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La réunion : des adolescentes détenues illégalement

Déhya aura passé plus de six mois en détention provisoire au centre pénitentiaire de Saint-Denis de La Réunion, un établissement censé être réservé aux majeurs, alors qu’elle était encore mineure. Affectée au quartier femmes, tout comme deux autres adolescentes, elle s’y est retrouvée d’autant plus isolée qu’elle ne recevait aucune visite. Une atteinte aux droits récurrente, notamment dans les territoires ultramarins.

Sur le papier, les choses sont claires : le Code de la justice pénale des mineurs (CJPM) précise que « les filles mineures sont nécessairement incarcérées en EPM [établissement pour mineurs] ou en unités spéciales pour mineures au sein d’une maison d’arrêt, et ne peuvent pas être incarcérées en quartier de femmes majeures ». Mais en l’absence de structure réservée aux jeunes filles à La Réunion, c’est bien au quartier femmes qu’a été affectée Déhya, alors âgée de 17 ans, à son arrivée à la prison de Saint-Denis en avril 2024. Une adolescente de 14 ans s’y trouvait déjà depuis plus de six mois, seule parmi les adultes ; elle a quitté l’établissement courant septembre, mais une autre jeune fille, âgée de 16 ans, est arrivée entre-temps. Déhya, pour sa part, a été rejointe en cellule par une majeure dès ses 18 ans, le 21 octobre.

Un isolement de fait

Avant cela, un certain nombre de dispositions ont été prises pour tenter de tenir les jeunes filles à l’écart des majeures. Les adolescentes n’avaient aucune activité en commun avec elles, et chacune de leurs sorties de cellule entraînait le blocage de tous les quartiers qu’elles traversaient. Les jeunes filles se sont donc retrouvées isolées de fait, alors même que la circulaire sur le régime de détention des mineurs proscrit toute mesure en ce sens(1). Qui plus est, Déhya ne recevait aucune visite, sa famille vivant en métropole, tout comme elle avant son arrestation. Comme les personnes placées à l’isolement, elle aura passé la plus grande partie de son temps en cellule, sans être autorisée à travailler : « J’ai demandé au capitaine, qui m’a répondu : “Tu ne peux pas, parce que tu n’as pas le droit d’être avec les majeures.” » Même chose pour les formations. Restait l’école, deux heures par jour hors des vacances scolaires, avec l’une puis l’autre adolescente.

En l’absence de personnel dédié et d’unité spécifique pouvant accueillir les activités des jeunes, l’administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ont imaginé un programme ad hoc, nécessairement insatisfaisant. Les quelques activités « collectives » qui leur étaient proposées se limitaient à elles seules, alors que les unités pour mineurs doivent normalement privilégier les temps collectifs regroupant les personnes en fonction de leur personnalité. Et si toutes n’étaient pas d’accord pour suivre un atelier, l’activité ne résistait pas longtemps : « On faisait du théâtre une fois par semaine, mais D. et G. ne voulaient plus en faire, donc l’activité a été supprimée, regrettait alors Déhya. Je suis pénalisée à cause de leurs choix. »

D’après la direction de l’établissement, Déhya avait accès à deux séances de sport par mois – soit bien moins que les adolescents détenus au quartier mineurs hommes. Et d’après Déhya, « ce [n’étaient] pas deux séances, mais une seule par mois ». La plupart des autres activités ont commencé après plusieurs mois d’incarcération : l’accès à la bibliothèque, par exemple, n’est devenu possible qu’en juillet, d’après la direction. « Et encore, c’est soit la bibliothèque, soit la promenade : il faut choisir », précisait là encore Déhya. Un atelier percussions prévu en mixité, avec des adolescents du quartier mineurs hommes, n’a été mis en place qu’à partir du mois d’août et ne s’est tenu que quelques fois : « C’est seulement quand la salle polyvalente est disponible, ce sont surtout les hommes majeurs qui l’utilisent. »

Privées des possibilités offertes dans les unités dédiées aux jeunes, les adolescentes ne pouvaient ainsi espérer intégrer le régime « responsabilité », censé donner accès à davantage de « temps collectifs » pour « accroître l’autonomie du mineur et […] consolider son projet de sortie ». Elles ne pouvaient même pas prendre de repas en commun, contrairement là encore à ce que prévoit le régime de détention des mineurs.

Ces fortes contraintes n’auront pourtant pas empêché tout contact entre mineures et majeures au sein de la prison, la présence des adolescentes au sein du quartier femmes rendant la séparation poreuse. Leurs cellules jouxtaient celles des adultes, incarcérées à plusieurs dans ce quartier où le taux d’occupation atteignait 175% au 1er août. « Quand je suis en cour de promenade, les majeures me parlent depuis leurs cellules. Certaines m’insultent, me menacent », confiait Déhya en août.

Des conditions de détention dégradées

À ce régime de privation se seront ajoutées des conditions de détention très dégradées. À l’arrivée de Déhya, les murs de sa cellule étaient écaillés et couverts de moisissures. Les adolescentes avaient l’interdiction de cantiner des produits frais pour leurs repas : « Tu n’y as pas accès parce que tu es mineure, c’est comme ça », aurait-on répondu à Déhya en guise d’explication. Sollicitée par l’OIP, la direction a confirmé que les mineurs n’avaient pas accès aux produits frais car ils n’ont en principe pas de frigo en cellule, ce qui était pourtant le cas de Déhya. La circulaire sur le régime de détention des mineurs définit en outre les cantines comme « un support intéressant pour mener une action éducative sur le rapport […] à l’hygiène alimentaire ».
Le quartier femmes du centre pénitentiaire de Saint-Denis est le plus surpeuplé d’Outre-mer, et le quatrième au niveau national. À l’étage où était détenue Déhya, six personnes se partageaient une cellule prévue pour deux. Une situation qui contribue à la dégradation des cellules, et qu’aggrave encore la détention d’adolescentes : l’encellulement individuel étant obligatoire pour les mineurs, les autres détenues doivent d’autant plus s’entasser.

Malgré tout, l’affectation de Déhya parmi les majeures n’aura pas fait obstacle à son maintien en détention, prolongé le 6 août, ni au rejet d’une demande de mise en liberté déposée par son avocat le 14 octobre. Au mépris de l’intérêt supérieur de l’enfant, censé être le « principe directeur de la procédure pénale applicable aux mineurs(2) », l’administration n’aura pas non plus jugé bon de transférer la jeune fille en métropole, laissant ainsi perdurer pendant des mois une affectation illégale. n