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Une question qui relève de la psychiatrie ?

Pour les personnels pénitentiaires qui travaillent à leur contact, les comportements des personnes qui cumulent les incidents en détention cachent souvent des troubles psychiques importants. Trois professionnels apportent leur éclairage.

Christine Dominique Bataillard, psychiatre à la maison d’arrêt d’Avignon-Le Pontet et la maison centrale d’Arles, contrôleure extérieure pour le Contrôle général des lieux de privation de liberté

« Parmi les personnes concernées par cette problématique, je pense qu’on peut distinguer deux catégories. Celles qui ont des troubles psychiatriques, de type schizophrénie ou psychose, sans forcément avoir été repérées. Il peut y avoir plusieurs passages à l’acte auto ou hétéro-agressif avant qu’elles ne soient identifiées et intégrées dans un parcours de soin. Pour ce premier groupe, qui relève de la psychiatrie, l’administration pénitentiaire est désarmée. La seule solution pour ces personnes, ce serait que la justice leur accorde une suspension de peine pour raisons psychiatriques. Mais cet aménagement de peine n’est malheureusement pas prononcé.
Et il y a une autre catégorie, que l’on peut qualifier de troubles de la personnalité. Il ne s’agit alors pas de personnes malades, mais d’individus qui présentent des troubles de l’adaptation, souvent liés à des carences éducatives et affectives, qui les ont d’ailleurs souvent conduits à commettre les actes délictuels qui les ont amenés en prison. Le rapport impossible à l’autorité, l’intolérance totale à la frustration forment une espèce de creuset, dans lequel explosent les passages à l’acte de manière indifférenciée. »

Cyrille Canetti, psychiatre à la consultation externe rattachée au Service médico-psychologique de La Santé

« Je ne pense pas qu’il faille éclairer ces comportements uniquement sous la lumière de la psychiatrie. Cependant, il est évident qu’il existe des profils particuliers. Je ne suis pas certain qu’il s’agisse le plus souvent de psychotiques, mais plutôt de personnes avec des troubles de la personnalité marqués, qui ont du mal à reconnaître l’autorité. Il faut dire que l’administration pénitentiaire est, en soi, une autorité qu’il n’est pas facile de respecter, dans la mesure où la règle change tout le temps : si vous vous adressez à cinq personnes détentrices de l’autorité différentes, vous obtiendrez cinq réponses différentes. L’univers carcéral est un monde d’arbitraire et d’abus de pouvoir. Il y a des personnes qui vont inverser les hiérarchies et considérer qu’elles ne peuvent pas laisser ces injustices se commettre. Certaines personnes défendent une cause. Lâcher, ce serait renoncer à toutes leurs valeurs, elles ne pourraient plus se considérer. J’ai un patient qui sort d’une peine de trente ans et qui m’a dit : « Vous savez ce qui m’a sauvé dans ce milieu, c’est l’humilité : à un moment donné, il faut se dire “je n’ai pas de revendication, pas le droit de prétendre à quoi que ce soit”. Et toujours accepter les coups. » C’est une renonciation quand même… »

Bérénice Vannesson, psychologue clinicienne dans le service de psychiatrie de la maison d’arrêt de la Santé, co-rédactrice d’une étude sur la délinquance carcérale

« Il y a des psychotiques gravement malades parmi les personnes touchées par les peines internes certes, mais pas que, et pas toutes. De même pour les personnes dites “psychopathes” ou “intolérantes à la frustration” : toutes ne vont pas rentrer dans des logiques de peines internes. Alors pourquoi, à situation égale, certaines lâchent et d’autres pas ? Il s’agit pour moi d’un phénomène aux multiples facteurs, qui relève notamment de la concomitance entre la prise dans un milieu qui confronte radicalement à l’arbitraire, au hors-sens, et à l’injustice, une situation particulière et enfin la manière dont elle va résonner subjectivement pour la personne, en fonction de son vécu du moment mais aussi de toute son histoire de vie. Certaines personnes sont parfois tellement sensibles que la moindre chose peut déclencher une réaction violente – et les “moindres choses”, ça arrive des dizaines de fois par jour en prison.Si l’administration pénitentiaire ne peut pas être tenue pour responsable de ce qui se passe de manière très intime pour le détenu, elle a en revanche le devoir de repérer ces situations et de favoriser une voie de sortie. Je ne crois pas que cela puisse passer par des protocoles institutionnels. Ce sont des situations qui doivent être prises au cas par cas. La responsabilité de l’institution pénitentiaire est à mon sens de favoriser les partages d’expérience – entre les surveillants comme entre les directeurs – en enjoignant aux professionnels de réfléchir à leur positionnement et en leur laissant une marge de manœuvre suffisante pour s’engager dans la recherche de solutions singulières, si ce n’est marginales. »

Propos recueillis par Laure Anelli