Christine R., entrée en prison en novembre 2012 pour une peine de deux mois, a cumulé les peines internes pour des outrages et violences contre des surveillants. En décembre 2016, elle obtient une libération conditionnelle, preuve qu’une issue est possible. Mais l’ombre menaçante de la prison n’est jamais loin.
« Nous sommes dans un processus infernal où la prison originelle génère de la prison supplémentaire. » Ainsi le père de Christine R. résumait-il la situation de sa fille à la suite d’une énième condamnation pour des faits de violence contre des surveillants, en octobre 2014[1]. Initialement condamnée à deux mois de prison pour outrage et rébellion, cela fait à l’époque déjà deux ans qu’elle est incarcérée : la première année, elle la doit à des sursis antérieurs révoqués ; la seconde, à des peines pour des faits commis en détention. Par la suite, elle écopera encore, au gré des incidents, de plus de deux années de prison supplémentaires.
Rétive à toute forme d’autorité étatique, Christine ne supporte pas l’arbitraire. Or, dans l’univers carcéral, elle s’y retrouve confrontée presque quotidiennement. Très vite, les comptes-rendus d’incident et les procédures disciplinaires se multiplient. Parmi les fautes qui lui sont reprochées, environ la moitié sont des « refus d’obtempérer à une injonction » ou des « refus de se soumettre à une mesure de sécurité ». À l’origine le plus souvent, une difficulté dans l’exercice d’un droit, que ce soit pour elle-même ou pour l’une de ses codétenues. « Je ne suis jamais allée au contact physique la première. Mais ce que je sais très bien faire, c’est mettre les mains dans les poches en disant “Je ne bouge pas d’ici tant que”… Après, ils utilisent la “force strictement nécessaire” », raconte-t-elle. À partir de là, les insultes fusent, les coups s’échangent. Les plaintes s’enchaînent, et les peines avec.
Ballotée d’établissement en établissement – « j’ai eu dix-sept numéros d’écrou différents », précise-t-elle – Christine passe l’essentiel de sa peine à naviguer entre quartier isolement et quartier disciplinaire (QD), où elle passera plus de deux ans cumulés. « Moi, ça ne me gênait pas les transferts. J’étais isolée de toutes façons[2]. À chaque fois, je croyais qu’on allait repartir sur de bonnes bases. Mais à chaque fois, ça se passait mal. » Et pour cause : elle qui exècre « les bleus » et les démonstrations de force sera accueillie par des agents équipés de casques et boucliers dans presque toutes les prisons où elle sera affectée. « À Roanne, j’étais toujours gérée avec les casqués, même pour aller en promenade ou à l’infirmerie ! Quand j’avais la forme, ça me faisait marrer, je leur disais “Oh le room service, vous vous êtes trompés de costume !”, mais les mauvais jours… c’était dur. » Piégée entre les quatre murs du QD, « je m’accrochais à ma colère comme à une bouée de sauvetage », explique-t-elle. « Ça n’aurait jamais fini si une JAP [juge de l’application des peines] n’avait pas fini par accepter (à la quatrième demande) de me laisser sortir en condi ».
Le 16 décembre 2016, en dépit des avis défavorables de la Direction de l’administration pénitentiaire et du procureur de la République, Josiane Hérault, juge de l’application des peines au tribunal de Nantes, décide en effet d’octroyer à Christine le bénéfice d’une libération conditionnelle. « Si un aménagement de peine n’était accordé qu’au seul visa du comportement en détention, (…) il est certain que Mme R. ne pourrait utilement solliciter une telle mesure puisque son parcours carcéral est émaillé d’incidents », écrit-elle dans sa décision. Néanmoins, « il n’est pas certain que l’incarcération finisse par se traduire par un amendement. Quant à la dimension punitive de l’incarcération et à l’effectivité des peines prononcées, il y a lieu de relever que si la fin de peine est encore lointaine (puisqu’elle est fixée dans seize mois), Mme R. est écrouée depuis désormais plus de quatre ans, pour des peines dont la plus lourde s’élève à un an d’emprisonnement », motive-t-elle encore. Contactée, la magistrate explique : « Très concrètement, à cette époque, j’intervenais à la maison d’arrêt, où il y avait toujours un énorme flux de demandes d’aménagement de peine et malheureusement, on avait assez peu la possibilité de creuser les situations individuelles. En réalité, c’est le directeur du Spip [service pénitentiaire d’insertion et de probation] d’alors, qui avait une analyse très fine des situations, qui a attiré mon attention sur ce cas. Il m’a expliqué que Mme R. était prise dans un engrenage, et qu’il fallait casser cette logique institutionnelle dans laquelle elle était enfermée – et encore, l’administration ne relevait pas tous les mouvements d’humeurs de Mme R. ! Je n’ai fait que suivre la proposition qui m’était faite, sur la base d’un projet qui me semblait cohérent. »
Il faut dire aussi que depuis que Christine a été transférée à Rennes, la situation s’est apaisée. « C’est là où ça s’est le mieux passé, là où je suis restée le plus longtemps aussi, six mois. C’est le seul endroit où on ne m’a pas envoyé les casques et les boucliers – peut-être aussi parce que c’est la seule taule de France où y’a que des nanas, ils ne sont pas habitués à utiliser la violence. C’était une vieille taule, que des portes ouvertes, une salle collective avec une cuisine. À l’époque, le bureau des surveillantes était ouvert aussi, dans l’espace collectif. On ne les croise jamais les matons ailleurs, ils sont dans leurs aquariums. Là, elles étaient tous les jours parmi nous, elles savaient qu’on était des êtres humains, elles n’avaient pas peur de nous. »
À sa sortie, Christine s’est « tenue à l’écart » des ennuis. « Ça m’a pris deux ans de me réadapter, apprendre à me servir d’un “ordiphone”. Quand je suis sortie, tout se faisait par internet. » Après une période d’euphorie de quelques mois, s’est ensuivie la prise de conscience que l’adversité n’était pas circonscrite à la prison. « À ce moment-là, je me suis dit “c’était plus facile quand j’étais enfermée, au moins je savais qui étaient mes ennemis”. »
En 2019, Christine, « qui n’avait jamais cessé ses activités militantes anticarcérales », épouse un nouveau mode d’action : les « cafés taules », qui consistent à proposer des cafés aux abords des parloirs. La voilà qui se frotte de nouveau aux forces de l’ordre, avec, à la clé, de nouvelles gardes à vue et des condamnations, mais point de prison… jusqu’à aujourd’hui du moins : « Récemment, le procureur a requis un an avec mandat de dépôt différé. Le délibéré a lieu le 20 octobre. J’ai d’autres procès en attente, quasiment tous liés à mon militantisme anticarcéral. La vérité, c’est que je crains tout le temps d’y retourner. Mais je ne veux pas marcher à la peur, je veux rester vivante. » Et rester vivante pour Christine, c’est se battre par tous moyens contre ce qu’elle considère comme un « instrument de torture morale », peu importe les risques.
De ses années de prison, Christine a gardé plusieurs séquelles : un genou et une cheville fragilisés par des violences et la sédentarité forcée, un bégaiement qui se réveille dans les moments où la peur ou la colère sont trop vives, et des cauchemars, « presque toutes les nuits ». « C’est super rare que je passe une journée sans penser à la taule. Qui peut croire qu’on en sort vraiment ? »
Propos recueillis par Laure Anelli
[1] « Christine, un engrenage carcéral », Politis, 24 octobre 2014.
[2] L’essentiel des établissements et quartiers pour femmes sont situés dans la moitié nord de la France tandis que Christine R. vient du Sud-Ouest.