Saisi par deux personnes détenues qui contestaient le régime de travail qui leur était applicable, le Conseil constitutionnel vient de consacrer la « zone de non-droit » qui caractérise le travail en prison. Dans sa décision du 14 juin 2013, le Conseil considère en effet que les dispositions de l'article 717-3 du Code du travail qui exclut les personnes détenues du bénéfice d'un contrat de travail ne portent « aucune atteinte » au « principe d'égalité » ni à « aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit ».
En d’autres termes, les Sages ont estimé constitutionnel le fait que les personnes détenues puissent être des travailleurs sans contrat, sans droit d’expression collective et soumis à des rémunérations en moyenne quatre fois inférieures au salaire minimum. Tout en précisant « qu’il est loisible au législateur de modifier les dispositions relatives au travail des personnes incarcérées afin de renforcer la protection de leurs droits ».
A défaut de censure constitutionnelle, l’évolution des droits des détenus travailleurs n’a plus d’autre issue qu’une décision politique. Or, dans un communiqué, la garde des Sceaux, Christiane Taubira s’est, déclarée satisfaite de la décision du Conseil constitutionnel en soulignant qu’il a su « prendre en compte les spécificités du travail en milieu pénitentiaire » et que l’acte unilatéral qui « lie l’administration pénitentiaire à la personne détenue pour déterminer les conditions de son activité » a d’ores et déjà « marqué un progrès considérable dans la reconnaissance des droits des détenus ».
Qu’en est-il de ce « progrès considérable » ? La loi pénitentiaire a prévu qu’un « acte d’engagement » professionnel doit être « signé par le chef d’établissement et la personne détenue » avant toute prise de fonction. Cet acte doit prévoir la « description du poste », les « horaires de travail » et les « misions principales à réaliser ». Il doit également indiquer les conditions de « rémunération ». Or, en pratique, ce document n’apporte aucune garantie, les personnes détenues restant soumises au desiderata de l’administration pénitentiaire ou des entreprises en termes notamment d’horaires et de rémunérations, ne pouvant se plaindre sans risque de perdre leur emploi. Elles ne peuvent écrire de manière confidentielle à l’inspection du travail (qui n’est compétente en prison que sur les questions d’hygiène et de sécurité). Les détenus peuvent travailler sept jours sur sept alors qu’elles devraient pouvoir bénéficier d’au moins un jour de repos hebdomadaire. Ou ne travailler que quelques heures par mois, sans aucune compensation des heures chômées.
D’autant que certains établissements ont « pour pratique de classer plus de personnes que de postes de travail », les détenus en surnombre servant alors de « variables d’ajustement aux aléas d’effectifs et de production » comme le rappelle le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (rapport 2011). Quant aux seuils de rémunérations, en principe de l’ordre de 20 % à 40 % du Smic horaire brut, ils ne sont pas respectés. Les détenus qui travaillent en atelier continuent d’être rémunérés à la pièce, sans aucun droit de regard sur les prix fixés. Certains perçoivent ainsi des rémunérations d’1 euro de l’heure.
Lors des débats relatifs à la loi pénitentiaire en 2009, le groupe socialiste à l’Assemblée nationale dont faisaient partie Christiane Taubira, François Hollande et Jean-Marc Ayrault, s’élevait contre ce statut dérogatoire et exigeait l’introduction de contrat de travail en prison (amendement n°114) :
« Pour nous, un travailleur en détention est certes un détenu mais c’est d’abord un travailleur. Cela implique que la personne incarcérée bénéficie d’un contrat de travail qui fixe ses devoirs et lui donne aussi accès à l’ensemble des droits sociaux » soulignait alors le groupe socialiste. « Aucun des arguments invoqués » pour refuser l’introduction d’un contrat « ne sous semble justifiable. Le contrat de travail (…) s’impose ».
Le groupe socialiste considérait également que « l’absence de droit du travail ruine la conception même du travail pénal comme outil d’insertion ».
Et, en effet, comment parler du travail en prison comme un levier d’insertion alors que les détenus se voient imposer le plus souvent des tâches non qualifiantes et abrutissantes (pli de prospectus, tris d’oignons, etc.) ? Qu’on ne leur permet pas d’avoir des garanties en termes de durée du travail ? Qu’ils sont exclus des règles relatives à la médecine du travail ? Qu’ils ne peuvent bénéficier d’indemnités journalières en cas d’arrêt de travail du à une maladie ou un accident ? Qu’on les soumet à des rémunérations qui leur permettent à peine de subvenir à leur besoins immédiats et encore moins de préparer leur sortie ?
Tous les détenus invités à s’exprimer lors de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive en février dernier ont souligné comme facteurs de récidive « les conditions indignes du travail en prison ». La ministre ne semble pas les avoir entendus. Il appartient dès lors au Parlement de se saisir de cette question et de garantir aux travailleurs détenus des conditions de travail respectueuses de leur dignité.