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Surpopulation carcérale : la CEDH condamne la France à y mettre un terme

Dans un arrêt historique rendu le 30 janvier, la Cour européenne des droits de l’homme condamne la France pour conditions de détention inhumaines et dégradantes, mais elle l’invite aussi à prendre des mesures générales pour mettre fin à la surpopulation qui gangrène les prisons françaises. En outre, constatant l’ineffectivité des voies de recours offertes aux personnes détenues, la Cour recommande de mettre en place un mécanisme leur permettant « de redresser la situation dont ils sont victimes ». Cette décision intervient à l’issue de cinq années d’une campagne contentieuse orchestrée par l’OIP.

Par son arrêt rendu le 30 janvier[1], la CEDH, saisie de 32 requêtes individuelles, condamne la France pour traitements inhumains et dégradants (violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme) en raison des conditions de détention imposées aux requérants et pour le non-respect du droit à un recours effectif (violation de l’article 13). Surtout, la Cour constate que « les taux d’occupation des prisons concernées révèlent l’existence d’un problème structurel » et recommande à la France « l’adoption de mesures générales visant à supprimer le surpeuplement et à améliorer les conditions matérielles de détention », ainsi que de mettre en place « un recours préventif permettant aux détenus, de manière effective, en combinaison avec le recours indemnitaire, de redresser la situation dont ils sont victimes ». Il s’agit là d’un arrêt historique qui, selon la juge européenne O’Leary « jouera un rôle important de catalyseur des changements qui doivent être opérés par l’État. »

Des conditions de détention indignes

Six établissements pénitentiaires sont concernés par cette décision : ceux de Fresnes, Nîmes, Nice, Ducos (Martinique), Baie-Mahault (Guadeloupe) et Faa’a Nuutania (Polynésie). Contraints d’y cohabiter à deux, trois ou quatre dans des cellules prévues pour une ou deux personnes, les requérants dénonçaient notamment la promiscuité, à laquelle s’ajoute le manque d’intimité jusqu’aux toilettes, pas toujours cloisonnés : à Nice, une femme explique ainsi que « pour couvrir les bruits, [elle] ouvre le robinet du bidet à fond et tire la chasse en même temps, ce qui permet aussi d’éviter les odeurs au maximum ». À Ducos, « ceux qui dorment à terre cohabitent avec des cafards, des souris, des scolopendres, avec les risques de piqûres mortelles que cela peut entraîner ». Idem à Fresnes, où les plaignants évoquent les cris des rats et les traces laissées sur leur corps par les piqûres des punaises.  À Nuutania, « les jours chauds, même la respiration est difficile parce que le toit se réchauffe et la cellule devient un sauna », alors qu’à Fresnes, les détenus précisent que faute de chauffage dans les cellules, « en hiver on ferme et on met le plus de vêtement possible ». Dans le centre pénitentiaire polynésien, les détenus évoquent des cellules aux murs sales, au sol qui s’effrite, des canalisations qui fuient… Un constat accablant pointé unanimement par de nombreuses institutions (CGLPL, DDD, CNCDH, CNB, barreaux et organisations d’avocats), qui se sont associées à la plupart des requêtes déposées devant la Cour. Et qui reste d’actualité, dans les établissements visés[2] mais aussi dans la plupart des prisons françaises : au total, 119 établissements (dont 111 maisons d’arrêt ou quartiers maisons d’arrêt) sont suroccupés. Et parmi les 70 818 personnes détenues, 39 241 sont hébergées dans un établissement occupé à plus de 120%, et 20 267 à plus de 150%.

Au-delà des six établissements directement concernés, la Cour vient justement condamner le caractère structurel des mauvaises conditions de détention en France, et demande à la France de prendre des mesures permettant « la résorption définitive de la surpopulation carcérale ».

Pour des voies de recours effectives

Mais la Cour condamne aussi la France pour violation de l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme, sanctionnant l’absence de voies de recours internes effectives permettant de remédier à des conditions de détention contraires à la dignité humaine. En particulier, elle souligne l’inefficacité actuelle des procédures de référé susceptibles d’être  engagées devant le juge administratif, et notamment du référé-liberté. D’une part, le pouvoir d’injonction conféré au juge des référés par la jurisprudence « a une portée limitée ». Ce dernier estime en effet qu’il n’est pas dans son office de prononcer des mesures structurelles telles que la rénovation de bâtiment ou le renforcement des moyens des services d’insertion et de probation dans un établissement par exemple. Seules des mesures ponctuelles et limitées, n’ayant généralement que peu d’effets sur les conditions de détention peuvent être obtenues. D’autre part, la Cour relève que le juge des référés fait dépendre son intervention « des moyens dont dispose l’administration ». Ainsi, cette dernière peut invoquer « l’ampleur des travaux à réaliser ou leur coûts pour faire obstacle au pouvoir d’injonction du juge des référés ». Enfin, la Cour souligne que l’exécution des injonctions prononcée connaît « des délais qui ne sont pas conformes avec l’exigence d’un redressement diligent » et que ces prescriptions « ne produisent pas toujours les résultats escomptés ».

Cinq années de campagne contentieuse

Face à l’indignité des conditions de détention et à l’ineffectivité des recours internes pour y mettre un terme, l’OIP décidait en 2015 d’engager une campagne devant la Cour européenne des droits de l’homme. En février 2015, l’OIP accompagnait ainsi le dépôt des premières requêtes individuelles émanant de détenus du centre pénitentiaire de Ducos. Ont suivi Nîmes (mars 2015), Nuutania (juin 2016), Nice (2017) et enfin Fresnes (novembre 2017). Au total, une quarantaine de requêtes ont été déposées visant sept établissements. Les objectifs qui présidaient à cette campagne sont aujourd’hui remplis. D’une part la Cour constate le caractère structurel des mauvaises conditions de détention en France, alimenté par une surpopulation chronique, et demande aux pouvoirs publics d’agir pour y mettre un terme. Mais elle dénonce aussi les carences des voies de recours internes.  L’arrêt de la CEDH implique donc de la juridiction administrative qu’elle fasse évoluer sa jurisprudence dans un sens plus protecteur des droits fondamentaux des personnes détenues.

Et après ?

Par son appel à la mise en œuvre de mesures structurelles visant la résorption définitive de la surpopulation carcérale, cet arrêt vient rappeler que les politiques pénales et pénitentiaires menées ces vingt dernières années ont échoué. La population carcérale n’a cessé d’augmenter (passant de 47 837 au 1er janvier 2001 à 70 818 au 1er octobre 2019), et les établissements, faute de budget suffisant alloué à l’entretien, n’ont cessé de se dégrader. S’entêtant dans une course à la construction de nouvelles prisons, les gouvernements successifs ont totalement délaissé les mesures permettant de développer des alternatives à l’incarcération et de mettre en place une véritable politique réductionniste, seuls remparts effectifs et pérennes à la surpopulation carcérale et à l’indignité des conditions de détention. La réforme de la Justice votée en mars 2019, dont le volet « Sens et efficacité des peines » n’est pas encore pleinement effectif (l’un de ses principaux axes doit entrer en vigueur le 25 mars prochain), ne s’attaque pas au cœur des mécanismes qui concourent à l’inflation carcérale continue de ces quinze dernières années. Sans une politique déflationniste volontariste, la France persiste à foncer droit dans le mur.

Contact presse : Pauline De Smet · 01 44 52 88 00 · 07 60 49 19 96

[1] Arrêt J.M.B. et autres c. France, 30 janvier 2020.
[2] À Nîmes, selon les derniers chiffres (au 1er octobre 2019), le taux d’occupation est de 210,5% ; 189,4% à Baie-Mahault, 166,6% à Fresnes, 145,3 à Ducos, 158% à Nuutania.

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