Saisi par l’OIP, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie condamne l’État, dans un jugement du 24 octobre 2024, en raison du délai anormalement long pris par l’administration pour respecter des ordonnances de référé visant à améliorer en urgence les conditions de détention au centre pénitentiaire de Nouméa. Une décision qui confirme l’inertie du ministre de la Justice en matière d’exécution des décisions juridictionnelles lui ordonnant d’agir contre l’indignité et les atteintes aux droits des personnes détenues.
Après avoir visité le centre pénitentiaire de Nouméa, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) dénonçait en décembre 2019 « une situation qui viole gravement les droits fondamentaux des personnes détenues »[1]. Ses constats étaient en effet alarmants : une surpopulation importante et structurelle soumettant les personnes détenues à une promiscuité insupportable, des containers maritimes faisant office de cellules délabrées, des locaux de détention sales, vétustes dotés d’équipements défectueux et d’installations électriques dangereuses, une situation sanitaire désastreuse, l’insuffisance de l’offre de soins ou encore le manque criant d’activités proposées aux personnes incarcérées avaient notamment été pointés.
Saisis en référé par l’OIP quelques semaines plus tard, le tribunal administratif, puis le Conseil d’Etat, avaient enjoint en urgence au ministre de la Justice de mettre en œuvre un ensemble de mesures visant à l’amélioration des conditions de détention, dans des décisions rendues en février, octobre et novembre 2020[2]. Dans les trois années qui ont suivi, l’OIP avait été contraint de saisir à nouveau la Justice pour contraindre l’administration à exécuter l’ensemble des injonctions prononcées.
En février 2024, l’OIP saisissait à nouveau le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie. L’association sollicitait cette fois l’engagement de la responsabilité de l’Etat du fait de l’exécution tardive des injonctions prononcées en urgence par le juge des référés en 2020. L’OIP reprochait à l’administration le délai excessif – de plusieurs mois, voire de plusieurs années – avec lequel cette dernière a exécuté les injonctions relatives à la possibilité pour les personnes détenues de laver leur linge, à la mise aux normes des installations, électriques, au remplacement des ventilateurs cassés ou défectueux, à la prévention des remontées d’égouts dans les cours de promenade, à l’aménagement des salles d’attente insalubres, à l’accès aux téléphones mis à disposition des personnes détenues dans les cours de promenade, aux conditions minimales d’intimité dans les parloirs, à la résorption de l’insalubrité des points d’eau et des sanitaires du quartier des mineurs, au recrutement d’un médecin addictologue, à la lutte contre la prolifération des moustiques, à l’installation d’abris dans les cours de promenade ou au remplacement des fenêtres défectueuses.
Par un jugement rendu le 24 octobre 2024, le tribunal a donc fait droit à la demande de l’OIP en constatant que l’Etat a commis une faute de nature à engager sa responsabilité. Il relève en effet que « plusieurs injonctions (…) visant à l’amélioration des conditions de détention du centre pénitentiaire de Nouméa n’ont été exécutées que très tardivement », et que l’administration n’a donc pas agi « dans les brefs délais qu’impliquait l’intervention du juge des référés ». Soulignant que l’exécution tardive des injonctions a porté « atteinte aux intérêts collectifs défendus par l’association requérante », et qu’elle a donc causé à l’OIP un « préjudice moral », le tribunal a condamné l’Etat à lui verser la somme de 1 500 euros.
Le 30 janvier 2020[3], la Cour européenne des droits de l’homme condamnait la France, non seulement pour l’indignité des conditions de détention dans plusieurs prisons vétustes et surpeuplées, mais aussi pour l’absence de voie de recours permettant aux personnes incarcérées dans de telles conditions d’obtenir la protection de leurs droits fondamentaux. A ce propos, elle déplorait notamment que l’exécution par l’administration des injonctions prononcées en référé à la demande de l’OIP pour améliorer les conditions de détention dans certains établissements pénitentiaires « connaît des délais qui ne sont pas conformes avec l’exigence d’un redressement diligent » (§ 219).
Près de 5 ans plus tard, le tribunal administratif de Nouméa confirme donc l’actualité persistante de ce déplorable constat.
Alors que les manquements répétés de l’administration en matière d’exécution des décisions de justice relatives aux conditions de détention seront prochainement réexaminés par la Cour européenne dans une affaire soumise par l’OIP[4], la perspective d’une nouvelle condamnation infamante de la France paraît désormais inévitable…
Contact presse : Sophie Deschamps – 07 60 49 19 96
[1] Recommandations en urgence publiées au JO le 18 décembre 2024
[2] TA Nouméa, 19 février 2020 ; CE, 19 octobre et 18 novembre 2020, n°439372
[3] CEDH 30 janv. 2020, J.M.B. et autres c. France, n° 9671/15 et 31 autres
[4] Requête n°45769/22, Section française de L’Observatoire International des Prisons c. France