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Une peine qui n’en finit pas : le sécuritaire sous couvert de réinsertion

Le Parlement a adopté le 30 juillet dernier la loi relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement. En pérennisant et renforçant une mesure de sûreté administrative et en créant une nouvelle mesure de sûreté judiciaire, il franchit un pas de plus dans la spirale sécuritaire. Et assombrit encore le sort des sortants de prison condamnés pour une infraction en lien avec le terrorisme.

Apparemment intarissable quand il s’agit d’alimenter le droit spécial relatif au terrorisme – avec neuf lois en six ans –, le Parlement vient encore consolider ce régime d’exception. Le 30 juillet dernier, il a adopté la loi relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement à l’issue de débats particulièrement expéditifs. Le texte porte pourtant de lourds enjeux en termes de libertés publiques : il légalise des techniques de surveillance intrusives à des fins de renseignement, pérennise et renforce plusieurs dispositifs administratifs de sécurité intérieure(1) dont les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (Micas), et crée la « mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion ». Ce faisant, il franchit une étape supplémentaire dans la dérive sécuritaire en matière de contrôle et de surveillance post-peine des sortants de prison.

En créant une nouvelle mesure de sûreté judiciaire, le législateur comble en fait un vide qu’il a lui-même créé. Il a en effet, ces dernières années, supprimé la quasi-totalité des possibilités d’aménagement et de réduction de peine pour les personnes condamnées pour des crimes et délits terroristes( 2), écartant au passage toute possibilité de les accompagner et de les surveiller à leur libération. Le législateur leur avait certes étendu, avec la loi de 2016(3), la peine de suivi socio-judiciaire, mais les personnes condamnées avant son entrée en vigueur restaient exclues de cette loi non rétroactive. Elles sont quelque 150 à être amenées à sortir dans les prochaines années : ce sont elles qui sont avant tout visées par le nouveau dispositif. Un dispositif qui alourdit encore la panoplie des mesures de sûreté (voir encadré), pourtant hautement problématiques.

Restrictives – voire privatives – de liberté, les mesures de sûreté ont en effet tout de sanctions punitives. À ceci près qu’elles répriment non pas une infraction mais un risque, établi sur la « dangerosité » que représenterait la personne visée. Elles bouleversent ainsi l’équilibre du droit en imposant une « conception nouvelle du droit de la peine, qui supprime le lien objectif entre culpabilité et responsabilité, entre infraction et sanction », comme le relevait l’ancien Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), Jean-Marie Delarue(4). En août 2020, le Conseil constitutionnel rappelait qu’une nouvelle mesure de sûreté visant les auteurs d’un acte terroriste devait, pour être constitutionnelle, être fondée sur une « particulière dangerosité évaluée à partir d’éléments objectifs »(5). Un vœu pieu pour une notion éminemment floue et dénuée de fondement scientifique(6). Et ce d’autant que son évaluation est confiée à une commission(7) initialement conçue pour statuer sur la dangerosité psychiatrique d’auteurs d’infractions à caractère sexuel et non celle, criminologique, des condamnés pour des infractions terroristes, comme le soulignent les représentants du parquet national antiterroriste(8).

Dans cette même décision, le Conseil constitutionnel conditionnait également une nouvelle mesure de sûreté à l’absence de toute autre mesure qui, « suffisante pour prévenir la commission de ces actes », porterait moins atteinte aux droits et libertés constitutionnels. Or, en matière de lutte contre le terrorisme, des outils de prévention – par ailleurs fortement critiquables – existent déjà. Au premier rang desquels figure l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, qui permet de mener des enquêtes et des instructions, et de sanctionner la participation à une « entente établie en vue de la préparation » d’un acte terroriste( 9). Difficile dès lors de voir dans la nouvelle mesure autre chose qu’un outil de répression arbitraire, créé précisément pour s’affranchir du peu d’éléments objectifs encore nécessaires au déclenchement d’une enquête.

Un inquiétant régime « sur-mesure »

Cette nouvelle mesure de sûreté est la première à concerner exclusivement les auteurs d’infractions terroristes. Elle couvre même la quasi-totalité d’entre eux puisqu’elle vise tous ceux condamnés à une peine de prison d’une durée d’au moins cinq ans ferme(10). Son champ d’application est donc considérable, et contraste avec la durée minimum de quinze ans exigée pour les deux autres mesures de sûreté judiciaires post-peine – surveillance de sûreté et rétention de sûreté.

Parmi les obligations – cumulables qui plus est – qu’elle permet d’imposer, deux portent particulièrement atteinte à la liberté d’aller et de venir : celle d’établir sa résidence en un lieu déterminé et celle de suivre une « prise en charge sanitaire, sociale, éducative, psychologique ou psychiatrique, destinée à permettre la réinsertion et l’acquisition des valeurs de la citoyenneté » qui « peut, le cas échéant, intervenir au sein d’un établissement d’accueil adapté ». Cette dernière obligation ne peut qu’inquiéter : rien n’est dit sur les restrictions de liberté qu’elle pourrait emporter, ni sur les critères qui permettraient d’obliger la personne à y résider. L’étude d’impact du projet de loi se borne à indiquer que la prise en charge est susceptible d’intervenir au sein des centres Pairs(11).

Enfin, la loi propose un double critère pour qualifier la « dangerosité » des sortants de prison qui pourront faire l’objet de cette mesure : une « adhésion persistante à une idéologie ou à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme » et une « probabilité très élevée de récidive ». Mais le cumul de ces deux conditions paraît illusoire : la « probabilité très élevée de récidive » risque d’être retenue dès lors qu’une personne sera soupçonnée d’adhérer à une idéologie terroriste. Et c’est d’autant plus préoccupant qu’aucun acte matériel n’est exigé pour qualifier le critère de l’adhésion, le confinant au délit d’opinion.

Un objectif de réinsertion purement décoratif

Un an après avoir censuré une mesure du même acabit dont il jugeait les garanties insuffisantes, le Conseil constitutionnel valide cette nouvelle mouture. Elle n’intègre pourtant que bien timidement ses exigences, notamment en ce qu’il conditionnait la mesure de sûreté au fait d’« a[voir] pu bénéficier », au cours de sa peine, de mesures de nature à favoriser sa réinsertion. Avec la loi du 30 juillet, la personne devra seulement avoir été « mise en mesure d[’en] bénéficier ». Or, au sujet des personnes dites radicalisées, le CGLPL affirmait encore récemment que, « [de] l’avis de tous, le terrain de la préparation à la sortie n’est pas investi en détention »(12). Outre l’indigence persistante des moyens consacrés à la (ré-)insertion, la détention des condamnés pour des faits de terrorisme s’inscrit en effet dans une logique avant tout sécuritaire : placement à l’isolement, absence d’activité, difficulté d’accès au travail et aux formations, régimes de détention extrêmement stricts dans les quartiers d’évaluation ou de prise en charge de la radicalisation(13)…

Comme pour donner du relief à cet enrobage formel, le législateur habille la mesure d’une finalité de réinsertion, dont il va jusqu’à lui donner le nom au détriment de celui – moins vendeur – de « mesure de sûreté ». Il peine cependant à camoufler l’objectif réel de surveillance et de répression derrière des formules purement incantatoires. « Comment réinsérer quelqu’un qui a purgé sa peine, qu’on va considérer comme étant toujours dangereux, que le renseignement va surveiller en quasi-permanence et qui en plus a des obligations contraignantes ? », résume Serge Slama, professeur de droit public(14). Après une détention d’au moins cinq ans et sans préparation à la sortie, il paraît en effet aberrant de miser sur une mesure restrictive de liberté – pouvant elle-même durer cinq ans – pour favoriser la « réadaptation sociale » (pour reprendre les termes de l’étude d’impact). Au contraire, la stigmatisation et le sentiment d’injustice qui peuvent en découler risquent d’obstruer plus encore les perspectives de réinsertion.

Dans sa quête – vaine – du risque zéro, le législateur pérennise également les Micas, qui peuvent se cumuler à la nouvelle mesure de sûreté judiciaire et constituer autant d’entraves supplémentaires à l’insertion – notamment pour de nombreuses démarches administratives, professionnelles ou judiciaires. Ces héritières de l’assignation à résidence de l’état d’urgence visent à 80 % des personnes sortant de prison(15). Incorporées à titre temporaire dans le droit commun en 2017(16) malgré les fortes critiques qu’elles avaient suscitées, elles entrent donc de manière définitive dans notre ordre juridique.

Leur régime était déjà particulièrement contraignant : interdiction de se trouver en relation directe ou indirecte avec certaines personnes, interdiction de paraître dans certains lieux et obligation de se présenter régulièrement aux services de police. La loi en renforce encore la dureté : ces deux dernières contraintes, jusque-là exclusives l’une de l’autre, deviennent cumulables. Le législateur prévoyait également de passer leur durée totale d’un à deux ans. Un allongement censuré par le Conseil constitutionnel, « compte-tenu de la rigueur » des Micas(17).

Il n’en reste pas moins qu’en prévoyant un dispositif bicéphale pour les mêmes personnes – sortants de prison condamnés pour des faits de terrorisme –, avec le même objectif – la prévention de la récidive terroriste – et des critères similaires – la dangerosité ou la menace pour la sécurité –, la nouvelle loi acte « une confusion des genres inquiétante entre la matière pénale et la matière administrative »(18) qui va à l’encontre du principe de séparation des pouvoirs. Enfin, le fait que le non-respect de ces mesures soit sanctionnable de trois ans d’emprisonnement achève de noircir le tableau. À la peine d’enfermement exécutée peut succéder une mesure restrictive voire privative de liberté qui, elle-même, peut donner lieu à une nouvelle peine d’enfermement. Dans la continuité des lois anti-terroristes de ces dernières années, le renforcement sécuritaire – progressif mais musclé – des mesures réservées aux sortants de prison fait craindre une spirale infinie de la surveillance et de l’enfermement, dont on peut en outre redouter qu’elle soit, à l’avenir, étendue à de nouvelles catégories de personnes.

Par Prune Missoffe


Surveiller toujours plus longtemps : chronologie des mesures de sûreté

La première mesure de sûreté apparaît en 2005 avec la surveillance judiciaire. L’objectif du législateur est alors de pouvoir surveiller à leur libération les personnes qui sortent de prison en sortie dite « sèche » (fin de peine non aménagée). Il s’appuie pour cela sur un dispositif déjà existant, la peine de suivi socio-judiciaire (SSJ), créée en 1998, et qui consistait à soumettre des personnes condamnées pour des infractions à caractère sexuel à des interdictions et obligations ainsi qu’à une injonction de soin à leur sortie de prison. Avec la surveillance judiciaire, le législateur prévoit que les personnes qui n’ont pas été condamnées à un SSJ mais qui ont commis une des infractions pour lesquelles il est encouru pourront désormais se voir imposer les mêmes mesures de contrôle à leur libération, mais sur le temps des remises de peine dont elles auraient bénéficié pendant leur détention. Ce faisant, il ouvre la voie à l’élargissement progressif du SSJ – qui couvre aujourd’hui une large palette de crimes et délits portant atteinte à la vie, à l’intégrité ou à la liberté des personnes – le détournant de son objectif initial. Surtout, il prévoit que surveillance judiciaire et SSJ pourront désormais être assortis d’un placement sous surveillance électronique mobile (PSEM) : cette mesure particulièrement intrusive permet de suivre les déplacements, à distance et en temps réel, des personnes qui y sont soumises, pour une période de deux ans renouvelables. En 2008, le législateur passe un cran supplémentaire : il crée la surveillance de sureté qui permet, pour les personnes condamnées à un SSJ ou soumises à une surveillance judiciaire dont la période de contrôle s’achève, de prolonger les obligations et interdictions auxquelles elles sont soumises « tant que perdure la dangerosité » et pour une durée de deux ans renouvelables. Elle ne concerne en revanche « que » les personnes condamnées à une peine de plus de quinze ans d’emprisonnement pour certains crimes (notamment viol, meurtre ou assassinat, torture et actes de barbarie, enlèvement ou séquestration). Elle peut aussi faire suite à une rétention de sûreté. Créée par cette même loi, la rétention de sûreté est la mesure de sûreté la plus attentatoire aux libertés : elle permet de maintenir enfermées dans un centre dédié les personnes qui « présentent une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive parce qu’elles souffrent d’un trouble grave de la personnalité ». Elle est applicable aux mêmes personnes que la surveillance de sûreté et à condition que leur éventuel placement en rétention ait été prévu lors de la décision de condamnation.
En 2014, la loi dite « Taubira » est venue étendre à l’ensemble des personnes condamnées qui n’avaient pas bénéficié d’une libération anticipée et qui ne pouvaient se voir imposer une surveillance judiciaire la possibilité de les contrôler sur le temps des réductions de peine. Dans le cadre de ce suivi de fin de peine, qui ne peut être ordonné qu’« aux seules fins de favoriser l’insertion ou la réinsertion de la personne condamnée et de prévenir la commission de nouvelles infractions », elle peut se voir imposer différentes interdictions et obligations mais ne peut (à la différence des autres mesures de sûreté) être soumise à un placement sous surveillance électronique mobile. — Cécile Marcel


(1) Pour en savoir plus, lire le décryptage de Marion Pugliese, « Renforcement de la prévention d’actes de terrorisme : la loi publiée », Dalloz, 7 septembre 2021.
(2) Voir en particulier la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016. Lire également « L’aménagement de peine, un mirage qui s’éloigne de jour en jour », Dedans Dehors n°108.
(3) Loi n° 2016-731 du 3 juin 2016.
(4) CGLPL, Avis du 15 octobre 2015 relatif à la rétention de sûreté, p.4.
(5) Conseil constitutionnel, décision n°2020-805 du 7 août 2020.
(6) Voir notamment l’Avis sur le projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pour cause de trouble mental de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), 2008.
(7) La Commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté (CPMS).
(8) Rapport d’information n° 348 (2019-2020) de M. Daubresse au nom de la commission des lois du Sénat, 26 février 2020, sur le contrôle et le suivi de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017.
(9) Articles 421-2-1 et suivants du Code pénal.
(10) Ou d’une durée supérieure ou égale à trois ans lorsque l’infraction a été commise en état de récidive légale.
(11) Centres de prise en charge individualisée et pluridisciplinaire d’accueil individualisé et de réaffiliation sociale. Pour en savoir plus, lire : « Pairs, un dispositif de prise en charge de la radicalisation en milieu ouvert », Dedans Dehors n°108, octobre 2020.
(12) CGLPL, Prise en charge des « personnes radicalisées » et respect des droits fondamentaux, rapport, janv. 2020.
(13) Dedans Dehors n°108, « Prise en charge de la radicalisation en prison – La grande illusion », octobre 2020.
(14) « Terroristes sortant de prison, l’exécutif veut introduire un suivi judiciaire », La Croix, 2 juin 2021.
(15) G. Darmanin, ministère de l’Intérieur, lors de l’examen du projet de loi à l’Assemblée nationale, 1er mai 2021.
(16) Loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017, dite « loi SILT ».
(17) Conseil constitutionnel, n°2021-822, 30 juillet 2021.
(18) « Note d’alerte » adressée aux parlementaires sur le Projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement », co-signée par plusieurs associations, avocat·e·s, syndicats et universitaires, 11 juin 2021.