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Masques : la réalité de la production en prison

Face à l’urgence sanitaire, les détenus aussi se mobilisent pour produire des masques. Une initiative dont on peut se réjouir, mais qui ne doit pas faire oublier les conditions sociales et salariales dans lesquels travaillent les prisonniers.

Dans son allocution présidentielle du 13 avril, Emmanuel Macron a salué la « formidable mobilisation d’entrepreneurs et de salariés partout sur le territoire pour produire massivement [des masques] ». « Nos entreprises françaises et nos travailleurs ont répondu présent et une production, comme en temps de guerre, s’est mise en place : nous avons rouvert des lignes pour produire », a-t-il décrit. En prison aussi, des « lignes » de production ont progressivement ouvert. Notamment dans les huit ateliers du Service de l’emploi pénitentiaire (SEP[1]) spécialisés dans la confection : les maisons centrales d’Arles, Moulins et Saint-Martin-de-Ré (depuis le mois de mars), le quartier maison centrale de Valence, le centre pénitentiaire pour femmes de Rennes, les centres de détention de Châteauroux, Muret et Val-de-Reuil (depuis début avril). Cette semaine, cinq nouveaux ateliers de confections et de coupe d’élastique vont ouvrir, suite aux propositions des sociétés Gepsa (centres de détention d’Argentan, de Bapaume et du Havre) et Sodexo (Mont-de-Marsan et Joux-la-Ville). Les machines à coudre de la maison d’arrêt des Baumettes et du centre pénitentiaire de Perpignan doivent aussi reprendre du service dès la semaine prochaine. Fin avril, 140 personnes devraient ainsi être en poste pour atteindre un objectif de production ambitieux : 6 000 masques en tissu par jour.

« Il a fallu adapter des machines dont nous disposions. Dans l’atelier de Perpignan par exemple, il a fallu changer des pièces – les têtes – car on y cousait surtout du cuir », explique à l’Observatoire international des prisons (OIP) Albin Heuman, directeur de l’Agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle des personnes placées sous main de justice. La matière première et les patrons de ces masques sont fournis par deux groupements d’entreprises, le projet Résilience (initié récemment par le ministère du Travail) et la société lyonnaise Boldoduc, spécialisée dans le textile à usage technique.

Sur le plan sanitaire, le SEP affirme porter une attention particulière à l’aménagement spatial de ces ateliers et aux dispositifs visant à garantir la protection des personnes y travaillant : distances minimales entre chaque poste de travail, mise à disposition de gel hydro-alcoolique et… port de masques. D’après Albin Heuman, Gepsa et Sodexo se seraient engagées à garantir des conditions de travail similaires à celles des ateliers ouverts par le SEP.

Interrogée sur sa participation à cette opération, la directrice du centre pénitentiaire de Rennes Véronique Sousset a souligné le « geste citoyen, civique » des travailleurs concernés, leur participation « à l’effort collectif », leur « sentiment d’être utiles à la collectivité ». Albin Heuman a aussi précisé que les personnes employées dans ces ateliers seraient toutes « volontaires et payées ».[2] Si le travail n’est de toute façon plus obligatoire en prison depuis 1987, on peut en effet se réjouir que les quelques dizaines de personnes concernées puissent retrouver une source de revenus. Car en prison, toutes les activités de production – déjà peu nombreuses en temps normal, puisque seulement 11,7 % des hommes détenus travaillaient aux ateliers en 2018[3] – sont suspendues depuis la mi-mars et le début du confinement.

Cette opération exceptionnelle ne doit cependant pas occulter la réalité du travail en prison. Ainsi, pas plus qu’en temps normal, les détenus employés à la production de masques ne bénéficieront d’un contrat de travail, de congés payés, ou d’indemnités en cas d’accident du travail, d’arrêt maladie ou de chômage technique. Ils n’auront pas non plus le droit de se syndiquer et ne disposent d’aucun moyen de s’organiser pour défendre leurs intérêts. Et si, ici, les détenus seront payés[4] conformément au cadre fixé par la loi pénitentiaire de 2009 (qui garantit pour les travaux de production une rémunération de 45 % du SMIC), ce salaire minimum reste régulièrement ignoré tant par l’administration que par les entreprises concessionnaires, qui tendent à privilégier l’archaïsme du paiement à la pièce. Pour les commanditaires, produire en prison représente, le plus souvent, un intérêt économique : une main d’œuvre moins chère qu’à l’extérieur des murs. « En prison, il y a des détenus qui travaillent. Il n’y a pas de droit du travail », résumait, il y a cinq ans, une tribune signée par 375 universitaires appelant, comme l’OIP, au respect des droits fondamentaux et à la création d’un véritable statut pour les travailleurs détenus. En mars 2018, Emmanuel Macron avait déclaré : « On ne peut pas demander à des détenus de respecter la société, de pouvoir se réinsérer en elle [si] on nie [leur] dignité et [leurs] droits ». Avant d’énoncer la possibilité d’ « un lien contractuel avec les garanties qui s’y attachent ». Deux ans plus tard, toujours aucun projet de réforme à l’horizon.

Les masques confectionnés en prison équiperont des soignants de l’APHP (80 % des commandes environ) et des fonctionnaires du ministère de la Justice (des agents de l’Administration pénitentiaire[5] et de la Protection judiciaire de la jeunesse). « Dans quelques jours, nous pourrons donc être autonomes en matière de production de masques », s’est ainsi félicité la Direction interrégionale des services pénitentiaires de Marseille dans le journal La Provence[6].

Difficile néanmoins de ne pas souligner l’ironie de la situation : aucune partie de cette production ne sera destinée aux personnes incarcérées, alors même que celles-ci encourent un risque sanitaire majeur. « Les détenus ne bénéficient d’aucun masque, ni d’aucun gant, ni d’aucune possibilité de gel, donc ils sont les plus exposés » s’est indignée, le 11 avril, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, Adeline Hazan[7]. Quelques jours auparavant, le Conseil d’État avait rejeté un référé déposé par l’OIP, le Syndicat de la magistrature, l’association A3D et le Syndicat des avocats de France. Pour réduire les risques de contamination en prison, les organisations requérantes avaient notamment demandé la distribution de masques et de gel hydro-alcoolique (toujours interdit en prison) au profit de toutes les personnes détenues, particulièrement exposées mais aussi dangereusement éloignées des soins.

Par Sarah Bosquet

[1] Sur les 48 ateliers répartis dans 24 établissements pénitentiaires.
[2] AFP, 1er avril 2020.
[3] Et 14,7% travaillaient au service général, si bien que seulement 28,2% des détenus travaillaient en 2018.
[4] De quatre à huit euros brut de l’heure selon la technicité du poste de travail et l’ancienneté.
[5] Début avril, des syndicats pénitentiaires continuaient à signaler que les livraisons de masques chirurgicaux visant à équiper les agents travaillant au contact des détenus (surveillants et conseillers d’insertion et de probation notamment) restaient insuffisantes.
[6] La Provence, 14 avril 2020.
[7] France Info, 11 avril 2020.

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