus a été écartée : celle d’un système de libération conditionnelle (LC) d’office, à l’image de celui de la Suède. La LC y est automatique aux deux tiers de peine, sauf pour les très courtes peines et les condamnés à perpétuité, dont la peine doit préalablement « être commuée en peine à temps par une mesure de grâce » (2).

Cette option se base sur un fait objectif : quasiment tous les détenus vont être un jour libérés. Il est préférable pour eux, comme pour le corps social, qu’ils le soient dans le cadre d’un aménagement de peine: la réduction du temps de détention permet d’en limiter les effets nocifs et la LC d’assurer une sortie avec projet d’insertion, mesures d’assistance et de contrôle. La LC d’office présente l’avantage d’une date de sortie connue dès l’écrou, permettant d’engager immédiatement un projet d’insertion pour les courtes peines et un plan en plusieurs étapes pour les moyennes et longues peines. Elle aussi retire aux magistrats le poids de décisions qui suscitent l’opprobre publique en cas de récidive. L’évaluation des facteurs de risque de récidive est alors réalisée non pas pour décider de l’octroi de la LC, mais pour mieux cibler le type de suivi nécessaire et les modalités de la mesure à prévoir.

Il ne s’agit plus de réserver la conditionnelle aux détenus « méritants » et d’en exclure ceux qui en auraient souvent le plus besoin. La Cour des Comptes avait ainsi relevé que dans le système actuel, « les plus fragiles socialement et “criminologiquement’’, qui présentent souvent le plus grand risque de récidive, se trouvent naturellement guidés vers le mode de sortie de prison qui induit le plus grand risque de récidive (la sortie sèche) » (3). Un argument rationnel, mais aussi un revirement culturel que ne semble pas prêt à défendre le gouvernement socialiste.

Sarah Dindo

(1) Voir AJ pénal, septembre 2010 ; et Dedans-Dehors, mars 2012. Dedans Dehors N°82 Décembre 2013

(2) Norman Bishop in « Les systèmes de libération sous condition dans les États membres du Conseil de l’Europe », Champ pénal, Vol I, 2004.

(3) Cour des comptes, Le service public pénitentiaire : prévenir la récidive, gérer la vie carcérale, rapport thématique, juillet 2010.