Saisir le juge administratif

Divers types de recours sont à disposition des personnes détenues pour demander l'annulation d'une décision prise par l'administration pénitentiaire ou sa suspension, la protection d'une liberté fondamentale, la réparation d'un préjudice né d'une décision illégale ou d'une faute de l'administration pénitentiaire ou encore la désignation d'un expert.
Les juridictions compétentes sont les tribunaux administratifs (TA), les cours administratives d'appel (CAA) et le Conseil d'État (CE).
L'effectivité de certains recours et l'efficacité de l'intervention du juge administratif sont toutefois loin d'être pleinement garanties à ce jour. S'il existe des procédures de référé, qui permettent au juge de se prononcer dans des délais très courts, ce dernier a une appréciation très restrictive de la condition d'urgence à laquelle est soumise la suspension d'une décision ou d'un comportement de l'administration. Exercer un recours ne permettra donc que rarement d'empêcher ou de faire cesser rapidement l'exécution d'une décision illégale prise à l'encontre d'un détenu.

Les personnes détenues peuvent exercer différents recours devant le juge administratif.

Le plus connu est le « recours pour excès de pouvoir » (ou recours en annulation), par lequel il est demandé au juge de contrôler la légalité d’une décision administrative et de prononcer éventuellement son annulation.

S’il y a une situation d’urgence, une procédure en référé peut être engagée pour obtenir la suspension d’une décision illégale (« référé-suspension »), pour faire cesser une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale (« référé-liberté »), ou pour remédier à une situation préjudiciable au détenu (« référé-mesures utiles »).

Il existe d’autres procédures de référé, cette fois non liées à une situation d’urgence : le « référé-constat » (obtenir la désignation d’un expert pour constater sans délai des faits susceptibles de donner lieu à un litige devant la juridiction administrative), le « référé-instruction » (demander au juge de prescrire toute mesure utile d’expertise ou d’instruction), le « référé-provision » (obtenir une provision sur le montant d’une indemnisation due par l’administration).

Les personnes détenues peuvent enfin saisir le juge pour obtenir une indemnisation en réparation du préjudice né d’une décision ou d’une action fautive de l’administration pénitentiaire (« recours indemnitaire » ou « recours en responsabilité »).

Le recours à un avocat n’est obligatoire que dans le cadre de certaines procédures :

Pour les autres procédures, le recours à un avocat n’est pas obligatoire mais reste préférable, afin d’éviter de commettre des erreurs tant au niveau de l’argumentation juridique que sur un plan procédural, tactique ou technique (article R.432-2 du Code de justice administrative).

Il est vivement recommandé de solliciter un avocat spécialisé en droit public ou ayant au moins une certaine expérience du contentieux devant les juridictions administratives.

En cas de besoin, la personne détenue peut demander au bâtonnier de lui indiquer les avocats spécialisés en cette matière (voir l’annuaire des avocats et des barreaux sur le site du Conseil National des Barreaux).

Toutes les décisions prises par l’administration pénitentiaire peuvent-elles faire l’objet d’un recours d’un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif ?

Les personnes détenues peuvent solliciter l’annulation des actes « réglementaires » édictés par l’administration pénitentiaire. Un acte est dit « réglementaire » lorsqu’il a un caractère général et impersonnel, c’est-à-dire lorsque la règle qu’il pose s’adresse à une ou plusieurs personnes désignées abstraitement : il s’agit des décrets, circulaires impératives, règlements intérieurs des établissements, notes de service, etc.

Les détenus peuvent par ailleurs contester les « décisions individuelles » qui les concernent personnellement, c’est-à-dire qui ont été prises spécifiquement à leur égard.

Certaines décisions ne sont néanmoins pas susceptibles de faire l’objet d’un recours : ce sont les décisions regardées par le juge comme ne faisant pas grief à leur(s) destinataire(s) et que l’on désigne par l’expression de « mesures d’ordre intérieur ».

 Quel est le domaine des mesures d’ordre intérieur ?

Pendant longtemps, les décisions prises par l’administration pénitentiaire ont été dans leur immense majorité regardées par le juge administratif comme des « mesures d’ordre intérieur », insusceptibles de recours. Cette position était incompatible avec le droit à un recours effectif garanti par la Convention européenne des droits de l’homme, et le domaine des « mesures d’ordre intérieur » n’a cessé de se réduire depuis le milieu des années 1990 dans le champ pénitentiaire, sans toutefois disparaître totalement.

La question de savoir si une décision peut faire l’objet d’un recours est tranchée par le juge administratif. Pour cela, il tient compte de la nature de la décision d’une part et de l’importance de ses conséquences sur la situation et les conditions de détention de la personne d’autre part.

Certaines décisions ont été reconnues comme faisant grief « par nature » et pouvant toujours être soumises au contrôle du juge administratif.

Il s’agit notamment de/du :

Inversement, certaines catégories de décisions prises par l’administration pénitentiaire sont toujours considérées comme des mesures d’ordre intérieur  et sont donc en principe insusceptibles de recours :

– la décision par laquelle le directeur d’une maison d’arrêt refuse d’acheminer un courrier adressé par un détenu à un autre détenu (CE, Frérot, 8 janvier 2000, n° 162995) ;

– les décisions de refus d’emploi (CE, Planchenault, 14 décembre 2007, n° 290420);

– les décisions de première affectation dans un établissement pénitentiaire ainsi que les décisions de changement d’affectation d’une maison d’arrêt à un établissement pour peines, ou d’un établissement à un autre de même nature (CE, garde des Sceaux c/M. Boussouar, 14 décembre 2007, n° 290730 ; CE, Miloudi, 27 mai 2009, n° 322148) sauf, dans ce dernier cas, si ce changement d’affectation s’accompagne en pratique « d’une modification du régime de détention entraînant une aggravation des conditions de détention » (CE, 13 novembre 2013, n°355742).

– les décisions relatives aux visites qui ne toucheraient pas aux modalités fondamentales de leur organisation (cf. à contrario la motivation de l’arrêt du CE, garde des Sceaux c/M. Bompard, 26 novembre 2010, n° 329564) ;

– les décisions rejetant une demande de changement d’établissement (CE, M.A, 13 novembre 2013, n° 338720).

Il est très important de préciser qu’une décision habituellement qualifiée de mesure d’ordre intérieur pourra néanmoins faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, si elle « met en cause des libertés et des droits fondamentaux des détenus » (CE, Planchenault, 14 décembre 2007, n° 290420), à condition que cette atteinte « excède les restrictions inhérentes à la détention ». Si le juge admet qu’une telle atteinte a été portée, il vérifiera dans un second temps la légalité de cette atteinte en procédant à l’examen au fond du recours.

Ainsi, le changement d’affectation d’un établissement pour peines vers un autre établissement de même nature constitue habituellement pour le Conseil d’État une mesure d’ordre intérieur qui ne peut pas faire l’objet d’un recours (sauf lorsque ce changement s’accompagne d’une modification du régime de détention entraînant une aggravation des conditions de détention). Mais si ce changement d’affectation éloigne beaucoup le détenu du domicile de sa femme et de ses enfants qui le visitaient régulièrement, le juge acceptera tout de même d’examiner le recours au motif qu’« une telle décision bouleverse, dans des conditions qui excèdent les restrictions inhérentes à la détention, son droit de conserver des liens familiaux ». Pour autant, l’annulation n’est pas certaine, le juge pouvant ensuite estimer que l’atteinte portée à la vie familiale n’est pas disproportionnée (CE, Miloudi, 27 mai 2009, n° 322148).

Aux côtés du droit au respect de la vie familiale, d’autres droits et libertés fondamentaux des détenus ont ainsi été consacrés par la jurisprudence : le droit au respect de la vie privée et de l’« intégrité de la personnalité des détenus » (CE, OIP, 31 octobre 2008, n° 293785 ; CE, 26 octobre 2011, n° 350081), le « consentement libre et éclairé du patient aux soins médicaux qui lui sont prodigués », ainsi que le « droit de chacun au respect de sa liberté personnelle qui implique en particulier qu’il ne puisse subir de contraintes excédant celles qu’imposent la sauvegarde de l’ordre public ou le respect des droits d’autrui » (CE, garde des Sceaux c/M. Bunel, 8 septembre 2005, n° 284803), le droit de ne pas subir de traitements inhumains ou dégradants, et le droit au respect de la dignité (CE, A. et OIP, 20 mai 2010, n° 339259 ; CE, B., 20 mai 2011, n° 326084), les droits de la défense (CE, 20 janvier 2011, n° 345052), la liberté de conscience et de culte (CAA Paris, 30 mai 2011, n° 10PA03619), ou encore le droit de tout détenu de voir sa situation traitée dans le respect des règles de compétence et de procédure fixées par le code de procédure pénale (CE, 30 juillet 2015, n°392100). En revanche, il a par exemple été jugé que ne constituent pas des libertés fondamentales : l’objectif de réinsertion sociale des détenus (CE, M. Chevalier, 19 janvier 2005, n° 276562), le droit à la santé (CE, M. Bunel, 8 septembre 2005, précité) ou la liberté de réunion des personnes détenues (OIP-M. Bret-Mme Blandin, 27 mai 2005, n° 280866).

Peut-on demander l’annulation d’une décision qui ne prend pas la forme d’un acte écrit ?

Même si elle n’est pas formalisée par un écrit, une décision administrative peut néanmoins faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Tel est par exemple le cas des décisions implicites de rejet lorsque l’administration ne répond pas à une demande qui lui a été adressée depuis plus de deux mois (art. L. 231-4 du code des relations entre le public et l’administration). Le rejet implicite est alors démontré par la production de l’accusé de réception de la demande daté de plus de deux mois.

Attention: dans certains cas, l’absence de réponse de l’administration  pénitentiaire à une demande pendant plus de deux mois équivaut à une décision implicite d’acceptation.

L’existence d’une décision administrative individuelle ou réglementaire non formalisée peut également être révélée par le comportement ou l’action de l’administration. L’existence d’une décision du chef d’établissement de mettre en œuvre un régime de fouilles intégrales systématiques applicable à toutes les personnes détenues après leur passage au parloir est admise par le juge dès lors que de telles fouilles ont effectivement lieu, même si aucun écrit ne vient formaliser cette décision (TA Marseille, OIP, 13 mars 2012, n° 1106683, TA de Nancy, ord. 25 octobre 2012, n° 1202132, TA de Nancy, ord. 17 juillet 2013, n° 1301584). De même, le fait qu’un détenu soit accompagné par des agents en tenue antiémeute lors de tous ses déplacements dans la détention suffit pour attester de l’existence d’une décision du directeur de soumettre l’intéressé à une surveillance renforcée (TA Versailles, D. et OIP, 13 septembre 2005, n° 0507047). Encore, le fait pour l’administration de vérifier  la présence du détenu la nuit par un contrôle visuel à travers l’œilleton avec allumage de la lumière de la cellule révèle qu’une décision a été prise de soumettre le détenu concerné à ce régime de contrôle nocturne (TA Limoges, 30 juin 2016, M. B., n°1400680).

Prouver l’existence d’une décision « informelle » revient donc à démontrer les effets qu’elle produit, les conséquences concrètes de son exécution. Cette preuve peut être apportée par tout moyen.

Dans quels délais peut-on demander l’annulation d’une décision administrative ?

Le délai de recours contre un acte administratif est de deux mois (article R.421-1 du Code de justice administrative).

Pour les actes réglementaires, le délai débute avec les mesures prises pour assurer leur publicité, c’est-à-dire à compter de leur publication ou de leur affichage. À défaut de mesures de publicité, ils peuvent être attaqués à tout moment, sans condition de délai.

Pour les décisions individuelles, il convient de distinguer selon que la décision est formalisée (écrite) ou implicite.

Pour que le délai de deux mois commence à courir contre une décision individuelle écrite, il faut que cette décision ait été notifiée à son destinataire et que ce dernier ait été informé des délais de recours à respecter pour pouvoir la contester. Cette information est généralement contenue dans la décision écrite. Si la décision n’a pas été notifiée, ou si elle ne contient pas d’informations sur les voies et délais de recours, ces délais sont inopposables (art. R. 421-5 du code de justice administrative).

Concernant les décisions individuelles implicites, le délai de deux mois ne débute que si la demande avait fait l’objet d’un accusé de réception le mentionnant. Sauf exceptions, l’administration doit en effet en principe remettre à l’intéressé un accusé de réception de sa demande qui indique la date à laquelle, à défaut de réponse écrite, celle-ci sera réputée acceptée ou rejetée, ainsi que les délais et voies de recours contre la décision de rejet (art. L. 112-3 et art. R. 112-5 du code des relations entre le public et l’administration). En l’absence d’accusé de réception précisant qu’un refus implicite peut être attaqué dans les deux mois suivant sa naissance, ce délai de recours est donc inopposable.

Il faut toutefois préciser que l’inopposabilité du délai de recours de deux mois ne signifie pas que la décision peut être attaquée sans aucune condition de délai. Dans un arrêt du 13 juillet 2016, le Conseil d’Etat a estimé en effet qu’un recours contentieux ne peut être exercé, dans une telle situation, que dans un « délai raisonnable ». Il précise qu’ « en règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait (…) excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu’il en a eu connaissance ».

Le délai de recours de deux mois est un délai « franc » : pour le calculer, il faut rajouter un jour à la période de deux mois écoulée depuis le déclenchement du délai. Par exemple, si une décision a été notifiée à une personne détenue le 4 mars, le recours devra être déposé auprès de la juridiction administrative au plus tard dans la journée du 5 mai. En outre, si ce dernier jour est un samedi, un dimanche ou un jour férié, le délai est prolongé jusqu’à la fin du jour ouvrable suivant (lundi).

Pour vérifier si le recours a été déposé dans les délais, le juge se réfère à la date de son enregistrement au greffe de la juridiction et non à la date de son envoi.

L’exercice d’un recours hiérarchique ou gracieux contre une décision individuelle dans le délai du recours contentieux proroge ce délai : la réponse implicite ou explicite à ces recours ouvre à nouveau un délai de deux mois de recours contentieux qui se substitue au précédent. Ce second délai de recours doit être notifié dans les mêmes conditions pour être opposable, soit dans la décision de rejet du recours gracieux ou hiérarchique, soit dans l’accusé de réception du recours en cas de rejet implicite.

Que peut-on faire si le délai de recours contentieux est dépassé ?

Il faut en premier lieu vérifier que les délais et voies de recours avaient bien été notifiés dans le cas d’une décision individuelle, ou que l’acte avait bien été publié ou affiché s’agissant d’un acte réglementaire. Si tel n’a pas été le cas, le dépassement du délai n’empêche pas de saisir le juge d’un recours pour excès de pouvoir, sous réserve d’être formulé « dans un délai raisonnable (voir la question « Dans quels délais peut-on demander l’annulation d’une décision administrative ?).

Si les délais étaient opposables, il reste possible de saisir l’administration d’une demande d’abrogation de la décision individuelle ou de l’acte réglementaire encore en vigueur. Elle doit être adressée à l’autorité administrative qui a pris la décision. Le rejet éventuel de cette demande, qui peut être explicite ou implicite (l’administration ne répond pas pendant plus de deux mois), constitue une décision susceptible de recours devant le juge administratif.

Enfin, le dépassement des délais de recours pour solliciter l’annulation d’une décision n’empêche pas de former un recours indemnitaire en se prévalant de l’illégalité de cette décision.

Devant quelle juridiction exercer le recours pour excès de pouvoir ?

Les recours pour excès de pouvoir formés contre les décrets, arrêtés ou circulaires ministériels relèvent de la compétence directe du Conseil d’État (article R.311-1 du Code de justice administrative).

Ceux formés contre les décisions individuelles ou réglementaires adoptées par l’autorité administrative au plan local ou régional doivent être soumis au tribunal administratif.

Le tribunal territorialement compétent est en principe celui dans le ressort duquel se trouve le siège de l’autorité qui a pris la décision (article R.312-1 et suivants du Code de justice administrative).

Que peut-on demander au juge saisi d’un recours pour excès de pouvoir ?

L’annulation de la décision attaquée constitue l’objet principal d’un recours pour excès de pouvoir.

Ce type de recours peut-être accompagné d’un référé-suspension (cf. Les recours d’urgence) qui permettra de suspendre les effets de la décision contestée en attendant que le juge de l’excès de pouvoir ne se prononce sur son annulation.

Mais le requérant peut également demander de façon accessoire la condamnation de l’administration au remboursement des frais de justice (article L.761-1 du Code de la justice administrative) ou la définition par le juge de mesures d’injonction (article L.911-1 du Code de justice administrative).

On ne peut pas en revanche demander de dommages et intérêts dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir. Une telle demande fait l’objet d’une procédure spécifique : le recours en responsabilité (voir question correspondante).

A quelles conditions le recours pour excès de pouvoir est-il recevable ?

On appelle « conditions de recevabilité » les conditions qui doivent être réunies pour que le juge puisse être saisi et trancher un litige « au fond ». Si l’une de ces conditions n’est pas remplie, le juge rejette la requête, sans procéder au contrôle de la légalité de la décision attaquée.

Pour être recevable, le recours pour excès de pouvoir doit remplir les conditions suivantes :

Conditions tenant à la personne qui saisit le juge (appelée le « requérant »)

–> le « requérant » doit avoir un intérêt à agir. Un détenu a toujours intérêt à contester une décision individuelle qui le vise personnellement, ou un acte réglementaire posant des règles susceptibles d’avoir un impact sur son régime ou ses conditions de détention. Une association, ayant pour objet la défense de droits des personnes détenues, peut aussi être regardée comme ayant un intérêt à agir.

–> le « requérant » doit avoir la capacité à agir, c’est-à-dire être apte à exercer les actes de la vie civile. Ni les mineurs ni les incapables majeurs ne peuvent donc directement ester en justice : ils doivent le faire par l’intermédiaire de leur représentant légal.

–> le « requérant » doit agir dans le délai de recours contentieux (voir question précédente).

–>  Si un recours préalable obligatoire auprès d’une autorité administrative, avant la saisine du juge, est imposé par la loi, il doit avoir exercé ce recours. Par exemple, il n’est pas possible de saisir le juge administratif d’un recours contre un refus de communication d’un document administratif sans avoir préalablement sollicité et obtenu un avis de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA). De même, le directeur interrégional des services pénitentiaires (DISP) doit obligatoirement avoir été saisi par recours hiérarchique contre une sanction disciplinaire avant un éventuel recours au juge. En cas d’urgence, le « requérant » n’a pas besoin d’attendre la réponse de l’autorité administrative avant de saisir le juge. Il doit seulement prouver qu’il l’a bien préalablement saisie en produisant dans son recours le courrier adressé à l’autorité administrative, ainsi que l’accusé de réception (CE Sect. 12 octobre 2001, société produits Roche, n° 237376 ; CE, 9 août 2004, Epoux Yilmaz, n° 270860; CE, Ord, 20 juillet 2006, Ndonbo Leng, n° 294741).

Conditions tenant à la requête

–>  la demande doit être rédigée en français, sur papier libre, et comporter des indications suffisantes pour identifier son auteur (identité et adresse pour prendre contact avec lui). Il doit impérativement être signé (article R.411-1 du Code de justice administrative).

–> la requête doit en premier lieu désigner clairement la décision dont il est demandé l’annulation, en précisant son auteur et sa date. Elle doit être accompagnée de la décision attaquée ou, s’il s’agit d’une décision implicite de rejet, de l’accusé de réception qui atteste du dépôt de la demande adressée à l’administration (article R.412-1 du Code de justice administrative).

S’il est impossible de produire la décision attaquée, par exemple parce qu’elle n’a pas été notifiée, une copie de la décision de l’administration refusant sa communication, la preuve de la saisine de la CADA (Commission d’accès aux documents administratifs), voire la preuve apportée que la décision fait l’objet d’une exécution et produit des effets peuvent être suffisantes (il faut dans ce cas clairement expliquer les raisons pour lesquelles il n’est pas possible de produire la décision attaquée).

–> le recours doit ensuite contenir un exposé des faits, c’est-à-dire une présentation précise, concise et chronologique des faits ayant conduit à la décision critiquée ou qui sont importants pour la compréhension du litige.

–>  le « requérant » doit enfin énoncer précisément ses conclusions, c’est-à-dire ce qu’il demande au juge (annulation de telle décision) et pour quel(s) motif(s). Cette argumentation doit être suffisamment précise et expliquer en quoi la décision est illégale. Il peut notamment conclure sa requête en demandant au juge de définir les mesures d’exécution de sa décision ainsi que le paiement de frais de justice.

–> les pièces produites en annexe de la requête doivent être numérotées, et il est nécessaire d’en dresser la liste à la fin de la requête (article R.412-2 du Code de justice administrative).

–> la requête et les pièces annexes doivent être adressées à la juridiction accompagnées de copies, en nombre égal à celui des autres parties en cause augmenté de deux. Par exemple : si un recours est dirigé contre un acte de la ministre de la Justice, il faudra envoyer à la juridiction un original et trois copies (article R.411-3 du Code de justice administrative).

Bien qu’il ne s’agisse pas d’une condition de recevabilité susceptible d’entraîner le rejet immédiat de la requête, celle-ci, pour avoir des chances d’aboutir, doit également contenir des motifs d’annulation (appelés des « moyens »). Il appartient en effet au « requérant » d’établir l’illégalité de la décision qu’il conteste en invoquant des « moyens », à savoir des arguments qui plaident en faveur de l’annulation. Il existe deux grandes catégories de moyens, également appelés « causes juridiques ». Il s’agit d’une part des « moyens de légalité externe » qui portent sur la manière dont la décision a été prise (non-respect des règles de forme et de procédure). Il s’agit d’autre part des « moyens de légalité interne » qui critiquent le contenu de la décision (motifs, effets, but poursuivi). Il est vivement conseillé de soulever dans la requête initiale au moins deux motifs d’annulation : un « moyen de légalité interne » et un « moyens de légalité externe ». En effet, après l’expiration du délai de recours de deux mois, il ne sera plus possible de soulever de nouveaux moyens, sauf s’ils se rattachent à la même cause juridique que ceux soulevés dans le délai. En d’autres termes, si la personne détenue n’invoque que des moyens de légalité interne dans le délai de recours, elle pourra soulever de nouveaux moyens se rattachant à la légalité interne après l’expiration du délai, mais elle ne pourra plus invoquer un moyen de légalité externe.

Quels sont les moyens de légalité externe ?

Les moyens de légalité externe sont au nombre de trois.

Il y a d’abord l’« incompétence » : la personne qui a pris la décision attaquée n’était pas habilitée à le faire. Par exemple, une sanction disciplinaire a été prononcée contre un détenu par un agent n’ayant pas reçu délégation de pouvoir du chef d’établissement pour exercer cette fonction.

Le second moyen de légalité externe est le « vice de procédure » : le processus d’élaboration de la décision n’a pas été respecté. Le vice de procédure peut résulter d’une méconnaissance de l’obligation pesant sur l’administration d’organiser un débat contradictoire avant de prendre une décision défavorable qui ne répond pas à la demande d’un administré. Les décisions de déclassement d’un emploi ou d’inscription sur le registre des DPS seront par exemple illégales si la personne n’a pas au préalable été invitée à faire ses observations écrites ou orales. Dans certains cas, la loi impose également à l’administration des formalités obligatoires pour prendre une décision particulière, formalités dont le non-respect est constitutif d’un vice de procédure. Tel est par exemple le cas en matière d’isolement si la personne détenue n’a pas été informée par écrit des motifs de cette mesure, si elle n’a pas disposé d’un délai de trois heures pour examiner les pièces du dossier, si l’avis d’un médecin n’a pas été sollicité avant toute prolongation de l’isolement, si le ministre de la Justice a prolongé l’isolement au-delà d’un an sans recueillir le rapport motivé du directeur interrégional, etc.

Le troisième moyen de légalité externe est le « vice de forme ». Il concerne la présentation extérieure de l’acte : la décision ne comporte pas la signature de son auteur, elle n’est pas suffisamment motivée en fait et en droit (les considérations sur lesquelles l’administration s’est fondée n’apparaissent pas assez précisément).

Quels sont les moyens de légalité interne ?

Les moyens de « légalité interne » sont au nombre de six.

En premier lieu, il est possible d’invoquer la « violation directe de la loi », lorsque le contenu de la décision est contraire à une norme juridique d’une valeur supérieure (par exemple, placement d’un mineur au quartier disciplinaire alors qu’un tel placement n’est pas autorisé par la loi ; suspension d’un permis de visite qui viole l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme relatif au droit au respect de la vie familiale).

Le second moyen qui peut être invoqué est l’« erreur de droit », qui vise les motifs de droit sur lesquels s’est fondée la décision attaquée. Plusieurs cas de figure peuvent se présenter : l’administration s’est fondée sur un texte réglementaire inexistant (ex. décret abrogé), inapplicable (ex. règlement intérieur n’ayant fait l’objet d’aucune publicité auprès des détenus), ou illégal ; elle a fait application d’un autre texte que celui normalement applicable (par exemple, décision de placement en quartier disciplinaire fondée sur les dispositions relatives à l’isolement) ; la décision a été prise sur le fondement d’un texte que l’administration n’interprète pas correctement (par exemple, lorsque des conditions doivent être remplies cumulativement et non pas alternativement pour pouvoir prononcer telle ou telle sanction) ; ou encore l’administration prend une décision en s’estimant à tort obligée de le faire et/ou sans examiner la situation particulière de la personne détenue (ex. le directeur estime que tout passage au parloir impose à sa sortie une fouille à nu et applique cette mesure à tous les détenus sans tenir compte de leur comportement, de leur personnalité et de leur situation particulière).

Autre moyen de légalité interne, l’« erreur de fait » est constituée lorsque l’administration motive sa décision sur des faits inexistants ou matériellement inexacts (ex. sanction disciplinaire fondée sur des faits qui n’ont pas été commis).

L’« erreur de qualification juridique des faits » est le moyen par lequel on demande au juge de vérifier que les faits invoqués par l’auteur de la décision sont bien de nature à justifier juridiquement sa décision (ex. tel comportement ne pouvait pas être considéré comme une faute disciplinaire et ne pouvait donc pas être sanctionné).

On ajoutera ici le contrôle du caractère adapté ou proportionné de la mesure décidée par l’administration (ex. le principe même ou la durée de la sanction de dix jours de quartier disciplinaire est trop sévère par rapport à la faute commise, au comportement et à ses conséquences sur la situation de la personne). Dans ce cas, le juge contrôle l’erreur grossière, celle qui est entachée d’« erreur manifeste d’appréciation ».

Il est enfin possible d’invoquer l’existence d’un « détournement de pouvoir ». Cette irrégularité tient aux mobiles qui ont inspiré l’auteur de la décision : l’autorité administrative a utilisé les pouvoirs qui lui ont été conférés dans un autre but que celui en vue duquel ils lui ont été conférés (ex. le chef d’établissement place un détenu à l’isolement non pour des raisons de sécurité, mais pour le sanctionner d’attaquer régulièrement l’administration en justice). Le détournement de pouvoir est en général très difficile à établir, et il est donc conseillé de soutenir parallèlement que l’administration a commis une violation de la loi ou une erreur de droit.

Existe-t-il des possibilités des possibilités d’appel en en cas de rejet du recours pour excès de pouvoir ?

Lorsque le juge de première instance est le Conseil d’État, comme dans le cadre de la contestation d’un décret par exemple, la décision rendue n’est pas susceptible d’appel (ni de pourvoi en cassation).

Lorsque le recours a été rejeté en première instance par un tribunal administratif, il est possible de contester ce jugement devant la Cour administrative d’appel territorialement compétente (article R.322-1 du Code de justice administrative). Cet appel doit être formé dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement aux parties. Le recours à un avocat est alors obligatoire (article R.811-2 du Code de justice administrative). L’appel n’est pas suspensif, si bien que la décision contestée continuera de s’appliquer. Le délai d’appel de deux mois est porté à trois mois à Mayotte, en Polynésie française, dans les îles Wallis-et-Futuna, et en Nouvelle Calédonie (article R.811-4 du Code de justice administrative).

Les arrêts rendus par les Cours administratives d’appel peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État, dans un délai de deux mois à compter de leur notification (article R.821-1 du Code de justice administrative). Le pourvoi doit être présenté par un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation (article R.821-3 du Code de justice administrative).

 

 

 

Peut-on demander au juge administratif d’intervenir en urgence ?

Le juge administratif peut intervenir en urgence dans le cadre de trois procédures prévues par le Code de justice administrative.

Le « référé-suspension » permet de solliciter la suspension de l’exécution d’une décision administrative (article L.521-1 du Code de justice administrative). Le juge se prononce en principe dans le délai maximum d’un mois.

Le « référé-liberté » permet d’obtenir en extrême urgence le prononcé de « toutes mesures nécessaires » à la protection d’une liberté fondamentale (article L.521-2 du Code de justice administrative). Le juge statue dans un délai de quarante-huit heures.

Le « référé-mesures utiles » permet enfin de demander au juge d’ordonner toutes « mesures utiles », alors même que l’administration n’a pas pris de décision pour remédier à une situation préjudiciable au requérant (article L.521-3 du Code de justice administrative). Le juge examine en principe la requête dans un délai variant de quelques jours à un mois.

Ces trois procédures ont en commun d’être subordonnées à une condition d’urgence, à des degrés différents. Dans tous les cas, il appartient au requérant de démontrer concrètement l’urgence de l’affaire.

La requête doit contenir l’exposé des faits et des moyens, notamment sur l’urgence (article R.522-1 du Code de justice administrative). La requête et l’enveloppe qui la contient doivent comporter la mention « référé » (article R.522-3 du Code de justice administrative). Lorsqu’elle est adressée par voie postale, la requête doit être envoyée par lettre recommandée.

Un système de filtrage autorise le juge des référés, dès sa saisine, à rejeter une requête sans débat contradictoire ni audience, soit que « la demande ne présente pas un caractère d’urgence », soit qu’il apparaisse « manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu’elle est irrecevable ou qu’elle est mal fondée » (article L.522-3 du Code de justice administrative).

S’il n’est pas obligatoire de prendre un avocat pour engager un référé, cela est fortement recommandé, notamment s’agissant du référé-suspension et du référé-liberté, procédures dans lesquelles les débats qui se tiennent à l’audience ont une grande importance (article R.522-5 du Code de justice administrative).

Quelles sont les conditions pour engager un référé-suspension ?

Le référé-suspension permet d’obtenir la suspension de l’exécution d’une décision administrative (article L.521-1 du Code de justice administrative).

Pour engager cette procédure et obtenir une mesure de suspension, quatre conditions doivent être remplies.

  • Il faut que la décision attaquée ait fait l’objet d’une demande d’annulation par requête distincte, dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir, préalablement ou simultanément au dépôt du référé-suspension. Le référé est déposé auprès du même tribunal, et une copie du recours en excès de pouvoir doit figurer parmi les pièces produites avec le référé-suspension.
  • Il faut ensuite démontrer au juge qu’il y a urgence à prononcer la suspension de la décision attaquée.
  • Il faut également que le requérant prouve qu’il existe un doute sur la légalité de la décision attaquée. Il n’est pas nécessaire que les moyens soulevés dans le cadre du référé l’aient également été dans le recours en excès de pouvoir.
  •  Il faut enfin que le référé-suspension soit présenté avant que la décision litigieuse n’ait été exécutée, faute de quoi le juge estimera qu’il n’y a plus lieu de statuer. Par exemple, il n’est pas possible de demander la suspension d’un changement d’affectation après son exécution, c’est-à-dire après que le transfert a eu lieu.

La mesure de suspension accordée en référé est nécessairement provisoire : elle cesse au plus tard à la date à laquelle le juge se prononce sur le recours pour excès de pouvoir. Ainsi, il n’est pas possible de demander au juge des référés, même implicitement, de prononcer l’annulation d’une décision administrative, ou une injonction qui aurait en réalité des effets en tous points identiques à ceux qui résulteraient d’une annulation.

Comment s’apprécie la condition d’urgence en référé-suspension ?

Il y a urgence à suspendre l’exécution d’une décision administrative lorsque celle-ci « préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre » (article L.521-1 du Code de justice administrative).

L’urgence, qui doit être démontrée par le requérant, se déduit de la combinaison de deux critères : la décision porte une atteinte grave à la situation et/ou aux intérêts de la personne détenue d’une part, et d’autre part cette atteinte est actuelle ou imminente.

L’appréciation par le juge de la gravité du préjudice, ainsi que de la proximité de sa survenance dépend des circonstances de l’affaire. Par exemple, ont été regardées comme faisant naître une situation d’urgence : la décision du chef d’établissement d’instituer un régime de fouilles intégrales systématiques imposées à toutes les personnes détenues à l’issue des parloirs (TA Poitiers, OIP, 24 janvier 2012, n° 1102847 ; ou TA Melun, OIP, 17 juillet 2012, n° 1205426/10) ; la décision du directeur d’établissement de suspendre pour une durée de quatre mois le permis de visite de la concubine d’un détenu alors que l’intéressée était la seule personne à pouvoir le visiter régulièrement, accompagnée de leurs enfants (TA Lyon, H., 7 juillet 2011, n° 1104194) ou de refuser la délivrance d’un permis de visite à la concubine d’un détenu alors que l’intéressée justifie de l’intensité de leur relation et que l’administration ne justifie d’aucun motif d’ordre public justifier ce refus (TA Lille, 25 mars 2016, Mme L., n°1601860) ; ou la décision de soumettre une personne détenue à une surveillance renforcée continue par des agents en tenue antiémeute (TA Versailles, D. et OIP, 13 septembre 2005, n° 0507047).

Devrait également être regardé comme constitutif d’une situation d’urgence le refus persistant de l’administration pénitentiaire de remédier aux dysfonctionnements du bracelet électronique placé sur une personne en libération conditionnelle avec placement sous surveillance électronique mobile (CE, B., 26 octobre 2011, n° 350081). Dans cette affaire, les dysfonctionnements se traduisaient par de très fréquents déclenchements intempestifs et injustifiés de l’alarme sonore, le jour comme la nuit, signalant le requérant à l’attention des personnes se trouvant près de lui et entraînant des appels répétés des personnels de surveillance, qui perturbaient gravement sa vie quotidienne et celle de ses proches.

Certaines demandes de suspension dans le contentieux de l’isolement ou du maintien au quartier disciplinaire aboutissent également en raison de circonstances particulières. La justification par un détenu d’une pathologie psychiatrique résultant notamment de longues périodes passées à l’isolement, associée à la durée de placement au quartier disciplinaire (trente jours), dont l’intéressé demande la suspension, a par exemple été regardée comme constituant une circonstance particulière faisant naître une urgence (TA Melun, X. et OIP, 1er avril 2008, n° 0802164/6).

Il faut enfin garder à l’esprit que, pour se prononcer sur l’urgence, le juge des référés procède à une appréciation globale des circonstances de l’espèce et qu’il met en balance l’intérêt qui s’attache à l’exécution de la décision attaquée et l’urgence pour le requérant de voir cette exécution suspendue. La sauvegarde de l’ordre public peut ainsi être retenue par le juge pour écarter l’urgence de suspendre l’application de « rotations de sécurité » à un détenu considéré comme dangereux (CE, 14 décembre 2007, n° 306432) ou pour refuser la fermeture du quartier disciplinaire d’un établissement en raison de son insalubrité (CE, OIP, 9 avril 2008, n° 311707).

Au contraire, n’ont pas été regardées comme constitutives d’une situation d’urgence la retenue d’une revue informatique (TA Caen, 29 décembre 2004, n° 0402639) ou la prolongation du régime d’isolement imposé à une personne détenue en l’absence de gravité suffisante des troubles de santé invoqués (CE, K., 26 janvier 2007, n° 299267), l’application à un détenu d’un régime de surveillance nocturne (CE, 23 juill. 2014, n°379602).

Jusqu’à présent, le Conseil d’État n’a jamais admis l’existence de présomption d’urgence, comme cela existe dans d’autres types de contentieux. Même lorsque la décision attaquée est par définition très préjudiciable au détenu, comme un placement au quartier disciplinaire ou un maintien à l’isolement, l’existence d’une urgence n’est jamais présumée par le juge et il appartient au requérant de la démontrer au regard des éléments du dossier (CE, garde des Sceaux, 29 décembre 2004, n° 268826). Dans ce cadre, l’urgence n’est généralement appréciée qu’au regard des incidences concrètes et démontrées de la mesure sur la santé physique ou psychique de la personne détenue. Le juge conclut à l’absence d’urgence, même si le requérant fait état du « climat anxiogène du quartier disciplinaire et de la violence psychologique résultant d’un placement prolongé sous ce régime », dès lors qu’il « n’invoque aucune circonstance propre à sa situation physique ou psychique » (CE, 22 avril 2010, n° 338662).

Cette politique jurisprudentielle est particulièrement critiquable, car elle conduit au rejet d’un grand nombre de référés pour défaut d’urgence et à la poursuite de l’exécution de décisions qui peuvent pourtant être illégales. Certaines décisions telles qu’une sanction disciplinaire en viennent dès lors à être examinées par le juge après avoir été exécutées, ce qui paraît peu conforme aux exigences du droit à un recours effectif garanti par l’article 13 de la convention européenne des droits de l’homme.

Quelles sont les conditions pour engager une procédure en référé-liberté ?

Le référé-liberté permet d’obtenir du juge des référés « toutes mesures nécessaires » à la sauvegarde d’une liberté fondamentale (article L.521-2 du Code de justice administrative). Le juge se prononce dans les 48 heures suivants sa saisine.

Le référé-liberté n’est pas nécessairement dirigé contre une décision de l’administration, mais peut également l’être contre un comportement, une action de cette dernière. Il n’a pas non plus besoin d’être précédé ou accompagné d’un recours pour excès de pouvoir.

La procédure du référé-liberté n’a vocation à être mise en œuvre que dans des cas exceptionnels, le référé-suspension pouvant s’avérer plus adapté. Le détenu qui souhaite former simultanément un référé-liberté et un référé-suspension doit le faire par deux requêtes séparées.

Pour engager cette procédure et obtenir du juge une mesure de protection, plusieurs conditions doivent être remplies.

D’une part, il faut démontrer que l’administration porte, ou risque de porter, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

– La notion de « liberté fondamentale » ne recouvre pas l’ensemble des droits et libertés, mais seulement ceux et celles considérés par le juge comme essentiels et spécialement protégés par notre droit. Il s’agit souvent de droits ou libertés consacrés par la Constitution ou par les conventions internationales des droits de l’homme. Mais, pour le juge administratif, l’exercice des droits et libertés par les détenus reste « subordonné aux contraintes inhérentes à leur détention ». Ainsi, il a par exemple été jugé que la violation de la liberté de réunion ne peut pas être invoquée en cas de refus de l’administration pénitentiaire de permettre l’organisation en détention de débats politiques avant le référendum sur la « Constitution européenne » (CE, OIP, 27 mai 2005, n° 280866).

Ont jusqu’à présent été regardés comme des « libertés fondamentales » dans le contentieux pénitentiaire : le droit à conserver une vie familiale en détention (CE, 27 mai 2009, n° 322148) ; le droit au respect de la vie privée (CE, 26 octobre 2011, n° 350081) ; le droit de vote pour les personnes détenues jouissant de leurs droits civiques (CE, OIP, 27 mai 2005, précit.) ; le droit au respect de la dignité (CE, A. et OIP, 20 mai 2010, n° 339259) ; le droit au consentement libre et éclairé du patient aux soins médicaux qui lui sont prodigués (CE, garde des Sceaux, 8 septembre 2005, n° 284803) ; le droit de ne pas subir de traitements inhumains ou dégradants découlant de l’article 3 de la CEDH (CE, A. et OIP, 20 mai 2010, précité), ou le droit au respect de son intégrité physique et morale tiré de l’article 8 de la CEDH (TA Grenoble, X. et OIP, 16 décembre 2009, n° 0905563) ; les droits de la défense (CE, 20 janvier 2011, n° 345052) ; le droit à la vie (CE, 30 juillet 2015, OIP-SF, n°392083) ; le droit de tout détenu de voir sa situation traitée dans le respect des règles de compétence et de procédure fixées par le code de procédure pénale (CE, 30 juillet 2015, X., n°392100).

Il est à noter que le juge des référés a également suspendu les régimes de fouilles intégrales et systématiques appliquées aux personnes détenues à l’issue des parloirs en se fondant sur le principe de dignité humaine (l’article 22 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 et article 3 de la CEDH) et sur le droit au respect de la vie privée (article 8 de la CEDH) (CE, 6 juin 2013, OIP-SF, n°368816).

– La mise en cause d’une liberté fondamentale ne suffit pas pour obtenir gain de cause en référé-liberté. Encore faut-il que l’atteinte à cette liberté soit manifestement illégale.

– L’atteinte doit également être grave, ce que le juge évalue au regard des circonstances de chaque affaire.

– Le requérant doit enfin démontrer l’existence d’une situation d’extrême urgence.

Le juge du référé-liberté ne doit en principe prononcer que des mesures provisoires permettant de faire cesser l’atteinte. Même si, en pratique, il peut prendre quelques libertés avec cette règle.

Comment s’apprécie la condition d’urgence en référé-liberté ?

Le juge apprécie l’urgence de façon plus restrictive encore en référé-liberté qu’en référé-suspension.

Comme pour ce dernier, il procède à une appréciation globale des circonstances de l’espèce en tenant compte des divers intérêts en présence. Mais l’urgence s’apprécie aussi dans le cadre du référé-liberté au regard du délai très court laissé au juge pour statuer. En pratique, le requérant doit donc démontrer que l’atteinte à la liberté fondamentale est telle qu’elle rende nécessaire l’intervention d’une mesure de protection dans le délai de quarante-huit heures.

L’urgence particulière du référé-liberté a été regardée comme remplie : lorsque l’administration restreint le droit de visite du conjoint et des enfants d’un détenu extrait pour être hospitalisé et se trouvant en fin de vie (TA Caen, 15 juillet 2011, n° 1101513 ; TA Melun, P. et OIP, 30 octobre 2006, n° 067067/2) ; lorsque l’administration place un détenu fragile au quartier disciplinaire, pour une durée de trente jours, alors que ce dernier avait juste auparavant tenté de se suicider (TA Grenoble, X. et OIP, 16 décembre 2009, n° 0905563) ; lorsque les personnes sont détenues dans des conditions matérielles contraires à la dignité humaine (CE, 30 juillet 2015, OIP-SF, n°392083) du fait par exemple de la présence massive de rats et d’insectes dans la prison (CE, 22 décembre 2012, OIP-SF, n°364584 ; TA Melun, 6 octobre 2016, OIP-SF, n°1608163) ; lorsque la sécurité des personnes contre le risque incendie n’est pas assurée ainsi que l’a constaté la Commission départementale de sécurité incendie (TA Châlon-en-Champagne, 5 décembre 2016, OIP-SF, n°1602422) ; lorsque l’administration soumet une personne détenue à des fouilles à nu quotidiennes alors qu’elle se trouve placée à l’isolement (CE, ministre de la Justice c/G. et OIP, 20 mai 2010, n° 339259) ou l’ensemble des détenus d’un établissement à la sortie des parloirs (CE, 6 juin 2013, OIP-SF, n°368816). À l’inverse, saisi d’une demande de suspension de la fouille intégrale pratiquée une fois tous les quinze jours après que le requérant a reçu la visite de ses parents au parloir, le juge rejette la requête en relevant que « la mesure contestée ne suffit pas à établir une situation d’urgence particulière justifiant une décision du juge des référés dans les quarante-huit heures ». (CE, D., 9 sept. 2011, n° 352372).

Quels sont les recours en cas de rejet du référé-suspension ou du référé-liberté ?

Les ordonnances rejetant un référé-suspension ne peuvent faire l’objet que d’un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État (article L.523-1 du Code de justice administrative).

Le pourvoi doit être formé obligatoirement par l’intermédiaire d’un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, dans un délai franc de quinze jours suivant notification de l’ordonnance (15 jours + un jour).

S’agissant du référé-liberté, deux situations distinctes sont à envisager. Soit la requête a été rejetée selon la procédure de tri de l’article L.522-3 du Code de justice administrative, c’est-à dire sans audience. Dans ce cas, seul un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État peut être formé, dans les mêmes conditions qu’en référé-suspension (article L.523-1 du Code de justice administrative). En revanche, si elle a été rendue après une audience, l’ordonnance de référé-liberté peut faire l’objet d’un appel devant le Conseil d’État qui se prononcera à son tour en urgence, dans un délai de quarante-huit heures (article L.523-1 du Code de justice administrative). L’appel doit être formé dans un délai franc de quinze jours suivant notification de l’ordonnance. Le recours à un avocat n’est pas ici obligatoire, mais reste fortement recommandé.

Le juge des référés peut-il examiner une nouvelle demande de suspension après le rejet d’une précédente ?

Le juge des référés peut être saisi à plusieurs reprises à propos de la même décision administrative, que ce soit en référé-suspension ou en référé-liberté.

Il peut ainsi examiner une nouvelle demande de suspension après en avoir rejeté une précédente, si des éléments nouveaux justifient un réexamen de la situation. En cas de rejet d’un précédent référé pour défaut d’urgence, il faut justifier de la survenance de circonstances nouvelles permettant d’établir que la condition d’urgence est désormais remplie. Si le précédent référé a été rejeté au motif que le requérant ne démontrait pas l’illégalité de l’acte attaqué, celui-ci doit appuyer sa nouvelle demande de suspension sur un autre moyen de droit ou disposer d’éléments nouveaux permettant d’étayer un moyen qui avait déjà été soulevé et écarté.

Le juge des référés peut également, après avoir prononcé la suspension de la décision attaquée, modifier ultérieurement la portée de l’ordonnance rendue au vu d’un élément nouveau invoqué devant lui par toute personne intéressée (article L.521-4 du Code de justice administrative).

Il faut enfin garder à l’esprit la possibilité de saisir le juge d’un référé-suspension après avoir essuyé une ordonnance de rejet en référé-liberté, les conditions à remplir pour obtenir gain de cause étant moins strictes.

A quoi sert le référé-mesures utiles ?

Le « référé-mesures utiles », appelé aussi « référé conservatoire », permet de demander au juge d’ordonner toutes « mesures utiles sans faire obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative » (article L. 521-3 du Code de justice administrative).

Ces mesures doivent avoir un caractère provisoire ou conservatoire. Le référé-mesures utiles ne peut donc pas être employé pour demander l’annulation ni même la suspension d’une décision administrative.

Il peut être utilisé pour remédier à une situation préjudiciable qui n’est pas le résultat de l’exécution d’une décision administrative, ou pour prévenir la réalisation d’un préjudice imminent.

Le référé-mesures utiles est souvent utilisé pour demander la communication d’un document administratif à condition qu’elle n’ait pas été refusée par l’administration (CE, OIP, 8 septembre 2008, n° 318288). L’OIP-SF a par exemple utilisé cette procédure  pour demander au juge des référés d’enjoindre à l’administration pénitentiaire de lui communiquer les documents nécessaires à la vérification du respect de l’article 57 de la loi pénitentiaire qui prohibe les fouilles intégrales systématiques (TA de Melun, Ord. 30 juin 2013, n° 1306635/13, TA de Versailles, Ord. 2 août 2013, n° 1304436, TA de Nancy, Ord. 15 octobre 2013, n° 1302152, TA de Châlons-en-Champagne, Ord. du 11 octobre 2013, n° 1301717, TA de Melun, Ord. 30 août 2013, n° 1306088/13).

Le référé-mesures utiles a pu également être mobilisé pour demander au juge d’ordonner un constat d’huissier chargé de constater l’état de sa cellule, notamment en ce qui concerne la présence ou non d’équipements de chauffage et les conditions d’étanchéité à l’air de la fenêtre (CE, 15 juillet 2004, n° 265594) ; obtenir des mesures destinées à garantir la confidentialité des appels passés par les détenus à leur avocat (CE, 23 juill. 2014, OIP-SF, n°379875) ; obtenir des travaux pour garantir la sécurité des personnes détenues et des personnels ainsi que  la dignité des conditions de détention au centre pénitentiaire de Marseille (TA Marseille, 10 janv. 2013, OIP-SF, n°1208146) ; obtenir de l’administration pénitentiaire qu’elle mette fin aux dysfonctionnements d’un bracelet électronique (CE, 26 octobre 2011, n° 350081) ; obtenir le prononcé de mesures conservatoires destinées à garantir la confidentialité des soins médicaux prodigués à un détenu (CE, 24 juill. 2009, Haese et OIP-SF, n°324555).

Récemment, le Conseil d’Etat a cependant restreint le champ du référé-mesures utiles. En effet, il a d’abord interdit au juge du référé mesures-utiles d’ordonner à l’administration «  de prendre des mesures réglementaires, y compris d’organisation des services placés sous son autorité » (CE, 27 mars 2015, OIP-SF, n°385332). Il a ensuite jugé  « qu’en raison du caractère subsidiaire du référé [mesures-utiles], le juge saisi sur ce fondement ne peut prescrire les mesures qui lui sont demandées lorsque leurs effets pourraient être obtenus par les procédures de référé [liberté ou suspension] » (CE, 5 février 2016, n°393540).

Le juge des référés se prononce dans un délai variant de quelques jours à un mois.

Quelles sont les conditions pour engager un référé-mesures utiles ?

Pour obtenir le prononcé d’une « mesure utile », il faut en premier lieu justifier d’une urgence. Celle-ci résulte en général du fait que le requérant subit un préjudice qu’il convient de démontrer.

Il faut ensuite établir que la mesure sollicitée est utile, c’est-à-dire qu’elle apparaît nécessaire pour faire cesser le préjudice ou préserver les droits du requérant. Par exemple, est inutile la demande faite au juge de désigner un huissier pour constater l’état de la cellule du requérant et des douches situées dans les parties communes, alors que ces locaux ont déjà fait l’objet d’un constat quelques mois plus tôt (TA Lyon, 17 février 2012, n° 1200879).

Enfin, la mesure demandée ne doit pas faire obstacle à l’exécution d’une décision administrative et doit revêtir un caractère provisoire ou conservatoire. Si le dommage subi par le requérant est la conséquence de l’application d’une décision administrative, il faut alors se tourner vers le référé-suspension, voire, en cas d’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, vers le référé-liberté.

Pour déposer un référé-mesures utiles, l’assistance d’un avocat n’est pas nécessaire.

 Quelle est la procédure du référé-mesures utiles ?

Le juge des référés peut rejeter la requête par une ordonnance motivée s’il l’estime irrecevable ou mal fondée. Si tel n’est pas le cas, le juge convoque les parties à une audience. La procédure est donc écrite et orale.

La décision du juge doit intervenir dans les meilleurs délais (généralement une quinzaine de jours après le dépôt de la requête).

En cas de rejet de sa demande, le requérant peut engager un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État dans un délai de quinze jours, qui se prononcera dans un délai d’un mois.

Référé-constat et référé-instruction

 A quoi sert le référé-constat ?

Le référé-constat permet d’obtenir du juge administratif la désignation d’un expert pour faire constater des faits sans délais en vue d’un éventuel litige ou de l’engagement d’un recours (article R.531-1 du Code de justice administrative). Cette procédure vise généralement à préserver et réunir des éléments de preuve dans le but ultérieur d’engager un recours indemnitaire contre l’administration.

L’expert désigné ne fait que consigner ce qu’il a constaté en se rendant sur les lieux et ne se prononce aucunement sur le bien-fondé de l’action contentieuse envisagée.

Ce type de demande vise très souvent à faire constater l’état de la cellule (qui a été) occupée par le requérant et/ou d’autres aspects de ses conditions matérielles de détention (impossibilité d’accès des personnes handicapées à certains secteurs de la détention, état des parties communes, etc.).

L’objet de la demande de constat doit être formulé de façon précise dans la requête.

Quelles sont les conditions pour engager une procédure de référé-constat ?

Le requérant n’a pas besoin d’établir l’existence d’une situation d’urgence pour saisir le juge d’un référé-constat, même si ce dernier peut statuer rapidement.

Deux conditions doivent néanmoins être réunies:

  • En premier lieu, les faits que le requérant veut faire constater doivent être susceptibles de donner lieu à un litige relevant de la compétence de la juridiction administrative. Cette condition est évidemment remplie lorsque la personne détenue demande la désignation d’un expert dans la perspective de constituer un dossier pour attaquer l’État en responsabilité. Il appartient donc au requérant de préciser dans sa requête quelle est la finalité de la procédure de référé-constat.
  • En second lieu, il faut que la demande de désignation d’un expert soit utile, ce qui dépend des circonstances de l’espèce. Au vu de la jurisprudence, la demande est inutile si le constat des faits peut être réalisé par d’autres voies (par voie d’huissier ou dans le cadre des pouvoirs d’instruction du juge saisi du contentieux indemnitaire). Il en est de même si la demande de constat porte sur des faits révolus, dont les conséquences ne peuvent plus être appréciées. Est ainsi dépourvue d’utilité la demande visant à faire constater le contenu de kits d’hygiène personnelle et la périodicité de leur remise dans le passé, l’établissement de ces faits relevant en outre d’une simple mesure d’instruction dans le cadre du contentieux indemnitaire (CE, 28 septembre 2011, n° 347585). L’utilité est également écartée si les faits sont déjà connus, par exemple lorsque la demande de constat porte sur l’état matériel d’une cellule alors que celle-ci, ou une cellule similaire et voisine, a déjà fait l’objet d’une expertise ou d’un constat (CE, 26 janvier 2012, n° 349874 ; CE, 30 janvier 2012, n° 350301). Le constat est en revanche utile s’il apparaît que l’objet des constatations précédemment réalisées n’était pas exactement le même que pour celles demandées par le requérant et/ou qu’elles n’ont pas été faites dans les mêmes locaux ou des locaux similaires durant la même période d’incarcération (CE, 21 mars 2012, n° 353511).

Quelle est la procédure du référé-constat ?

Le référé-constat peut être présenté sans avocat (article R.531-1 du Code de justice administrative).

La requête doit être écrite et adressée par courrier recommandé avec accusé de réception au greffe de la juridiction.

Le juge des référés se prononce sans audience.

S’il fait droit à la requête, un expert est désigné pour effectuer le constat qui, une fois réalisé, sera signifié dans les meilleurs délais par le juge.

Si la requête est rejetée, un appel est possible devant la cour administrative d’appel territorialement compétente, dans les quinze jours suivant la notification de l’ordonnance (article R. 533-1 du Code de justice administrative).

Un pourvoi en cassation peut être formé devant le Conseil d’État contre la décision de la cour administrative d’appel dans les quinze jours suivant sa notification.

A quoi sert le référé-instruction ?

Également appelé « référé-expertise », le « référé-instruction » permet au juge de « prescrire toute mesure utile d’expertise ou d’instruction » (article R.532-1 du Code de justice administrative).

Contrairement au référé-constat, il peut conduire au prononcé de mesures d’instruction (enquête, expertise, etc.) qui sont susceptibles d’éclairer le juge du fond sur la réalité des faits. En pratique, cette procédure est souvent utilisée pour obtenir la désignation d’un expert, qui ne fait pas que décrire ou constater des faits. Il peut collecter des documents, visiter des lieux, auditionner des témoins, déterminer les causes ou les conséquences d’une situation, évaluer un préjudice, etc.

Le juge du référé-instruction peut par exemple ordonner une expertise afin de déterminer si l’état de santé d’un détenu atteint d’un cancer doit faire l’objet d’un régime alimentaire spécifique (TA Châlons-en-Champagne, 6 juillet 2006, n° 0601137), si les conditions d’incarcération d’une personne s’étant suicidée étaient compatibles avec son état de santé, si des mesures avaient été prises pour empêcher le passage à l’acte et si l’intéressée avait été convenablement suivie sur un plan médical (TA Melun, 29 juin 2012, n° 1202707/1), si les soins apportés depuis des années à une personne détenue transsexuelle et ceux qui sont prodigués actuellement sont conformes aux données acquises de la science en ce domaine (TA Caen, 22 juillet 2011, n° 1101201), ou de décrire les effets des conditions de détention et des mesures de contrôles nocturnes imposées à une personne détenue sur sa santé physique et psychique (TA Lille, 13 décembre 2016, n°1607033).

Quelles sont les conditions pour engager une procédure de référé-instruction ?

Le juge du référé-instruction ne peut qu’ordonner des mesures d’instruction susceptibles d’apporter un éclairage sur la réalité des faits d’un litige. Mais il peut être saisi avant même qu’un recours contentieux soit introduit. Une personne détenue peut donc formuler une demande d’expertise pendant l’instruction de son recours contentieux, mais aussi avant le dépôt de tout recours.

Le requérant doit néanmoins établir l’utilité de la mesure sollicitée. Plus précisément, il faut d’une part que sa demande se rattache à un litige en cours ou qu’elle soit formulée dans une perspective contentieuse, même si ce contentieux n’est qu’éventuel.

Il faut d’autre part qu’il démontre l’intérêt de la mesure d’instruction pour le contentieux actuel ou envisagé et l’impossibilité d’utiliser d’autres voies pour établir les faits concernés. Par exemple, un détenu qui souhaite engager la responsabilité de l’État au motif que ses conditions de détention porteraient atteinte à son intégrité physique et mentale ne démontre pas l’utilité du constat s’il omet de préciser les troubles médicaux dont il est affecté et s’il ne soutient pas que l’administration lui a refusé l’accès à des soins médicaux et la possibilité par là même de faire constater par un médecin son état de santé et ses raisons (CAA Nantes, 31 mars 2005, n° 04NT01217).

Quelle est la procédure du référé-instruction ?

Il est obligatoire de passer par un avocat pour déposer une demande de mesures d’instruction ou d’expertise, sauf si elle se rattache à « des litiges dispensés de ce ministère » (article R.532-1 du Code de justice administrative). Il faut donc un avocat lorsque le requérant veut engager un recours en indemnité où la représentation est obligatoire.

La requête doit être écrite et adressée par courrier recommandé avec accusé de réception au greffe de la juridiction.

Le juge des référés se prononce sans audience après avoir laissé à l’administration concernée un délai pour répondre.

S’il fait droit à la requête, le juge des référés fait procéder aux mesures demandées et peut éventuellement les compléter par des mesures complémentaires.

Si la requête est rejetée, un appel est possible devant la cour administrative d’appel territorialement compétente dans les quinze jours suivant la notification de l’ordonnance (article R. 533-1 du Code de justice administrative).

Un pourvoi en cassation est possible devant le Conseil d’État contre la décision de la cour administrative d’appel dans les quinze jours suivant sa notification.

Peut-on déposer un recours pour demander réparation d’un préjudice imputable à l’administration pénitentiaire ?

Sous certaines conditions, les personnes détenues et/ou leurs proches peuvent obtenir la réparation financière d’un préjudice subi et imputable à l’administration pénitentiaire.

Il faut que le préjudice soit réel, certain (même s’il peut être futur) et personnel, c’est-à-dire qu’il ne doit pas être hypothétique et doit affecter la personne qui demande réparation. Par ailleurs, il faut que ce soit le comportement fautif de l’administration pénitentiaire qui ait causé un préjudice à la personne détenue et/ou à ses proches.

En effet, la responsabilité de cette administration ne peut être engagée que si elle a commis une faute. Il n’existe qu’une exception à ce principe, en cas de décès d’un détenu causé par des violences de codétenus : « Même en l’absence de faute, l’Etat est tenu de réparer le dommage résultant du décès d’une personne détenue cause par des violences commises au sein d’un établissement pénitentiaire par une autre personne détenue » (article 44 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009).

La preuve de la faute, celles du préjudice et du lien de causalité entre les deux doivent être indiscutablement démontrées par le demandeur.

Quelles sont les fautes pouvant engager la responsabilité de l’administration pénitentiaire ?

L’administration commet une faute lorsqu’elle prend une décision illégale. Mais, indépendamment de toute décision, une faute peut aussi résulter d’un agissement ou d’une carence de l’administration. L’organisation défectueuse d’un service, son mauvais fonctionnement, l’inaction de l’administration dans une situation où elle aurait dû agir sont donc également constitutifs d’une faute.

Pendant longtemps, la responsabilité de l’administration pénitentiaire ne pouvait être engagée qu’en cas de « faute lourde » de sa part, c’est-à-dire d’une particulière gravité. Depuis une dizaine d’années, la jurisprudence admet qu’une « faute simple » est suffisante pour engager la responsabilité de l’administration, par exemple en cas de suicide en détention (CE, Chabba, 23 mai 2003, n° 244663) ; détérioration ou vol de biens appartenant à un détenu (CE, 9 juillet 2008, n° 306666 ; CE 6 juillet 2015, n° 373267) ; décès consécutif à un incendie allumé par un codétenu (CE, Zaouiya, 17 décembre 2008, n° 292088, TA de Grenoble, 21 novembre 2013, n° 1100214 (responsabilité partielle de l’administration) ; ou maintien d’un détenu dans des conditions de détention contraires à la dignité humaine (CAA Bordeaux, 18 octobre 2011, n° 11BX00159).

Peuvent donc être sanctionnés par le paiement de dommages et intérêts des faits graves, mais aussi des manquements aux obligations normales des services pénitentiaires : défaut de surveillance ou négligence suivis d’un suicide (CE, 4 mars 2009, n° 294134) ou d’un décès accidentel (CAA Versailles, 10 avril 2008, n° 06VE00061) ; défaut de traitement médical approprié à la santé d’une personne détenue (CAA Bordeaux, 25 juin 2002, n° 99BX02809) ; commercialisation en détention de pastilles chauffantes utilisées par les détenus pour cuisiner et qui dégagent des substances toxiques dangereuses pour la santé (TA Versailles, 12 avril 2012, n° 0911827) ; absence de réaction de l’administration pénitentiaire face à un détenu ayant signalé qu’il venait d’être victime d’un viol (TA Bordeaux, 30 juin 2009, n° 0704038) ; rétention injustifiée de la machine à écrire d’un détenu pendant trois semaines (TA Lyon, 8 février 2011, n° 084963) ; placement d’un nombre excessif de personnes détenues dans une même cellule et non-prise en compte de l’état de santé d’une d’entre elles (CAA Versailles, 16 décembre 2010, n° 08VE00299) ; obstacles injustifiés à une pratique religieuse normale (CAA Paris, 30 mai 2011, n° 10PA03619) ; détenu illégalement privé de promenade pendant cent soixante-dix-huit jours (TA Lyon, 3 janvier 2012, n° 0907768) ; ouverture d’un courrier protégé du sceau de la confidentialité (TA Paris, 2 mars 2006, n° 0419823) ; refus de remettre copie à un détenu d’un document administratif communicable (CAA Versailles, 28 juin 2007, n° 05VE01886) ; etc.

Dans une décision rendue en 2013, le Conseil d’Etat a par ailleurs définit une grille d’engagement de la responsabilité de l’Etat en matière de contentieux de détention en exposant que : « tout prisonnier a droit à être détenu dans des conditions conformes à la dignité humaine, de sorte que les modalités d’exécution des mesures prises ne le soumettent pas à une épreuve qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention ; qu’en raison de la situation d’entière dépendance des personnes détenues vis-à-vis de l’administration pénitentiaire, l’appréciation du caractère attentatoire à la dignité des conditions de détention dépend notamment de leur vulnérabilité, appréciée compte tenu de leur âge, de leur état de santé, de leur handicap et de leur personnalité, ainsi que de la nature et de la durée des manquements constatés et des motifs susceptibles de justifier ces manquements eu égard aux exigences qu’impliquent le maintien de la sécurité et du bon ordre dans les établissements pénitentiaires, la prévention de la récidive et la protection de l’intérêt des victimes ; que des conditions de détention qui porteraient atteinte à la dignité humaine, appréciées à l’aune de ces critères et à la lumière des dispositions du code de procédure pénale, notamment des articles D. 349 à D. 351, révéleraient l’existence d’une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique » (CE, Section, 6 déc. 2013, T, n°363290).

Ainsi, le maintien en détention d’une personne handicapée, dans des conditions qui ne sont pas adaptées à sa situation, constitue une faute qui peut engager la responsabilité de l’administration pénitentiaire. Il a été jugé en ce sens que « l’hébergement d’un détenu à mobilité réduite dans une cellule ordinaire lui rend très difficiles les actes les plus simples de la vie courante, et impossible la sortie de sa cellule par ses propres moyens ; que M. a été détenu en cellule ordinaire pendant une période de deux mois compte tenu du temps qu’il a passé au centre national d’évaluation susmentionné sans autres justifications que l’absence de disponibilité de cellules médicalisées ou les convenances administratives ; que ces conditions de détention pendant une telle période, compte tenu de l’âge et de l’état de santé de l’intéressé, doivent être regardées comme révélant une atteinte à la dignité humaine de nature à engager la responsabilité de l’administration » (CAA Paris, 5 juillet 2012, n° 12PA00066).

Dans une décision ultérieure, le Conseil d’Etat précise que la grille définie dans l’affaire T. précitée n’est pas applicable qu’aux seuls détenus handicapés, et que seules des conditions de détention qui porteraient atteinte à la dignité humaine révèlent l’existence d’une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat. Surtout, il indique qu’une telle atteinte est de nature à engendrer, par elle-même, un préjudice moral pour la personne qui en est la victime (CE, 5 juin 2015, n°370896).

Quels sont les préjudices indemnisables ?

Tous les préjudices sont a priori indemnisables.

On peut les répartir en différentes catégories.

  • On trouve d’abord les « préjudices corporels » (atteinte à l’intégrité physique du corps).
  • Il y a ensuite les « préjudices matériels » ou « patrimoniaux » (pertes ou charges financières, atteintes aux biens).
  • Le « préjudice moral » recouvre les dommages d’ordre psychologique (souffrance physique et/ou psychologique, atteinte à l’honneur ou à la réputation). Par exemple, la décision de placement d’un détenu en cellule disciplinaire fondée sur une base légale erronée a pu créer un préjudice moral à celui-ci (TA de Versailles, 14 novembre 2013, n° 1206465).
  • Les perturbations ou « troubles dans les conditions d’existence » peuvent également être réparés (incapacités liées à un accident, perte d’un soutien de famille, etc.).
  • Il faut enfin citer la « perte d’une chance » qui correspond au préjudice subi du fait de la disparition de la possibilité sérieuse que quelque chose se produise (par exemple, un détenu empêché d’obtenir un examen pour lequel il s’était préparé, du fait de son placement au quartier disciplinaire pendant la période d’examen).

Un même événement peut faire naître simultanément plusieurs préjudices. Par exemple, un détenu accusé à tort d’avoir volé un objet dans l’atelier où il travaille fait l’objet d’une procédure disciplinaire et se voit déclasser de son emploi. Il pourra invoquer à la fois un préjudice matériel (perte de revenu), un préjudice moral (souffrance psychologique liée à l’inactivité en détention, réinsertion par le travail bloquée, atteinte à l’honneur résultant d’une accusation de vol sans fondement), un trouble dans ses conditions d’existence (manque de ressources pour cantiner), la perte d’une chance (en cas de perte de crédits de réductions de peine)…

Comment prouver la faute de l’administration et/ou le préjudice subi ?

C’est à la victime du préjudice de prouver à la fois l’existence de la faute et du dommage, mais aussi le lien de causalité qui les relie.

La preuve de la faute peut dans certains cas se résumer à démontrer l’illégalité de la décision prise par l’administration (comme par exemple une sanction disciplinaire illégale). Ainsi, le fait de détenir une personne dans des conditions contraires au principe de dignité humaine est constitutif d’une faute et engendre, par lui-même, un préjudice moral pour la personne qui en est la victime (CE, 5 juin 2015, n°370896).

La tâche peut être plus complexe lorsqu’il s’agit de démontrer qu’il y a eu faute dans l’organisation ou le fonctionnement du service et que cette faute est directement à l’origine du préjudice. Il faut établir que l’administration n’a pas respecté les obligations que font peser sur elle les textes et/ou la jurisprudence.

Pour prouver la faute de l’administration, il faut aussi disposer de données factuelles, parfois difficiles à obtenir compte tenu de l’opacité du fonctionnement de l’administration pénitentiaire, lorsqu’il s’agit par exemple de démontrer que l’administration a été négligente dans la prise en compte de l’état de santé d’un détenu ou qu’elle n’a pas garanti des conditions de détention décentes.

Dans certaines situations, notamment dans les cas de décès survenus en détention, ce sont les éléments réunis par le juge judiciaire qui permettront au requérant d’apporter la preuve de la faute de l’administration (résultat de l’enquête préliminaire menée par le procureur de la République suite au décès ou encore conclusions du juge d’instruction saisi à la suite du dépôt d’une plainte pénale).

Par ailleurs, pour étayer le dossier sur la question de la faute ou du préjudice, il est possible de demander des mesures d’instruction au juge administratif (enquête, audition de témoin, visite des lieux, expertise), dans le cadre de la requête en indemnité (articles R.621-1 et suivants, R.622-1 et R.623-1 et suivants du Code de justice administrative), ou d’engager des procédures distinctes tels que le référé-constat ou le référé-expertise.

La personne détenue peut encore demander à avoir accès aux documents administratifs la concernant ou à son dossier médical (articles R.1111-2 et suivants du Code de la santé publique).

Enfin, la consultation des rapports émanant d’organismes de contrôle, et notamment les rapports de visite du contrôleur général des lieux de privation de liberté, apporte des informations précieuses sur l’état et le fonctionnement de certains établissements.

En outre, il ne faut pas hésiter à soulever devant le juge la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui assouplit les règles relatives à la charge de la preuve en faveur des personnes détenues. La Cour a rappelé que « Sensible à la vulnérabilité particulière des personnes se trouvant sous le contrôle exclusif des agents de l’État, telles les personnes détenues, la Cour réitère que la procédure prévue par la Convention ne se prête pas toujours à une application rigoureuse du principe « affirmanti incumbit probatio » [la preuve incombe à celui qui affirme] car, inévitablement, le gouvernement défendeur est parfois seul à avoir accès aux informations susceptibles de confirmer ou d’infirmer les affirmations du requérant (…). Il s’ensuit que le simple fait que la version du Gouvernement contredit celle fournie par le requérant ne saurait, en l’absence de tout document ou explication pertinents de la part du Gouvernement, amener la Cour à rejeter des allégations de l’intéressé comme non étayées (…) » (CEDH Torreggiani et autres c. Italie, 25 mai 2013 nos 43517/09,46882/09, 55400/09, 57875/09, 61535/09, 35315/10, 37818/10).

Quelle est la procédure à suivre pour demander la réparation d’un préjudice ?

Pour obtenir la réparation financière du préjudice, les personnes détenues et/ ou leurs proches doivent suivre une procédure en deux étapes.

– Dans un premier temps, il faut adresser une demande écrite d’indemnisation à l’autorité administrative qui se trouve à l’origine du dommage par courrier recommandé avec accusé de réception (également appelée « demande préalable d’indemnité »). Il est impératif de conserver une copie du courrier pour la suite de la procédure. Si la demande n’est pas envoyée au bon destinataire, l’autorité qui l’a reçue par erreur est tenue de la transmettre à celle qui est compétente.

Cette « demande préalable d’indemnité » est obligatoire pour pouvoir saisir le juge par la suite. Elle doit exposer le préjudice et établir la responsabilité de l’administration. Le montant de la réparation sollicitée n’a pas besoin d’être précisé à ce stade de la procédure.

L’autorité administrative est en principe tenue d’accuser réception de la demande (article 19-2 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations). Si l’administration n’a pas répondu à cette demande préalable d’indemnisation dans un délai de deux mois, ce silence équivaut à une décision implicite de refus.

– Si l’administration rejette la demande préalable (rejet explicite ou implicite) ou propose une indemnité insuffisante selon le demandeur, il faut alors saisir le Tribunal administratif compétent d’un « recours indemnitaire », pour lequel l’assistance d’un avocat est obligatoire (article R.431-2 du Code de justice administrative).

Le tribunal compétent est celui dont dépend territorialement l’autorité responsable du préjudice qui a été destinataire de la demande préalable.

Si la demande préalable n’a pas été faite, la requête ne sera jugée au fond que si l’administration omet elle aussi de soulever ce problème et conclut simplement au rejet au fond du recours indemnitaire.

La requête doit être présentée en quatre exemplaires, accompagnés de toutes les pièces justificatives en quatre exemplaires (doit obligatoirement figurer parmi ces pièces la décision préalable de refus d’indemnité ou, en cas de décision implicite, la copie de la demande préalable avec l’avis de réception).

Il est également possible de saisir le juge du « référé-provision » afin de recevoir rapidement une avance sur l’indemnité réclamée ou que la personne détenue et/ou leurs proches s’apprête à réclamer en réparation du préjudice subi (voir question correspondante).

Quels sont les délais à respecter dans le cadre d’une procédure indemnitaire ?

Deux types de délais doivent être respectés : le délai de prescription et le délai de recours.

  • S’agissant du délai de prescription : les recours indemnitaires contre l’État obéissent à la règle de la prescription quadriennale (quatre ans). Une personne qui souhaite obtenir la réparation d’un préjudice causé par l’administration doit obligatoirement effectuer sa demande préalable d’indemnisation, ou a minima saisir le juge, dans le délai de la prescription quadriennale. Au-delà de ce délai, aucune demande indemnitaire ne sera possible.

Le point de départ de la prescription est toujours le 1er janvier de l’année suivant celle de la naissance ou de la consolidation du préjudice. Par exemple, si un détenu est placé dans une cellule surpeuplée du 1er janvier 2011 au 10 janvier 2012 (soit, la date de consolidation du préjudice), le délai de prescription court à compter du 1er janvier 2013 et la demande d’indemnité doit être formulée avant le 1er janvier 2017. Si un détenu est décédé le 1er novembre 2010 (naissance du préjudice), le délai de prescription a débuté le 1er janvier 2011. Les ayants droit du défunt peuvent donc demander une réparation financière jusqu’au 1er janvier 2015. Passé cette date, leur demande sera rejetée car la créance est prescrite.

Le délai de prescription peut être interrompu (et donc rallongé) dans certaines circonstances: Si une décision administrative est à l’origine du préjudice et qu’elle a été attaquée dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir, le délai de prescription court à compter du 1er janvier qui suit la décision juridictionnelle qui l’a annulée; La demande préalable d’indemnité ou la saisine d’un juge (en recours en annulation, en référé-expertise…) fait repartir la prescription quadriennale à son commencement, il est alors possible d’exercer un recours en indemnité pendant les quatre années qui débutent, à compter du 1er janvier suivant la date de la décision ainsi obtenue.

  • S’agissant du délai de recours : Si la demande préalable d’indemnité a été rejetée, ou si la proposition d’indemnisation de l’administration est insuffisante, le recours indemnitaire devant le Tribunal administratif doit être exercé dans un délai de deux mois suivant la notification de la décision de l’administration. Au-delà de ce délai, il sera nécessaire de reformuler une nouvelle demande préalable pour pouvoir saisir le juge administratif.

Lorsque le demandeur sollicite en référé, à l’intérieur de ce délai, que soit ordonnée une expertise, cette demande proroge le délai jusqu’à son rejet par le juge des référés ou jusqu’à la notification du rapport d’expertise (CE, 18 mars 2009, n° 308137).

Par ailleurs, le délai de recours de deux mois pour saisir le Tribunal administratif n’est opposable au demandeur que s’il lui a été notifié (soit dans la lettre de refus, soit sur un récépissé de dépôt de demande adressé à la réception de la demande préalable). En l’absence d’une telle notification, le tribunal peut être saisi au-delà du délai de deux mois (situation très fréquente car l’administration laisse souvent des demandes d’indemnités sans réponse et sans avoir notifié les voies et délais de recours au dépôt de ces demandes). Mais il y a bien sûr, même dans ce cas, application de la règle de la prescription de quatre ans précitée.

Que peut-on demander dans le cadre du « recours en indemnité » ?

Le recours indemnitaire a pour unique objet d’amener un juge à se prononcer sur le bien-fondé de la demande de réparation.

S’il reconnaît l’existence d’un préjudice engageant la responsabilité de l’administration, le juge dispose du pouvoir de définir le montant de l’indemnité qui sera accordée au requérant.

La requête doit comporter, outre un rappel des faits, toutes les explications et pièces nécessaires pour démontrer l’existence d’un dommage et son lien direct avec une faute commise par l’administration pénitentiaire.

La requête doit aussi préciser le montant global de l’indemnité réclamée ainsi que le versement des intérêts de la somme qui sera éventuellement mise à la charge de l’administration (ne pas oublier de demander aussi le remboursement des frais de justice engagés, justificatifs à l’appui). Si la demande d’indemnité est d’un montant inférieur à 10 000,00 euros, la décision du Tribunal administratif rejetant le recours indemnitaire ne pourra pas faire l’objet d’un appel mais seulement d’un pourvoi en cassation. Il est donc préférable que la demande d’indemnité soit, dans la mesure du possible, supérieure à ce montant.

En revanche, il n’est pas possible de demander l’annulation de la décision administrative à l’origine du préjudice dans le cadre du recours indemnitaire, il faut alors déposer un recours pour excès de pouvoir. Mais il n’est pas nécessaire d’avoir sollicité l’annulation de la décision pour pouvoir être indemnisé. Ainsi, il est possible de saisir le tribunal administratif d’une demande d’indemnité : 1) après avoir obtenu l’annulation de la décision attaquée ; 2) en même temps qu’on demande l’annulation de la décision auprès du même tribunal dans le cadre d’un recours distinct pour excès de pouvoir (la requête est alors une requête « mixte »); 3) après le recours pour excès de pouvoir mais avant que le juge ait statué sur ce recours (inviter dans ce cas le tribunal à joindre les deux procédures) ; 4) indépendamment de tout recours en annulation.

À quoi sert le « référé-provision » ?

Le référé-provision permet au demandeur d’obtenir une avance sur une indemnité que lui a refusée l’administration, en attendant que le tribunal se prononce sur le montant exact des dommages-intérêts lors de l’examen du recours indemnitaire (article R.541-1 du Code de justice administrative).

La saisine du juge dans le cadre du référé-provision peut-être déposée au préalable ou simultanément à une requête indemnitaire auprès du Tribunal administratif.

Le référé provision permettra au requérant d’obtenir une avance sur les sommes qui lui sont dues, en attendant que le montant exact de sa créance soit déterminée lors de l’examen du recours indemnitaire.

Quelles sont les conditions et la procédure de référé-provision ?

Le référé-provision est soumis à une seule condition : le requérant doit démontrer que les raisons de droit et de fait pour lesquelles l’administration doit lui verser des dommages-intérêts ne sont « pas sérieusement contestables » (article R.541-1 du Code de justice administrative).

Comme dans le cadre du recours indemnitaire dont il peut reprendre l’argumentation s’il l’a exercé, le requérant doit apporter la preuve de la faute de l’administration, du préjudice et du lien de causalité entre les deux.

Le Conseil d’Etat a récemment défini les conditions d’une « obligation non sérieusement contestable » dans une affaire intéressant les conditions de détention. Il considère que le requérant doit soumettre au juge des référés des éléments de nature à établir l’existence de l’obligation avec « un degré suffisant de certitude » (CE 6 décembre 2013, M.A B, n° 363290).

Le montant de la provision qu’accordera le juge dépendra des éléments qui lui seront soumis. Le Conseil d’Etat indique que le juge ne « doit allouer de provision que pour la fraction de ce montant qui lui paraît revêtir un caractère suffisant » (CE 6 décembre 2013, M.AB, n° 363290).

Le référé-provision doit obligatoirement être déposé par un avocat.

Le requérant peut exercer seulement cette procédure ou la présenter parallèlement à un recours indemnitaire.

La décision rendue par le juge des référés peut faire l’objet d’un appel devant la cour administrative d’appel territorialement compétente dans les quinze jours suivant sa notification. Un pourvoi en cassation est possible devant le Conseil d’État contre la décision de la cour administrative d’appel dans les quinze jours suivant sa notification.