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Prévention du suicide en prison : en finir avec une politique absurde et mensongère

Il est désormais manifeste que la nouvelle garde des Sceaux entend perpétuer la politique de prévention des suicides initiée en 2004 à l’issue du rapport Terra et caractérisée par une focalisation sur des dispositifs visant d'une part, à empêcher matériellement la personne de mettre fin à ses jours et, d'autre part, à prévoir les comportements auto-agressifs. Le plan pousse la logique à l'absurde, préférant gratifier de conditions de détention plus favorable le codétenu qui se voit déléguer la tâche de prendre en charge, en lieu et place de la puissance publique, la personne en crise suicidaire, plutôt que d'avoir à assouplir les conditions de détention de cette dernière.

En clair, le ministère achève de tourner le dos à la doctrine affirmée par la circulaire du 29 mai 1998, établissant qu’une « politique de prévention n’est légitime et efficace que si elle cherche, non à contraindre le détenu à ne pas mourir, mais à le restaurer dans sa dimension d’acteur et de sujet de sa vie ». Ce faisant, il va à l’encontre des réponses reconnues comme pertinentes par la profession médicale. La dernière conférence de consensus organisée sur le sujet avait conclu que « La réduction des espaces d’initiative du détenu comme prévention du passage à l’acte suicidaire ne semble pas une mesure de prévention efficace. Cela semble induire une réactivité paradoxale : la lutte contre les moyens suicidaires et la violence encourage involontairement les situations de crise. Il semble utile d’encourager plutôt une réflexion sur des supports et des espaces d’expression destinés aux détenus » (Conférence de consensus des 19 et 20 octobre 2000, réalisés par l’Agence française d’accréditation et d’évaluation en santé et la Fédération française de psychiatrie). 

Une politique de prévention du suicide déterminée et responsable implique d’opérer des transformations radicales dans le mode de fonctionnement des établissements pénitentiaires pour limiter la souffrance et le sentiment de disqualification que provoquent la vie derrière les murs. Elle nécessite de faire cesser les mesures anxiogènes voire mortifiantes et mortifères que sont notamment la dépossession de toute intimité, les punitions de quartier disciplinaire ou le régime d’isolement. Elle engage à normaliser les rapports entre personnels et détenus. Et elle encourage l’implication active du Ministère de la Santé pour que la question du suicide en milieu carcéral soit appréhendée comme un problème de santé publique et non de gestion de la prison. 

Pourtant, l’administration pénitentiaire, dans le cadre de sa logique strictement sécuritaire et gestionnaire, se montre convaincue de sa capacité à lire l’avenir des hommes dans des grilles d’évaluation et du bien-fondé de techniques oppressantes basées sur la contention et la surveillance accrue. 

Or, il résulte d’un document intitulé Bilan provisoire des suicides en 2008, établi le 6 janvier 2009 par la direction de l’administration pénitentiaire et que l’OIP rend public ce jour, que les mesures préconisées ont largement montré leurs limites. Ainsi, 71,5 % des détenus qui se sont suicidés durant l’année 2008 avait été repérés comme fragiles ou suicidaires et faisait l’objet de mesures spécifiques de suivi. 

 Cette étude suscite par ailleurs un doute sérieux quant à la crédibilité des statistiques officielles quant au nombre des suicides survenus en prison. Outre que ne sont pas comptabilisés les décès de personne libérées après leur tentative de suicide (levée d’écrou), il ressort du document interne de la direction de l’administration pénitentiaire qu’une large majorité des décès survenant en détention s’avèrent considérée comme des morts accidentelles alors que certaines seraient susceptibles d’être reclassées en suicides. Ainsi, on peut y lire que parmi les 131 décès enregistrés, hors suicides, en 2008, « 85 sont qualifiés « autres » (hors mort naturelle et homicide). Il convient de noter que les décès survenus suite à une ingestion médicamenteuse nécessiteraient un examen des résultats d’autopsie et, pour un certain nombre d’entre eux, une possibilité de reclassement en suicide. » Force est de constater que huit mois après la rédaction de cette étude, l’administration n’a pas opéré de correction des statistiques officielles, alors même que les délais de réalisation des investigations médico-légales dans le cadre des enquêtes pour recherche des causes de la mort, systématiquement ouvertes en cas de décès, sont relativement courts. Le nombre important des décès sur lesquelles portent les incertitudes exprimées par l’administration donne à penser que les chiffres du suicide sont assez nettement minorés. En outre, l’absence de correction des chiffres des années antérieures laisse présumer l’existence d’un chiffre noir des suicides en détention.

 L’attitude de l’administration pénitentiaire, qui empêche toute analyse documentée et rationnelle du phénomène du suicide en prison, pour se prémunir d’une remise en cause de ses modalités d’action, témoigne de la nécessité de confier au ministère de la Santé la responsabilité de la définition et de la mise en oeuvre de la politique de prévention. L’Observatoire international des prisons appelle le Parlement à se saisir de la question du suicide en prison au travers de la création en urgence d’une mission d’information susceptible de réorienter le projet de loi pénitentiaire soumis à l’examen de l’Assemblée le 15 septembre prochain.

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