Dans une actualité brouillée par le mouvement des surveillants de prison, le binôme chargé du volet « sens et efficacité des peines » des chantiers justice a rendu son rapport. Si certaines des propositions sont préoccupantes et invitent à une vigilance accrue, d’autres posent les jalons d’une réforme fondamentale de la justice pénale. Arrimé à sa promesse de création de 15 000 places de prison, obsédé par l’objectif de lisibilité de la peine pour l’opinion, le gouvernement risque pourtant de passer à côté des propositions les plus ambitieuses de ce rapport.
Le 15 janvier dernier, Bruno Cotte et Julia Minkowski présentaient leurs propositions censées alimenter une réforme pénale pour le printemps prochain. Dans le même temps, le président Macron rappelait devant la Cour de Cassation sa promesse de construire 15 000 nouvelles places de prison. Et annonçait un « plan pénitentiaire global » pour fin février 2018, « qui concerne non seulement les questions immobilières mais aussi le personnel pénitentiaire, qu’il s’agisse des personnels de surveillance ou des personnels de probation et d’insertion ». Ce calendrier ne peut qu’étonner. Comment dissocier la réflexion sur la prison et le rôle des personnels d’insertion de celle sur le sens et l’efficacité de la peine ?
En toute logique, le problème est ici pris à l’envers : il faut repenser la politique pénale dans sa globalité, avant de chercher à définir la place de la prison dans cette politique. La ministre de la Justice devrait annoncer dans les prochaines semaines ce qu’elle retient des propositions préparatoires aux chantiers justice. Dans ce contexte précipité, perturbé par une crise pénitentiaire, le risque est réel qu’elle passe à côté des propositions les plus ambitieuses et novatrices du rapport Cotte-Minkowski pour ne retenir que les plus politiquement lisibles, mais potentiellement dangereuses.
Des propositions biaisées par un objectif de lisibilité
Le contexte dans lequel a été élaboré ce rapport n’est pas sans poser de problèmes de méthode : rédigé au pas de charge dans un calendrier contraint, il n’a pas permis de réelle consultation ni de réflexion en profondeur sur les causes de l’inflation carcérale qu’a connu la France ces trente dernières années. Le rôle central donné à la question de la lisibilité et de l’effectivité de la peine emmène par ailleurs les auteurs sur le terrain glissant consistant à penser le sens de la peine pour l’opinion publique davantage que pour les personnes condamnées elles-mêmes. Ainsi, s’ils recommandent le recours à d’autres pénalités que la prison, les alternatives promues (bracelet électronique, Travail d’intérêt général) s’inscrivent avant tout dans une logique de surveillance et de contrainte.
D’importants travaux de recherche ont pourtant dégagé qu’un suivi fondé sur les besoins et les problématiques de la personne était bien plus gage d’efficacité qu’un contrôle accru, aux effets potentiellement contreproductifs. À cet égard, la banalisation de la surveillance électronique ne peut qu’inquiéter. On est très loin de la philosophie du Conseil de l’Europe, pour lequel « l’exécution en milieu ouvert de sanctions et mesures » – c’est-à-dire la probation – consiste en « une série d’activités et d’interventions qui impliquent suivi, conseil et assistance dans le but de réintégrer socialement l’auteur d’infraction dans la société et de contribuer à la sécurité collective ».
La nécessaire décroissance carcérale pourtant affichée
Malgré cela, le rapport invite à un changement d’état d’esprit « car la surpopulation carcérale et les blocages qu’elle engendre ne sont pas une impasse », comme le rappellent ses auteurs, qui affirment qu’il est « possible de renverser la situation » et reprennent à leur compte certains des éléments clés d’une politique de décroissance carcérale.
Ainsi, ils proposent des mesures visant à réduire le nombre et la durée des placements en détention provisoire. Ils suggèrent de revoir l’échelle des peines afin que l’emprisonnement ne soit plus « qu’une peine parmi d’autres et non plus l’unique peine de référence ». Reconnaissant que les courtes peines de prison « ont un effet désocialisant majeur et qu’elles prédisposent à la récidive ce qu’il faut impérativement éviter », ils préconisent que, sauf exception motivée, les peines d’emprisonnement de moins de six mois soient systématiquement aménagées. Et proposent, en cas de peine d’emprisonnement, que soient facilitées les mesures de libération anticipée permettant d’éviter une sortie non accompagnée en fin de peine. Enfin, ils donnent des pistes pour revoir le régime des personnes condamnées à des moyennes et longues peines, notamment en ce qui concerne les périodes et mesures de sûreté. Ne manque plus que la dépénalisation d’un certain nombre d’infractions dont les auteurs du rapport disent timidement que « la question se pose » mais que « sans doute, le moment n’est-il pas encore venu »…
Une ambition incompatible avec le projet de construction
Mais les auteurs rappellent tout au long du rapport que, pour que ces mesures ne soient pas purement incantatoires, cela suppose que « soit acquise et concrétisée la volonté de doter l’ensemble des services concernés des moyens nécessaires ». Les services pénitentiaires d’insertion et de probation, en premier lieu, dont « un renforcement significatif des effectifs et des moyens » est posé comme préalable. Mais aussi le réseau associatif, acteur essentiel tant pour recueillir les éléments d’information qui permettront de personnaliser la réponse pénale que pour accueillir les personnes condamnées, par exemple dans le cadre de mesures de placement à l’extérieur. Et enfin, les magistrats, au cœur de cette réponse pénale.
Le projet de construction de 15 000 nouvelles places de prison en maison d’arrêt, forcément très onéreux, semble difficilement compatible avec cette ambition, et par ailleurs contradictoire avec la volonté des auteurs du rapport « de réduire voire supprimer le prononcé de courtes peines d’emprisonnement ». « La surpopulation est un symptôme, et je ne veux pas d’une réforme qui ne cherche qu’à faire tomber la fièvre plutôt que de s’attaquer à la maladie », déclarait M. Macron devant la Cour de cassation. Alors, plutôt que de construire toujours plus de prisons et soigner le mal par le mal, le gouvernement serait inspiré de revoir la temporalité de ses réformes pour que l’omniprésence de la prison ne vienne pas, une fois encore, amputer la nécessaire refonte de la politique pénale. Et de mettre en œuvre une réforme en profondeur, qui garderait les propositions les plus ambitieuses du rapport Cotte Minkowski et ne se limiterait pas à des mesures cosmétiques, aux effets potentiellement dévastateurs. Saura-t-il relever ce défi ?
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