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Isolement carcéral : le contrôle du juge des référés renforcé

Saisi en référé par une personne détenue soutenue par l’OIP, le Conseil d’État a opéré le 7 juin dernier un spectaculaire revirement de jurisprudence, estimant que les décisions de placement ou de maintien à l’isolement font naître une présomption d’urgence. Conséquence : le juge des référés devra désormais systématiquement contrôler les motifs de sécurité invoqués par l’administration pour justifier une mesure d’isolement. Et les détenus n’auront a priori plus à prouver la nocivité de cette mesure.

Imposé pour des motifs de sécurité, l’isolement carcéral a des conséquences considérables sur les conditions de vie des personnes qui y sont soumises. Pendant des périodes pouvant aller jusqu’à plusieurs mois, voire des années, celles-ci sont enfermées seules en cellule, écartées de toute vie collective et doivent en principe n’avoir aucun contact avec les autres détenus. Elles ne bénéficient que d’une heure quotidienne de promenade dans une cour dédiée au toit grillagé et n’ont souvent accès à aucune activité. L’isolement constitue ainsi un « emprisonnement dans la prison » selon les mots de la Cour européenne des droits de l’homme[1]. Et les « répercussions nocives que cette mesure peut entraîner sur l’état physique et psychique [des personnes visées] »[2] ont été maintes fois dénoncées : « altération des sens, déstabilisation des repères spatio-temporels, décompensation psychologique. À tel point que le personnel soignant la dénomme « torture blanche » »[3], notait la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) en 2004.

Depuis 2003[4], les personnes détenues peuvent demander l’annulation d’une mesure d’isolement au tribunal administratif, qui examine les recours dans un délai allant d’un à trois ans. Elles peuvent également saisir le juge des référés qui se prononce en urgence – quelques jours ou semaines – et peut décider de suspendre la décision d’isolement s’il estime que la situation est urgente et que la mesure d’isolement est illégale. Néanmoins, un recours en référé n’avait presque aucune chance d’aboutir.

Sur 104 requêtes déposées ces dernières années, 101 ont en effet été rejetées par les tribunaux administratifs, presque toujours pour absence d’urgence[5]. Le plus souvent, les juges ont reproché aux personnes détenues de ne pas démontrer que leur état de santé était incompatible avec l’isolement, une preuve généralement très difficile à apporter. Aussi, les requêtes étaient massivement rejetées sans même que le juge des référés ne vérifie si l’isolement était justifié, c’est-à-dire s’il était effectivement nécessaire pour des motifs de sécurité. Une situation manifestement contraire au droit à un recours effectif garanti par l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme[6].

Le 7 juin 2019, le Conseil d’État a opéré un spectaculaire revirement : admettant enfin que l’isolement cause par principe un préjudice grave et immédiat aux personnes détenues qui y sont soumises, il n’exige plus de ces dernières qu’elles démontrent l’existence d’une situation d’urgence, celle-ci étant désormais présumée. Une présomption d’urgence qu’il avait à trois reprises refusé de consacrer au cours des quinze dernières années[7]. Certes, l’administration conserve la possibilité, au cas par cas, de renverser cette présomption d’urgence. Mais elle ne pourra le faire qu’en démontrant que l’isolement est absolument nécessaire sur le plan de la sécurité. Dans tous les cas, donc, le juge des référés devra dorénavant contrôler les motifs de sécurité invoqués par l’administration et suspendre les mesures d’isolement qui ne reposent pas sur un impératif attesté de sécurité.

Si ce renfoncement absolument nécessaire du droit au recours des personnes détenues placées à l’isolement doit être salué, l’avancée ne sera cependant réelle que si, en pratique, les juges des référés exercent un contrôle poussé et exigeant des justifications apportées par l’administration.

Contact presse : Pauline De Smet · 07 60 49 19 96

[1] CEDH, 4 juill. 2006, Ramirez Sanchez c. France.
[2] Comité contre la torture des Nations unies, Rapport de visite de la France du 25 nov. 2006.
[3] Étude sur les droits de l’homme en prison, 11 mars 2004.
[4] CE, 30 juill. 2003, n° 252712.
[5] Conclusions de Mme la Rapporteur public Anne Iljic dans l’affaire commentée.
[6] Qui exige que le recours ouvert contre l’isolement donne lieu à un contrôle à bref délai des motifs de sécurité invoqués par l’administration pour justifier cette mesure ; CEDH, Ramirez Sanchez c. France, précit.
[7] CE, 29 décembre 2004, n° 268826 ; CE, 26 janvier 2007, n° 299267 ; CE, 1er février 2012, n° 350899.

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