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Allégations répétées de violences par les ERIS à la maison d’arrêt de Corbas (Rhône) : l’OIP demande l’ouverture d’une information judiciaire

Deux personnes ont récemment saisi le parquet de Lyon des « violences volontaires » qu'elles auraient subies lorsqu'elles étaient incarcérées à la maison d'arrêt de Lyon-Corbas. Ces plaintes concernent des agents des équipes régionales d'intervention et de sécurité (ERIS) de l'administration pénitentiaire, déjà mis en cause pour des faits semblables dans une plainte classée par le parquet de Lyon en septembre 2010. Pour l'OIP, la répétition de telles allégations nécessite l'ouverture d'une information judiciaire portant sur l'ensemble des faits dans le but d'apporter une explication sur l'origine des blessures constatées et sur les raisons de l'intervention physique des agents.

Les avocats de N.F. et de G.A. ont déposé plainte, le 12 janvier 2011, auprès du Procureur de la République de Lyon, pour « des faits de violences volontaires » dont leurs clients auraient été victimes lorsqu’ils étaient incarcérés à la maison d’arrêt de Lyon-Corbas. Les deux plaintes visent des « incidents » qui sont « survenus lors de l’intervention des ERIS » au sein de cet établissement, respectivement le 30 mai dernier et le 6 décembre 2009.

Dans la première plainte, N.F. déclare avoir fait l’objet, le 30 mai 2010 vers 18h, d’une intervention physique de personnels des ERIS au sein de sa cellule, lui ayant causé une interruption temporaire de travail (ITT) de 4 jours. Il joint un certificat médical établi le lendemain des faits, relevant qu’il « aurait reçu des coups de poing dans le thorax » et constatant en particulier des ecchymoses à divers endroits du corps et une douleur respiratoire au niveau « de la dixième côte ». Lors de l’audience disciplinaire à laquelle il était convoqué le 5 juillet pour avoir « insulté un personnel pénitentiaire » le jour de l’incident, N.F. expliquait avoir été agressé par « des agents cagoulés » qui « sont entrés dans la cellule, m’ont mis à genoux et m’ont donné des coups ». Il reconnaissait, « à ce moment là », « avoir insulté les surveillants ». C’est d’ailleurs le seul grief retenu contre lui par l’administration pénitentiaire pour le sanctionner de 10 jours de cellule de discipline avec sursis. Dans la procédure disciplinaire, l’administration pénitentiaire ne reprochait aucune violence physique à l’intéressé, n’apportant pas d’explication ni sur l’usage de la force utilisée à son égard, ni sur l’entrée des ERIS dans sa cellule. Dans sa plainte, l’avocat de N.F. rappelle que son client « n’était pas à l’origine des troubles » ayant conduit les ERIS à intervenir au sein de l’établissement ce jour là. Ces dernières avaient en effet été appelées après que la maison d’arrêt a alerté de la tentative d’évasion d’un prisonnier.

L’avocat de G.A. a également déposé plainte le 12 janvier dernier pour les violences que son client aurait subies lors de l’intervention des ERIS à la prison de Lyon-Corbas le 6 décembre 2009. Présents sur l’établissement en raison d’un « mouvement collectif de détenus » survenu l’après-midi même en cour de promenade, les ERIS étaient restés dans l’établissement pour assurer « la sécurité de la distribution du repas en raison de la tension persistante en détention » précise le chef d’établissement dans un courrier adressé à l’avocat de G.A. le 2 août 2010. Il indique que « lors de la distribution des repas à 18h20 », G.A « a tenté de sortir de force de sa cellule et a poussé l’agent d’étage », provoquant « immédiatement » l’intervention des agents des ERIS « pour maîtriser le détenu ». Il explique qu’aucune procédure disciplinaire n’avait été engagée à l’encontre de l’intéressé « en raison de [sa] maîtrise physique […] ayant permis de rétablir l’ordre », « en l’absence de blessures physiques pour l’agent victime des agissements de ce détenu » et « au vu des tensions survenues dans la journée ». Des tensions qui s’expliquent notamment par la suppression du second tour de promenade par l’administration pénitentiaire, suite à la mobilisation ayant eu lieu dans l’après-midi, et dont devait justement bénéficier G.A. En revanche, le directeur n’apporte aucune explication sur l’origine des blessures physiques de G.A., précisant seulement que les agents ont utilisé « la force strictement nécessaire » au cours de leur intervention. Sans relever d’ITT, un certificat médical établi peu après les faits constate pourtant des « dermabrasions multiples » à différents endroits du corps de G.A.- « avant-bras gauche », « omoplate gauche », « malaire gauche » notamment – ainsi qu’une « ecchymose cervicale postérieure ».

Ces deux plaintes font écho à celle déposée par L.H. en novembre 2009 pour des faits semblables, et classée sans suite par les services du parquet le 15 septembre 2010. Ce dernier se plaignait des blessures occasionnées par l’intervention de plusieurs membres des ERIS dans sa cellule le 22 novembre 2009 alors qu’ils avaient été dépêchés dans l’établissement suite à une importante protestation collective à laquelle il n’avait pas participé. L’avocat qui a défendu l’intéressé devant la commission de discipline le lendemain des faits se souvient qu’il « avait l’intérieur de l’œil rouge et une marque dans le cou ». Ce que confirme un certificat médical établi le lendemain de l’incident, ne prévoyant aucune ITT mais constatant que L.H. présentait « une dermabrasion au niveau du coude gauche », « une ecchymose cervicale droite » et « un hématome au niveau de la paupière supérieure gauche ».

Questionné par l’OIP le 9 février 2010, le parquet indique que, selon « les déclarations des personnels », l’intervention des cinq agents des ERIS dans la cellule a eu lieu à la suite d’une « agression d’un surveillant » par L.H. Il souligne toutefois que les vidéos produites dans le cadre de l’enquête ne permettent pas de vérifier cette version des faits, précisant que « rien ne permet de poursuivre » L.H. Une telle version est d’ailleurs contredite par la procédure disciplinaire engagée à l’encontre de l’intéressé, qui n’avait été poursuivi et puni de 5 jours de cellule disciplinaire que pour avoir « profér[é] des insultes ou des menaces » ce jour-là, aucune violence n’étant retenue contre lui. Le compte-rendu d’incident, établi un quart d’heure après les événements, se bornait quant à lui à justifier l’intervention des personnels dans la cellule par le fait que L.H. « a commencé par [les] insulter » puis « s’est montré agressif », sans plus de précision.

S’agissant de la plainte de L.H, le parquet estime qu’en l’absence de « témoignage suffisamment à charge », l’infraction dont il se plaint est « insuffisamment caractérisée ». Déjà au début de l’enquête préliminaire, les services du Procureur de la République reconnaissaient : « il sera difficile de faire la lumière dans ce dossier. C’est propre à toutes les organisations répressives organisées, on s’attaque à un système impénétrable ». Et de conclure le 9 février que, pour faire aboutir de telles procédures, « il faut accumuler » les plaintes.

Interrogé par l’OIP le 10 février 2011 sur les trois plaintes, la Direction interrégionale des services pénitentiaires de Lyon n’a pas souhaité « faire de commentaires ».

L’OIP rappelle :

– que, dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, lorsqu’un individu se plaint de façon plausible de mauvais traitements à l’encontre des agents de l’État, les autorités publiques ont l’obligation de réaliser des « investigations approfondies propres à conduire à l’identification et à la punition des responsables » (CEDH, Labita c/ Italie, 6 avril 2000 ; Indelicato c/ Italie, 18 oct. 2001, JCP G 2002.1.105). Selon la Cour, « S’il n’en allait pas ainsi, nonobstant son importance fondamentale, l’interdiction légale générale de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants serait inefficace en pratique, et il serait possible dans certains cas à des agents de l’État de fouler aux pieds en jouissant d’une quasi-impunité, les droits de ceux soumis à leur contrôle » (Labita c. Italie);

– que le Comité contre la torture de l’ONU s’est dit, le 14 mai dernier, « particulièrement préoccupé face à la persistance d’allégations qu’il a reçues au sujet de cas de mauvais traitements qui auraient été infligés par des agents de l’ordre public à des détenus et à d’autres personnes entre leurs mains ». Il a demandé aux autorités françaises de prendre « les mesures nécessaires pour veiller à ce que chaque allégation de mauvais traitements imputable à des agents de l’ordre fasse promptement l’objet d’une enquête transparente et indépendante, et que les auteurs soient sanctionnés de manière appropriée ». Quant à lui, le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) se dit « en principe, opposé au port d’une cagoule par le personnel pénitentiaire en raison de l’impossibilité d’identifier les personnes concernées en cas de mauvais traitement » (CPT, rapport du 10 décembre 2007, relatif à la visite en France du 27 septembre au 9 octobre 2006);

– qu’aux termes de l’article R. 57-7-83 du code de procédure pénale, « les personnels de l’administration pénitentiaire ne doivent utiliser la force envers les personnes détenues qu’en cas de légitime défense, de tentative d’évasion, de résistance violente ou par inertie physique aux ordres donnés, sous réserve que cet usage soit proportionné et strictement nécessaire à la prévention des évasions ou au rétablissement de l’ordre »

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