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Un désaccord entre deux administrations bloque un détenu depuis plus de 8 mois à la prison des Baumettes

Placé en détention provisoire à la prison des Baumettes en mai 2015, Kamel S. aurait dû être transféré à la maison d’arrêt (MA) de Béziers en août 2015, à la suite d’une décision du juge d’instruction en charge de son dossier. Ce transfert devait permettre de le rapprocher de Perpignan, où son affaire est instruite, ainsi que de sa famille, qui y réside. En vain, il a été bloqué à la suite d’un conflit de compétence entre l’administration pénitentiaire et la gendarmerie. Une situation ubuesque alors que Kamel S. a été conduit le 27 avril dernier à Perpignan pour y être entendu et doit encore y être convoqué demain, 3 mai 2016. Mais qui n’a rien d’exceptionnel : de nombreux transferts sont actuellement bloqués, alors même qu’ils ont été ordonnés par un juge d’instruction.

© Bertrand Desprez /Agence Vu

Le matin du 27 avril 2016, Kamel S. est extrait du centre pénitentiaire des Baumettes, à Marseille, vers le tribunal de grande instance (TGI) de Perpignan où est instruite son affaire. Sa famille, accompagnée de Me Roubaud, son avocat marseillais, en profite pour demander qu’il soit incarcéré à Béziers à la suite de son audition. Le juge d’instruction en charge du dossier de Monsieur S. a en effet requis son transfèrement vers la maison d’arrêt de Béziers, distante de 90 km de Perpignan, depuis le mois d’août 2015. Prenant la peine de redemander à plusieurs reprises l’exécution de cette décision à l’occasion de certaines de ses extractions devant le TGI de Perpignan.

Mais le soir même, Kamel S. retourne dans sa cellule marseillaise. « On est face à la déshumanisation absolue du fonctionnement de l’administration pénitentiaire » déplore Me Roubaud, qui s’indigne que « des ordres de magistrats ne soient pas suivis d’effet parce qu’on n’arrive pas à identifier quelle autorité est compétente pour les exécuter ».

Cette situation est née de la confusion qui règne entre l’administration pénitentiaire et les forces de l’ordre (services de police ou unités de gendarmerie) pour la désignation de l’autorité encharge du transfèrement judiciaire d’une personne prévenue. Le transfert de cette compétence des forces de l’ordre vers l’administration pénitentiaire était prévu par la loi pénitentiaire de 2009 mais contesté par les syndicats de l’administration pénitentiaire, qui dénonçaient une nouvelle augmentation de la charge de travail sans le renfort de personnels annoncé. Une circulaire du 2 septembre 2011 organise l’échelonnement progressif de ce transfert selon un calendrier fixé par le ministère de la Justice. Ainsi, le Languedoc-Roussillon et les Bouches-du-Rhône doivent voir s’appliquer cette nouvelle règle respectivement en 2017 et 2019. Cependant, le 7 mai 2015, une dépêche de la garde des Sceaux, adressée aux présidents et procureurs des tribunaux de grande instance et des cours d’appel, ainsi qu’aux directeurs interrégionaux des services pénitentiaires, précise qu’il « apparaît opportun que l’autorité judiciaire saisisse, pour compétence, l’administration pénitentiaire de toute situation exclusive des strictes nécessités de l’information judiciaire » et prend pour exemple le cas du rapprochement familial. Ce paragraphe, outre sa formulation vague, ne saurait clarifier ce qui doit s’appliquer à la situation de Kamel S. dont l’ordre de transfert a été requis pour un rapprochement familial mais également pour des nécessités procédurales puisque le tribunal où est instruit l’affaire est celui de Perpignan.

Ce conflit de compétence maintient de nombreuses personnes détenues dans une situation d’éloignement portant atteinte à leur droit fondamental à une vie privée et familiale. Depuis son placement en détention provisoire au centre pénitentiaire des Baumettes en mai 2015, la famille de Kamel S. doit effectuer près de 700 km aller-retour pour lui rendre visite au parloir. Enceinte au moment de l’incarcération de son compagnon, Aurélie P.* s’indigne du fait « qu’il n’ait pu voir sa fille nouvellement née qu’une seule fois, le 3 octobre 2015 » et qu’il n’ait pu voir son autre fille que trois fois. En cause, le coût et l’organisation que représente un tel trajet. « Un aller-retour entre Perpignan et Marseille nous coûte 145€, sans compter les repas, et on doit quitter la maison à 6h du matin pour n’y retourner qu’à 21h » explique la mère du prévenu.

Cette situation n’est pas exceptionnelle. Selon une source pénitentiaire, entre les mois de janvier et août 2015, 25 personnes détenues ont vu leur transfert judiciaire impacté par cette discorde administrative. Ainsi, Farid G.*, incarcéré aux Baumettes, attend d’être transféré vers le centre pénitentiaire de Toulon depuis le 27 novembre 2015, date à laquelle le juge d’instruction a requis son transfèrement afin de le protéger des violences et menaces de mort dont il a fait l’objet dans l’établissement marseillais. Un magistrat perpignanais connaît une situation similaire avec un autre prévenu, « détenu à la MA de Perpignan, et qui attend son transfert pour rapprochement familial,  alors que j’en ai donné l’ordre en 2015 », explique-t-il à l’OIP.

Kamel S. est à nouveau convoqué le 3 mai au TGI de Perpignan. Son avocat profitera une nouvelle fois de l’occasion pour demander à ce qu’il ne retourne pas aux Baumettes.

 

NB : Les prénoms ont été modifiés.

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