Free cookie consent management tool by TermsFeed

Zoo humain

Le regarder vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Savoir qu’il se « lave les dents à toute vitesse ». Qu’« il ne porte plus la djellaba ». Qu’il « range » sa cellule « au fur et à mesure, avec des gestes saccadés, rapides ». Qu’il « se lave les mains » lorsqu’il « sort des toilettes ». Qu’« il regarde assez peu l’Euro » et qu’« en revanche, son truc » – drôle de mise en abîme – c’est plutôt « la téléréalité »… C’est ce qu’autorise le dispositif de vidéosurveillance installé dans la cellule de Salah Abdeslam.

Six caméras qui couvrent jusqu’aux sanitaires et tournent en boucle. Avec, pour les surveillants qui se relaient continuellement derrière des écrans pour « noter scrupuleusement tous ses faits et gestes », la possibilité de « zoomer sur ce qu’il lit, ce qu’il mange ». C’est aussi ce que se permettent de divulguer des parlementaires à l’issue de visites de la prison de Fleury-Mérogis où il est détenu. Devant la figure du « monstre » il n’y a manifestement plus d’indécence.

© CGLPL

Ce qui justifie cette atteinte à la dignité d’une ampleur inédite ? La « protection » contre les risques d’évasion ou de suicide, selon l’arrêté qui prévoit ce dispositif de vidéosurveillance. Avec un détournement assumé du sens de la protection puisqu’il s’agit  en fait de s’assurer que Salah Abdeslam restera vivant jusqu’à son procès. Franchissant un nouveau cap dans le populisme pénal, l’arrêté va jusqu’à préciser que ces mesures s’appliquent à certaines personnes « eu égard aux circonstances particulières à l’origine de leur incarcération et l’impact de celles-ci sur l’opinion publique. »  Les mots sont lâchés. Pour satisfaire la soif de vengeance, on retire à un homme « l’unique liberté qu’il pourrait avoir, celle de se supprimer », comme le souligne l’un de ses gardiens. On impose des conditions de détention attentatoires à l’intégrité psychique. On bafoue les valeurs les plus élémentaires de l’état de droit. Et certains s’offusquent – à grand renfort médiatique – que celui que l’on veut « garder vivant » puisse… vivre, tout simplement. Surtout, on crée les conditions d’une expansion de ce dispositif à d’autres personnes détenues dont les crimes – et ils sont nombreux à en avoir le potentiel – sont susceptibles d’avoir un « impact » sur une opinion publique décidément bien malmenée.

Par Cecile Marcel et Marie Crétenot