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Crise sanitaire : longues peines, les oublié·e·s

Pour faire face à la crise sanitaire et limiter le risque de contaminations en détention, le gouvernement a adopté des mesures exceptionnelles permettant la libération anticipée de prisonniers en fin de peine. Mais toutes les personnes détenues n’y étaient pas éligibles. Parmi elles, les personnes condamnées pour des faits criminels. Dans une lettre, Marina*, dont la compagne est incarcérée pour une longue peine, confie son incompréhension et son sentiment d’injustice.

« Je ne veux pas vous déranger dans ce contexte compliqué et je sais que vous devez être déjà bien sollicités, mais je ne sais pas quoi penser de tout cela. C’est peut-être moi qui vois à l’envers… ?

Ma compagne est incarcérée et doit subir une longue peine criminelle (vingt et un ans). Elle a effectué presque six ans. Après son passage au CNE [centre national d’évaluation]**, elle a été transférée à 650 km de mon domicile. Nous avions des parloirs presque trois fois par semaine auparavant et maintenant, seulement une fois par mois – et encore, à quel prix ! Vous n’êtes pas sans savoir que la localisation de Joux-la-Ville et les mesures prises pour accueillir les familles sont très rudimentaires : parloir le week-end uniquement, aucun transport public alentour… Le coût de chaque voyage est très élevé si on ne se déplace pas en voiture. On peut demander à louer un hébergement à bas prix mais les possibilités sont bien maigres : une seule chambre pour tout l’établissement. Je pensais que la loi pénitentiaire de 2009 prévoyait de maintenir les liens familiaux au maximum… Ma compagne est la seule de sa session à ne pas être rentrée au centre de détention de Rennes, où elle était incarcérée avant son passage au CNE. J’avais lu sur Internet que c’était un établissement pour les détenues les plus réinsérables et qu’ils étaient au top pour la formation. À Joux-la-Ville, elle entame un DAEU [diplôme d’accès aux études universitaires] que l’on peut faire partout et il n’y a pas de travail, alors qu’à Rennes, elle était à l’atelier de couture et devait reprendre son poste à son retour car elle avait une très bonne cadence. Résultat : elle ne peut pas payer ses parties civiles comme il le faudrait et c’est moi qui dois lui envoyer de l’argent, qui sert en très grande partie à m’appeler vu l’éloignement géographique. Sa demande de transfert pour retourner à Rennes est faite, nous attendons…

Dans le contexte du coronavirus, forcément les choses se corsent et nous mettent sous tension. Je ne parle pas de tout ça à ma compagne. Certaines mesures ont été prises qui me semblent très bonnes et je peux dire que cela soulage notre quotidien (octroi d’un crédit pour téléphoner, frigo et TV gratuits, messagerie vocale sur laquelle nous pouvons lui laisser un message). Les transferts sont suspendus, sauf disciplinaires. Des mesures pour désengorger les prisons ont été prises. Pas de soucis là-dessus. Mais voilà ce qui me pose problème. Ma compagne m’a appelée. Elle venait d’apprendre qu’elle pouvait demander deux mois de remise de peine supplémentaires (RPS). Or, j’ai lu le texte que vous avez diffusé. Je l’ai avisée qu’elle n’y aurait en réalité pas droit. Je précise que j’ai été surveillante pénitentiaire. Je connais donc la prison et ce qui s’y passe. En passant de l’autre côté de la barrière, je vois aussi l’envers du décor et ce sentiment d’injustice qui peut croître. Le coronavirus concerne tout le monde, les petites peines qui pourront profiter de cette opportunité, mais aussi les grosses peines qui subissent tout autant cet état de fait et qui ont leur droit aux parloirs suspendu pendant on ne sait combien de temps ! Alors je comprends que les politiques ne veulent pas choquer l’opinion publique en octroyant ces deux mois de RPS – qui sont, je le rappelle, une goutte d’eau dans la mer pour des peines de vingt, trente ans, mais qui seraient au moins une reconnaissance de leur existence, et une façon de les inciter à continuer à bien se tenir. Car il faut savoir qu’en prison, les « gros profils » [personnes condamnées pour des faits graves] sont très sollicités et jouent un rôle important pour maintenir la paix à l’intérieur. On les place souvent auxi, on les incite à apaiser les tensions, à gérer aussi les plus fragiles, ceux qui sont suicidaires. Ils aident les surveillants à faire régner un semblant d’ordre par leur influence. Au final, on les conforte dans leur position de gros profils pour tenir notre coursive, mais c’est à double tranchant, puisque cette position leur donne un pouvoir qu’ils ne devraient pas avoir. L’opinion publique ne peut pas comprendre ça, mais la morale est un peu inversée en prison : les plus calmes, ceux sur lesquels on s’appuie, sont souvent ceux qui ont commis les faits les plus graves. Mais quand ils décident d’atteindre un objectif, ils sont déterminés. Les politiques étaient focalisés sur le désengorgement, mais ils n’ont pas pensé au sentiment d’injustice qui allait naître pour des gens qui ont déjà du mal avec la société.

Ma compagne s’est battue pour pouvoir voter au premier tour des élections municipales alors qu’elle venait d’arriver à Joux. Elle me disait : « Nos anciens se sont battus pour que l’on puisse voter. Même incarcérée, j’ai encore cette chance et cette possibilité, c’est important. » Quel acte de civisme alors que moimême je n’y suis pas allée ! Elle aurait aimé faire des masques puisqu’elle coud bien, mais pas possible à Joux, alors que les filles de Rennes s’y mettent… Chaque jour, elle évolue et ce sont des gouttes d’eau en plein océan, mais chaque goutte d’eau compte pour moi. Nous, les surveillants, on nous bassine la tête avec la réinsertion à l’Énap [École nationale de l’administration pénitentiaire], le sens de la peine, la prévention de la récidive. Ok, mais pas pour tous finalement. Je sais très bien qu’elle se comportera bien malgré tout, car elle évolue de jour en jour et qu’elle n’attend pas après ça : il finit par y avoir une forme de résignation quand on est ancrée dans un statut comme celui-là. Mais pour moi, l’exclure des remises de peine exceptionnelles, c’est lui dire qu’elle n’existe pas et que quoiqu’elle fasse, elle sera toujours ramenée à “ça”. Pensez-vous que l’on puisse alerter les pouvoirs publics sur cette faille importante ou qu’il y ait des recours possibles ? Pourquoi mettre des exceptions à la règle alors que tout le monde vit la même chose ? Je ne comprends pas. J’ai peur que pour beaucoup, cela insuffle un sentiment de révolte aussi. »

* Le prénom a été modifié.
** Structures pénitentiaires dans lesquelles sont envoyées les personnes condamnées à de longues peines pour y être évaluées, durant plusieurs semaines, par une équipe pluridisciplinaire. C’est à l’issue de cette évaluation que les personnes détenues connaitront l’établissement dans lequel elles seront affectées pour l’exécution de leur peine.