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Sécurité des prisons : le retour des vieilles recettes

Dans la droite ligne d’un modèle de « sécurité défensive » déjà renforcé par ses prédécesseurs, le plan pour la sécurité des établissements pénitentiaires présenté ce lundi 3 juin 2013 par la garde des Sceaux vient ancrer les prisons françaises dans une culture toujours plus coercitive, génératrice en elle-même de tensions et de violences. Un plan qui témoigne d’une absence de réflexion sur d’autres moyens de prévenir les violences et d’y répondre, faisant l’impasse sur les conclusions d’un groupe de travail impulsé par l’administration pénitentiaire et s’inscrivant à l’encontre des préconisations du Conseil de l’Europe en faveur d’une approche de « sécurité dynamique ».

Renforcement des équipements et procédures de contrôle à l’intérieur et aux abords des établissements et de lutte contre les projections ». Telle est la feuille de route du « dispositif de sécurité exceptionnel » annoncé par Christiane Taubira le lundi 3 juin 2013 pour les établissements pénitentiaires. Au programme: 20 scanners à ondes millimétriques, 282 portiques à masse métallique et 393 détecteurs manuels; le renforcement des filets et glacis, dispositifs de vidéo-surveillance et autres concertinas censés empêcher les projections depuis l’extérieur; une expérimentation visant à rendre plus efficace le brouillage des ondes de téléphones portables ; la création de deux nouvelles équipes cynotechniques et le renforcement des opérations de contrôle des visiteurs. La garde des Sceaux annonce également la publication d’une circulaire sur les « modalités de gestion » des détenus particulièrement surveillés (DPS), ou encore la mise en œuvre d’un « plan d’action maison centrale » portant sur la prise en charge « de ces publics difficiles ».

Une réponse à l’instrumentalisation des syndicats

Ces mesures affichent l’ambition de renforcer l’« équilibre, complexe à mettre en œuvre », entre sécurité et respect des droits. Un respect des droits pour lequel aucuns plans ni mesures n’ont été engagés, au regret du Contrôleur général des lieux de privation de liberté : « Christiane Taubira doit annoncer un plan sur la dignité des personnes » demande Jean-Marie Delarue. « Il faut assurer la sécurité, mais en même temps il faut assurer la dignité des personnes. Les deux sont inséparables. Lorsqu’on fait une seule de ces politiques, […] on est sûr de se tromper.(1) » Sous la pression des syndicats pénitentiaires depuis une spectaculaire évasion de la maison d’arrêt de Lille-Sequedin, le 13 avril 2013, le ministère de la Justice réagit à un fait divers exceptionnel en faisant preuve de la même pauvreté de réflexion que ses prédécesseurs : en renforçant le modèle de « sécurité défensive », qui repose sur la dissuasion, la surveillance, les contrôles et l’isolement des personnes détenues. Autant de recettes qui n’ont jamais fait leurs preuves, et dont il a même été établi qu’elles généraient davantage de tensions et violences en détention.

Avant même que les circonstances précises de l’évasion de Sequedin ne soient connues, les responsabilités ont été établies : l’UFAP dénonce la « pure aberration » dont relève la prétendue « suppression des fouilles corporelles ». FO-Pénitentiaire embraye pour demander des États généraux de la sécurité et un durcissement des sanctions disciplinaires. Dans toutes les prisons françaises, martèle le syndicat « les matraques ou tonfas doivent être obligatoires ainsi que le taser ». Peu importe qu’à Lille-Sequedin, comme dans bien d’autres établissements, la fouille à corps continue en réalité à être « automatique […] à la sortie des parloirs », comme le confirme la CFTC dans une lettre du 19 avril adressée à la garde des Sceaux. Peu importe que la loi pénitentiaire ne prévoie aucunement la suppression des fouilles intégrales, mais en encadre leur utilisation. « Mettre en relation la loi pénitentiaire, et son article 57 sur les fouilles, et l’évasion qui s’est produite samedi, c’est soit de l’incompétence, soit de la volonté de désinformation caractérisée », tempête le sénateur Jean-René Lecerf dans La Voix du Nord du 16 avril 2013.

Explications simplistes, réponses inadaptées

Les mesures de « sécurité défensive » développées par le Plan sécurité du 3 juin s’inscrivent dans la lignée de ces « explications simplistes », dénoncées notamment par le SNEPAP-FSU dans un communiqué du 3 mai 2013. Elles prennent à rebours les conclusions d’un groupe de travail de la direction de l’administration pénitentiaire sur la violence en prison institué en 2007, qui avait estimé indispensable de « réfléchir à la mise en place d’un autre modèle de contrôle et de sécurité ». Selon le groupe, « le dispositif sécuritaire intérieur actuel dans ses effets sur les relations en prison demeure un facteur essentiel des violences qui y ont lieu ». Il recommandait notamment d’instaurer « des espaces de parole et de conflictualisation » en détention, et plus largement « de reconnaître formellement des instances de dialogue social », de prévoir des « audiences régulières en tête-à-tête avec tous les détenus, y compris ceux qui ne demandent jamais à être reçus », ou encore de « développer les actions de formations existantes sur la prévention, la résolution des conflits, la gestion des crises, lors de la formation initiale et de la formation continue, la lutte contre la violence étant trop axée sur les techniques physiques d’intervention (2) ».

Ces préconisations rejoignaient celles du Conseil de l’Europe qui invite à sortir d’une logique purement défensive de la sécurité, au bénéfice d’un modèle qualité de « sécurité dynamique ». Un concept partant du constat selon lequel plus « l’institution est totalitaire ou autoritaire, plus elle engendre des résistances : résistances à l’institution, résistances au personnel, afin d’affirmer son individualité, de ne pas perdre totalement l’estime de soi (3) ». Dès lors, la sécurité passe avant tout par le fait d’aménager la vie en prison « de manière aussi proche que possible des réalités de la vie en société », d’offrir aux détenus des « conditions matérielles appropriées » et des « occasions de développement physique, intellectuel et émotionnel », de leur donner la possibilité de « faire des choix personnels dans autant de domaines que possible de la vie quotidienne de la prison » et de développer les espaces et instances de communication avec le personnel (4). Autant de recommandations totalement ignorées dans le plan ministériel. « Les seules choses qui sont précises [dans le plan ministériel] relèvent de la technologie » regrette en ce sens Jean-Michel Dejenne, premier secrétaire du syndicat national des directeurs pénitentiaires. Pour les autres syndicats, telle la CGT-pénitentiaire, « le compte n’y est pas (5) », FO jugeant le Plan « bien loin de répondre aux attentes et au besoin du terrain (6) ». Des réactions illustrant le puits sans fond que constitue cette surenchère sécuritaire.

Le dispositif sécuritaire intérieur actuel dans ses effets sur les relations en prison demeure un facteur essentiel des violences qui y ont lieu (groupe de travail DAP, 2007)

Le respect de la loi, grand oublié du plan ministériel

Une institution chargée de l’exécution des peines prononcées en application de la loi ne peut s’abstraire de respecter elle-même la loi, sauf à perdre tout crédit auprès des publics concernés et du corps social en général. Or, de nombreuses dispositions en vigueur ne sont pas respectées dans les établissements pénitentiaires. Au premier rang desquelles celle prohibant le caractère systématique des fouilles à nu. « On laisse les directeurs se dépatouiller avec cette question des fouilles, sans leur fixer de cap » déplore Jimmy Delliste, secrétaire général de FO-Direction. Et nombre d’entre eux « se dépatouillent » en refusant d’appliquer la loi. Le Conseil d’État s’en est agacé, condamnant, dans une décision du 6 juin 2013, une « atteinte grave et manifestement illégale » aux principes de respect de la dignité humaine et de la vie privée. Statuant en référé-liberté, c’est-à-dire en urgence, la Haute Juridiction ordonne au directeur de Fleury-Mérogis de mettre n au caractère systématique des fouilles dans son établissement. À Varces en juin 2013, à Bapaume en février, mais aussi à Strasbourg, Marseille, Lyon, Poitiers, Rennes, Nancy… les tribunaux administratifs (TA) avaient déjà statué dans le même sens, sans que cela n’infléchisse les pratiques. Un irrespect de la loi et des décisions de justice que n’a guère goûté le TA de Melun, relevant dans une ordonnance du 4 mai 2013 « la carence persistante de l’administration à exécuter ces décisions ». Le tribunal prononçait à cette occasion sa troisième condamnation en dix mois à l’encontre du directeur de Fresnes, toujours pour les mêmes motifs.

D’autres dispositions légales orientées vers la sécurité dynamique restent tout aussi ignorées. Telle la possibilité de bénéficier d’au moins une visite trimestrielle dans une unité de vie familiale ou un parloir familial (dont une minorité d’établissements pénitentiaires sont équipés), ou encore d’être rémunéré en application du salaire minimum dé ni par le décret n° 2010-1635 du 23 décembre 2010. Autant de facteurs de troubles en détention auxquels le plan sécurité du gouvernement ne vient aucunement remédier. Faute d’appliquer la loi, de reconnaître un droit d’expression individuel et collectif pour les personnes détenues, de mettre en place des espaces de parole et de négociation, le ministère de la Justice condamne en fait l’institution pénitentiaire à s’enfermer dans un cycle de violence-répression nuisible à l’amélioration de la sécurité en détention, tout autant qu’à la prévention de la récidive et à la réinsertion des personnes détenues.

Samuel Gautier et Barbara Liaras

Communiqué OIP du 5 juin 2013 : « Plan pour la sécurité des établissements pénitentiaires : les vieilles recettes qui ne marchent pas », consultable sur le site de l’OIP www.oip.org

(1) Europe 1, 6 juin 2013.

(2) Rapport du groupe de réflexion sur les violences à l’encontre des personnels pénitentiaires, mai 2010.

(3) S. Snacken, Prisons en Europe, pour une pénologie critique et humaniste, Larcier, 2011.

(4) Conseil de l’Europe, Recommandation R(2003)23.

(5) Communiqué du 3 juin 2013.

(6) Communiqué du 3 juin 2013.


Les prises d’otage favorisées par la pression sécuritaire

« La conjonction de mesures de sécurité passive extrêmement rigoureuses et d’une absence presque totale de sécurité dynamique crée un risque maximum de prises d’otage : les membres du personnel, considérés comme des entités impersonnelles, deviennent le seul moyen qu’ont les détenus de forcer les dispositifs matériels. C’est ce qu’a prouvé l’expérience des quartiers spéciaux de sécurité des Pays-Bas ; conçu pour maintenir les détenus présentant un risque d’évasion dans une réclusion sévère et sûre, ils ont finalement mené à une escalade des mesures de sécurité et de la violence. »

Sonja Snacken, Douzième conférence des directeurs d’administration pénitentiaire, Peines de longue durée et délinquants violents, Conseil de l’Europe, 26-28 nov. 1997.


Au détriment de la lutte contre la surpopulation

Alors même que le montant des budgets consacrés à la sécurisation des établissements pénitentiaires avait déjà « augmenté de 43 % » entre 2007 et 2009 selon la Cour des comptes, le coût de ce nouveau plan – plus de 33 millions d’euros – peut être mis en parallèle avec l’indigence des moyens dégagés pour développer les aménagements de peine et les alternatives à l’incarcération. L’étude d’impact annexée à la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 estimait ainsi nécessaire la création de 1 000 postes supplémentaires de conseillers d’insertion et de probation : seuls 120 postes ont été budgétés pour 2013. Avec 67 977 détenus au 1er juin 2013, un nouveau record est atteint, alors que tous les acteurs s’accordent à dénoncer la surpopulation comme facteur d’accroissement des tensions en détention et de dégradation des conditions de travail des personnels.