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Les parloirs au temps du Covid-19, entre soulagement et frustration

Depuis une semaine, les proches de détenus reprennent, progressivement, le chemin des parloirs. Privés de ce lien essentiel depuis le 18 mars dernier, les prisonniers comme leurs familles brûlaient d’impatience. Mais les retrouvailles tant attendues se déroulent sous haute surveillance et dans des conditions sanitaires strictes. Témoignages.

Message de la compagne d’un détenu d’Épinal : « J’ai eu un parloir pour la première fois hier avec mon compagnon. Une sensation horrible aussi bien pour lui que pour moi. Nous portions un masque tous les deux, jusque-là c’est normal, je comprends tout à fait les mesures de sécurité pour sa santé. Mais on nous fait mettre le masque alors qu’on est séparé part une vitre en plexiglas et un panneau de bois jusqu’au sol : où est l’intérêt du port du masque ? J’avais du mal à le comprendre, on était obligé de hurler, de se répéter, dans un brouhaha phénoménal, c’était franchement désagréable. Heureusement, le voir m’a réconfortée, même si ce parloir, on l’a mal vécu. »

Message d’un détenu de Paris-La santé : « J’ai eu parloir ce matin, pour le moment les gestes barrières et les règles d’hygiène sont respectés. On nous a donné un masque et du gel avant et après le parloir. Les surveillants étaient sur le qui-vive, le directeur et le chef de détention dans le coin. Les détenus présentant des problèmes de santé ont eu un parloir avec hygiaphone. J’espère que ce mode de fonctionnement restera tout le temps de l’urgence sanitaire. »

Message d’un détenu de Rouen : « J’ai pu effectuer mon premier parloir, ce sera aussi dernier dans ces conditions. Le risque sanitaire peut être écarté, vu les conditions à respecter ! Plexiglass, masques, impossibilité d’avoir les deux personnes debouts en même temps sinon on risque une suspension, les surveillants en permanence derrière les portes vitrées donc aucune intimité, aucune possibilité de discuter de choses personnelles, et bien sûr aucun contact…  Nous voilà revenus au temps des hygiaphones généralisés ! C’est brutal, et choquant pour nous détenus, et encore plus pour la personne qui nous rend visite, après avoir fait de nombreux kilomètres. Autant faire des visio-parloirs, comme dans d’autres pays européens. Car là, ça ne va pas du tout arranger les tensions internes, loin de là. Je pense même que si cela perdure, elles vont s’accentuer. »

Message de la femme d’un détenu de Lannemezan : « Les salles d’accueil sont fermées. Il n’y avait que moi comme famille de détenu. Les parloirs ont été aménagés, vitre en plexiglass, surveillance et marquage au sol. J’ai dû signer une charte qui engageait ma responsabilité en cas de contact avec mon mari et en cas de contact récent avec le Covid-19. J’ai respecté à la lettre les consignes. Mon mari est arrivé avec un masque qu’on lui a donné. Il était triste et amaigri. C’est une situation intenable pour les familles… Nos enfants pleuraient à la maison de ne pas pouvoir venir voir papa. Je retournerai la semaine prochaine voir mon mari. Les surveillants sont très gentils, mais exaspérés de ces nouvelles contraintes dans leur travail. »

Message d’une femme proche d’une détenue de Lille-Sequedin : « Nous sommes mercredi, et depuis lundi, nous ne cessons d’appeler le service des parloirs, entre 8h30 et 17h, toutes les vingt minutes environ, pour réserver un parloir. La seule réponse que nous avons c’est : “Rappelez ultérieurement.” Le parloir est un droit. Je peux comprendre que la crise sanitaire a bouleversé le système. Mais les parloirs sont autorisés, et la réservation non accessible. »

Message de la compagne d’un détenu de Toulouse-Seysses : « Je devais avoir un parloir la semaine ou l’État a annoncé le confinement total. Je peux vous dire que j’étais plus que déprimée de devoir attendre… Il est incarcéré depuis le début de l’année, nous échangeons seulement par courrier. La fin du confinement arrive, j’appelle le mardi en vain, 3h au téléphone de 9h à 12h, aucune réponse. Je suppose qu’ils sont submergés d’appels des familles… Je rappelle le lendemain et j’obtiens mon parloir pour le vendredi. Heureuse, je me rends à la maison d’arrêt, excitée et stressée car je me demande dans quel état je vais retrouver mon conjoint. De l’attente, encore et encore. Dans l’espace visiteur, un premier surveillant nous donne un papier qui stipule que nous n’avons pas contracté le Covid. Le masque est obligatoire et non fourni par la maison d’arrêt, et du gel est mis à disposition avant la visite. Un second gardien nous prévient que si l’un d’entre nous retire le masque ou fait passer ne serait-ce qu’une cigarette le parloir est suspendu, que le visiteur sera interdit de parloir pendant un temps et que le détenu sera mis en quatorzaine. Aucun contact physique, pas de baiser, embrassade ou accolade, mais nous pouvons nous tenir les mains. On m’indique ma porte de parloir, on m’ouvre la porte : deux chaises et une table pour respecter le mètre de distance. Mon conjoint arrive. Je le vois sourire sous son masque. Forcément, on a envie de s’embrasser, mais je lui dis qu’on ne peut pas. Nous nous serrons les mains fort, sans se lâcher jusqu’à la fin. À l’intérieur, il me dit que tous les détenus sont à cran, qu’ils n’ont pas de masques, et seulement une heure de promenade par jour. Ils sont trois dans sa cellule, et ils sont beaucoup dans cette situation. Le moral, il l’a, car je lui envoie du courrier. Mais sans ça, comme il dit, “tu deviens ouf, tu pètes les plombs” : rien à fumer, pas de visite, promenade raccourcie… Il y a beaucoup de tensions. »

Message de la fille d’une détenue de Lille-Sequedin : « Les parloirs ont repris hier, et j’ai eu la chance de voir ma mère. En temps normal, il y a une dizaine de détenues par parloir. Là, ils n’en autorisent que deux, donc l’attente pour obtenir un parloir est assez longue. Cela faisait deux mois que je n’avais pas vu ma mère. Ma joie s’est mélangée avec un sentiment de frustration car nous étions dans cesse épiées par les gardiens (ils étaient six ou sept autour de nous). Je me sentais comme une bête en cage que l’on observe. »

Message de la sœur d’un détenu de Rennes-Vezin : « J’avais parloir hier à 8h30. L’association Brin de soleil, qui nous permet de déposer nos affaires personnelles, de réserver à la borne les prochains parloirs et d’échanger avec les membres de l’association, est fermée. Je me suis ainsi rendue directement devant la porte du pénitentiaire un quart d’heure en avance, avec mes clés de voiture, mon masque obligatoire et ma carte d’identité. Le surveillant nous indique qu’il n’y a actuellement aucun cas de Covid recensé, ni chez le personnel ni chez les détenus. Ainsi, afin de contrôler et éviter la survenance de ce virus, les sanctions sévères nous sont indiquées avant de pénétrer dans l’enceinte si nous contrecarrons les consignes données – port de masque obligatoire pendant les quarante-cinq minutes de parloir et interdiction de se toucher – : le permis de visite suspendu et la personne détenue en isolement pendant quinze jours. Une fois toutes ces informations en tête, nous pénétrons dans l’accueil, les surveillants sont tous protégés par des masques et nous nous désinfectons les mains avec du gel hydroalcoolique fourni par le centre pénitentiaire. Nous signons une charte où nous nous engageons à respecter les nouvelles règles fixées. Nous déposons ensuite nos effets personnels dans un casier commun et nous nous engageons dans le centre pénitentiaire, jusqu’au parloir familial. Le parloir a été aménagé de façon à protéger les détenus et l’enceinte de la prison d’une manière générale. En temps normal, la pièce de 5m² est occupée par une table et quatre chaises, mon frère pénètre par une porte latérale et les visiteurs par la porte d’en face. Aujourd’hui, deux tables sont disposées dans l’entrebâillement de la porte par où d’ordinaire pénètre mon frère. Ces tables marquent la distanciation entre lui et moi, il faut parler fort car les masques étouffent nos mots. La porte est ainsi ouverte sur le couloir des détenus et mon frère est assis sur une chaise dans ce corridor bleu, aseptisé, un peu froid. Nous entendons donc les échanges voisins des proches et des détenus, mais cela reste discret. Sensation étrange pour les familles d’être presque de l’autre côté des murs et de toucher un tant soit peu la réalité de ce que vit mon frère. »

« La reprise des parloirs est encore plus dure. Pire qu’à l’armée, des marquages partout, des vitres en plexiglas. On ne s’entend pas, et il y a un surveillant devant le box : aucune intimité, même dans la discussion. Être à cinq centimètres de lui et ne pas pouvoir le toucher… J’en ai pleuré. Pourtant je suis forte, mais là c’est trop. »

Message de la compagne d’un détenu de Lille-Annoeullin : « Je suis très en colère car pour un parloir, je viens en métro et bus, ça dure une heure. Mais à la prison, on n’a plus accès aux casiers, donc je ne peux pas avoir de sac à main : ça veut dire pas de téléphone, pas d’argent pour payer mon bus… Comment faire sans aucun endroit où laisser mon sac ? Ils pourraient pourtant mettre les casiers à disposition, en respectant un sens de circulation par exemple ! »

« La reprise a été effective mais dans des conditions si drastiques qu’elles rendent toute visite impossible. La distance de 100km limite[1] déjà beaucoup de possibilités de parloirs. Cela ne fait pas partie des exceptions, je me demande bien pourquoi. Une personne, une heure par semaine et par détenu, avec un masque, sans contact et dans une salle commune : mon amie préfère ne pas avoir de parloirs. Il aurait mieux valu ne rien autoriser en prenant des risques de grogne plutôt que d’autoriser des parloirs impossibles. Il me reste un goût amer en travers de la gorge, et je me demande si un jour je pourrai rendre visite à mon amie. Pour les permissions de sortir, le retour est si contraignant – les détenus doivent passer quatorze jours isolés – fait que mon amie, qui devait pourtant en bénéficier, préfère attendre un retour à la normale. À ce jour il n’y a pas de reprise des UVF [unités de vie familiales] qui de toute façon seraient probablement soumises aux mêmes conditions qu’un retour de permission, c’est-à-dire un isolement sans travail et donc sans salaire, dans une cellule provisoire, sans activités, avec une heure de promenade par jour. Par ailleurs, puisque les événements épidémiques sont loin d’être terminés, n’est-il pas possible d’autoriser des colis aux détenus ? »

Message de la compagne d’un détenu de Villefranche-sur-Saône : « Mon parloir était quand même assez particulier, ce lundi 11 mai. J’arrive pour mon heure de rendez-vous, je ne vois personne. Je me disais que les gens attendaient peut-être dans leur voiture, mais finalement, à l’heure de l’appel, je me suis bel et bien retrouvée seule ! Deux surveillants pour m’accompagner, toujours un devant et le deuxième qui me suit. On passe par le chemin habituel pour se rendre aux boxes, mais je continue de suivre, nous passons par ce qui est d’habitude le chemin des détenus. Puis nous entrons dans un bâtiment (je ne sais lequel), et ils m’accompagnent jusqu’à l’entrée du gymnase. Une vingtaine de tables sont mises en place tout autour des murs, comme un U dans une salle de classe, avec le bureau des surveillants à la place du bureau du prof. Port du masque obligatoire pour les visiteurs. Gel hydroalcoolique avant et après. Signature d’une charte, comme partout j’imagine – qui reste dans notre pochette visiteur, donc pas besoin de la re-remplir à chaque visite (bizarre d’ailleurs, car on peut ne pas être touché un jour, et l’être le jour suivant). Ensuite le détenu arrive, et le parloir dure une heure. Évidemment, interdiction de tout contact physique sous peine de suspension de parloir et rapport au juge d’application des peines sans délai. Et pas de masques pour les détenus… Les surveillants en avaient, ainsi que des gants. Les détenus sont soumis au gel hydroalcoolique avant et après. Mais pas de masques. Le ressenti ? Frustrant, gênant, “malaisant”, perturbant, dur, horrible. Compréhensible, car on ne sait pas si lui ou nous-mêmes sommes touchés, donc on comprend les consignes. Mais c’est super dur. À la fin, les surveillants ont été très aimables et compréhensifs, ils sont venus nous informer que c’était terminé et nous ont laissé le temps de nous dire au revoir. À ma sortie, le chef des surveillants m’a demandé mon avis, et nous avons pu échanger un peu sur cette organisation. »

Message de la compagne d’un détenu de Lille-Sequedin : « J’ai eu la possibilité de “voir” mon mari ce matin. La prise de rendez-vous a été compliquée, après 193 appels pour pouvoir avoir le service… Ce parloir fut très stressant, je n’ai pu voir que les yeux de mon mari, et la touffe de cheveux qu’il a accumulée pendant ces deux mois. Même si cela nous rassure d’avoir enfin de ses nouvelles, c’est horrible de ne pas pouvoir le serrer dans ses bras, l’embrasser pour lui dire bonjour, le réconforter. J’ai senti mon mari tendu et cela m’a mis la boule au ventre. »

[1] Bien que la ministre de la Justice ait affirmé sur les ondes de France Inter que la visite au parloir devrait constituer un motif familial impérieux permettant de déroger au périmètre de 100km qui limite tout déplacement, le ministère de l’Intérieur n’a pas pris de de disposition en ce sens, si bien que le flou demeure et que les interprétations diffèrent d’un lieu à l’autre.

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