La commission d’enquête parlementaire sur « les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française », vient de publier son rapport. Si quelques propositions sont à saluer, ce rapport consiste essentiellement en un exercice de validation enthousiaste de la politique pénale et pénitentiaire mise en œuvre depuis le début du quinquennat d’Emmanuel Macron. Une politique pourtant largement critiquable, notamment sur le volet de la lutte contre la surpopulation carcérale. Surtout, le rapport porte une proposition dangereuse, en plaidant pour la remise en cause du principe d’encellulement individuel.
Si, en ce qui concerne la question des violences subies par les personnes détenues, les activités qui leur sont proposées ou l’amélioration de la prise en charge sanitaire, certaines des 55 propositions formulées dans ce rapport vont dans le bon sens, le principal objectif de cette commission d’enquête semble avoir été de légitimer les orientations prises ces dernières années en matière de prison.
Il en va ainsi, notamment, dans la large partie consacrée à la politique de construction de nouvelles places de prison. Après avoir rappelé la nécessité de lutter contre la suroccupation chronique des établissements pénitentiaires, tant pour l’amélioration des conditions de vie des personnes détenues que pour celle des conditions de travail du personnel pénitentiaire, la rapporteure Caroline Abadie (LREM) détaille les différents plans de construction qui se sont succédé ces dernières décennies. Reconnaissant qu’ « aucun programme immobilier n’a réussi à résorber la surpopulation carcérale », elle invite pourtant, quelques lignes plus loin, à poursuivre sur cette ligne. Certes, elle admet ensuite que « la construction de nouvelles places de prison ne doit pas être la seule réponse à la question de la surpopulation carcérale » et qu’une « attention particulière » doit être portée à la « politique pénale d’incarcération », mais ce n’est que pour mieux louer ensuite les diverses réformes récemment adoptées en la matière, pourtant largement insuffisantes, voire contre-productives[1].
Cette insuffisance, la députée en fait d’ailleurs elle-même l’aveu : la politique menée ne permettra pas d’atteindre l’encellulement individuel. Plutôt que de remettre en cause cette politique, elle propose alors, au nom du « pragmatisme », de remettre en cause l’encellulement individuel lui-même, dont il faudrait « oser repenser [le caractère] absolu ». En effet, poursuit-elle, cette règle n’aurait aucune raison d’être puisque les détenus ne souhaitent pas toujours être seuls en cellule. Si l’argument est réel, les textes sont cependant à cet égard très clairs – comme elle le rappelle plus loin : il s’agit d’un principe absolu, auquel il est néanmoins possible de déroger si le détenu en fait la demande ou si cela se justifie dans son intérêt. La rapporteure avance ensuite un argument de faisabilité, s’appuyant pour cela sur une estimation de la Cour des comptes : pour atteindre cet objectif, il faudrait entre 10 000 et 15 000 nouvelles cellules. Ce qui, entre la construction et l’augmentation des coûts de fonctionnement des établissements, se chiffrerait en milliards d’euros. Le principe d’encellulement individuel à 100%, inscrit dans la loi depuis un siècle et demi sans jamais être respecté, reste aujourd’hui objectivement inatteignable. Suivant une logique imparable, le rapport propose donc tout bonnement d’y renoncer[2].
Une proposition dangereuse à laquelle l’OIP s’oppose fermement. Ce principe constitue une boussole fondamentale et essentielle de la politique pénale et pénitentiaire française. C’est précisément ce que l’ancien sénateur UMP Jean-René Lecerf a expliqué à la commission lors de son audition, rappelant que la question avait déjà été discutée – et tranchée – en 2009 à l’occasion des débats autour de la loi pénitentiaire : « Même si le principe d’encellulement individuel n’était pas appliqué, sa simple existence permettait de limiter un certain nombre d’abus. Certaines situations imposent effectivement que l’on y déroge. Mais nous étions convaincus que la dignité exigeait le maintien de ce principe et que l’on tente d’en faire une plus grande réalité. »
Certes, toutes les personnes détenues ne souhaitent pas être seules en cellule. Mais le droit de pouvoir l’être doit leur être garanti à toutes.
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[1] Voir les observations et recommandations de l’OIP-SF sur la partie relative au sens et à l’efficacité de la peine du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice.
[2] Proposition n°23 : « Il conviendra d’oser questionner dans les mois qui viennent la pertinence de l’inscription dans notre droit d’un objectif de 100 % d’encellulement individuel. »