Déjà difficiles à l’extérieur, les démarches pour changer d’état civil et opérer une transformation physique sont encore compliquées par la détention. En cause, les contraintes carcérales et l’entière dépendance des personnes détenues envers des tiers peu formés et pas toujours coopératifs.
En prison, les personnes transgenres qui souhaitent changer d’état civil doivent en principe être accompagnées par les personnels d’insertion et de probation, mais dans les faits, peu d’entre eux sont compétents. Il faut dire que les démarches sont complexes. Elles s’effectuent généralement en deux temps. La demande de changement de prénom d’une part, doit être adressée à la mairie du lieu de naissance ou de résidence (en l’occurrence, la ville où est situé l’établissement pénitentiaire). Si l’officier d’état civil estime qu’elle n’est pas légitime, il la transmet au procureur de la République, qui statue. La demande de changement de sexe à l’état civil d’autre part, doit être adressée au juge judiciaire. Depuis la loi du 18 novembre 2016, la décision ne peut plus être conditionnée à une transformation chirurgicale ou par traitements hormonaux. « Il faut cependant produire un “récit de vie” avec des attestations, des témoignages prouvant l’usage du prénom féminin et que la personne a une vie quotidienne en tant que femme, qui s’avèrent difficiles à collecter en prison. Ces démarches sont en outre ralenties par les difficultés de communication avec l’administration pénitentiaire et les délais de réponse », déplore l’avocat Benjamin Pitcho. À la prison de Caen, il aura fallu huit ans de combat judiciaire à une femme transgenre pour obtenir satisfaction. En 2012, elle s’était vu refuser son changement de prénom à l’état civil mais obtenait, en appel, l’adjonction d’un prénom épicène (masculin et féminin). Après la loi de 2016, elle sollicitait à nouveau un changement de prénom à la mairie mais sa demande, transmise au procureur, était rejetée au motif qu’il lui était possible d’utiliser le second prénom épicène en prénom d’usage. Ce ne sera finalement que le 15 mai 2020 qu’elle obtiendra à la fois un changement de sexe à l’état civil et le changement de son prénom pour celui qu’elle avait choisi, après saisine du tribunal administratif et grâce au témoignage de deux codétenus.
Une fois le changement d’état civil accordé, reste à obtenir sa transcription dans le registre d’état civil puis dans le système informatique de l’Administration pénitentiaire. « Fin avril, j’ai adressé à la direction la décision judiciaire de mon changement de prénom, mais la modification n’est toujours pas faite, ni dans Genesis(1) ni dans le système informatique de l’unité sanitaire. Ils me disent que le registre d’état civil n’a pas été modifié », déplore Stella en août 2021. De son côté, Abby a obtenu son changement de prénom en 2017, mais a dû attendre 2021 pour qu’il soit pris en compte officiellement.
Une transition médicale difficile – voire impossible
« Concernant ma volonté de devenir une femme, et malgré mes demandes répétées, médecin et infirmière m’ont répondu qu’ils ne pouvaient rien faire pour moi. La psychologue m’a dit que je devais attendre un transfert », témoigne Romain, incarcéré dans une petite maison d’arrêt de l’ouest de la France. En détention, l’accompagnement médical vers la transition s’avère au mieux incomplet, sinon inexistant. En cause, l’absence de formation des soignants sur le sujet, les difficultés d’accès à des consultations d’endocrinologie, et enfin, pour les phalloplasties ou les vaginoplasties, la nécessité d’un transfert vers une prison à proximité d’un des neuf centres hospitaliers disposant d’un service spécialisé( 2). Dans les prisons habituées à la question, les personnes sous traitement hormonal à leur arrivée voient celui-ci poursuivi si la prescription initiale a été faite par un médecin à l’extérieur. Lorsque la personne a été interpelée sans son ordonnance, si celle-ci est rédigée en langue étrangère ou s’il s’agit d’automédication, l’unité sanitaire va agir comme s’il s’agissait d’une primo prescription (consultation d’un endocrinologue, d’un psychiatre, etc.). La carence de médecins spécialistes intervenant en prison se fait alors sentir : « Ça fait huit mois qu’on a demandé le rendez-vous avec l’endocrinologue, mais on ne l’a toujours pas », déplore un médecin. S’y ajoutent de multiples freins, administratifs ou logistiques : la durée courte ou incertaine des séjours dans les maisons d’arrêt, l’absence de protection sociale pour les personnes étrangères ou encore la difficulté de mobiliser des escortes pour les extractions à l’hôpital. Quand il ne s’agit pas de blocages humains. À Fleury-Mérogis, relève le CGLPL(3), les soignants refusent d’entamer les parcours de transition : « Il est dangereux de débuter cette démarche en situation de catastrophe – et l’incarcération en est une, qui pourrait altérer le consentement libre et éclairé ».
par François Bès
(1) Logiciel de gestion de la détention.
(2) Nice, Montpellier, Bordeaux, Lyon, Marseille, Paris, Brest, Strasbourg et Nancy.
(3) CGLPL, Avis du 25 mai 2021 relatif à la prise en charge des personnes transgenres dans les lieux de privation de liberté.