Boris, 57 ans, est malvoyant. Absence d’activités adaptées à son handicap, vétusté des locaux, violence, mesures de sécurité exagérées, il raconte son année de détention à la maison d’arrêt de Fresnes, de décembre 2014 à janvier 2016.
« J’ai de gros problèmes de vision. Je n’ai pas de problèmes moteurs, mais je suis reconnu handicapé à 90%. Lors de mon incarcération, on m’a dit qu’on me plaçait à Fresnes parce que c’est soi-disant médicalisé. Les premiers temps, j’étais au rez-de-chaussée, dans une cellule double pour personnes en fauteuil roulant. Dans ce quartier, chaque cellule communique avec une autre, avec, entre les deux, une douche et deux lavabos. On peut ainsi ouvrir les portes et discuter. Je faisais tant bien que mal le ménage des cellules et de la douche. Mais au rez-de-chaussée, la prison est envahie par les rats. Dans l’allée qui conduit aux cours de promenade, il y en a des dizaines. La puanteur remonte dans les cellules. Ils nettoient au jet d’eau, une fois tous les quinze jours, mais la puanteur est infernale, à cause de tout ce qui est jeté par les fenêtres par les détenus. »
Des détenus marginalisés, cibles de violences
« Assez rapidement, ils m’ont mis au premier étage. Je me suis retrouvé en cellule normale, seul, avec un lavabo sans eau chaude et la douche collective trois fois par semaine. Bien qu’ils aient repeint les murs et fait quelques travaux, les cellules restent pour la plupart dans un état épouvantable, d’une saleté repoussante, avec du mobilier cassé. Dans ma cellule, il n’y avait pas de porte aux WC. J’ai installé un grand sac-poubelle noir avec un fil, ça faisait un rideau. Malgré des désinfections régulières, les puces et les punaises de lit sont toujours là. Et on nous fait vivre là-dedans.
Au début je sortais en promenade dans une cour réservée aux handicapés. Des gens de l’extérieur y balançaient des colis, et les détenus des autres cours nous menaçaient pour qu’on les ramasse et qu’on leur remette. Il y avait des bagarres. Il y avait tellement de problèmes et de violence que j’ai finalement arrêté d’aller en promenade. J’ai préféré rester en cellule. Etre handicapé en prison n’est simple pour personne. Je me souviens d’un jeune de 23 ans un peu malade de la tête, qui prenait son traitement n’importe comment. Il avait des hallucinations, il voyait des gens dans sa cellule. En promenade, les autres le maltraitaient. Il délirait souvent. Un jour, alors qu’il courrait dans le couloir, les surveillants l’ont attrapé, l’ont trainé par terre comme un chien et recollé dans sa cellule. Et ils l’ont laissé comme ça. Un autre détenu handicapé s’est suicidé dans sa cellule, il s’est tranché la gorge. »
La télévision pour seule occupation
« Pour lire et pour écrire, je dois utiliser une loupe très puissante. Heureusement, un écrivain public me faisait mon courrier de temps en temps. Pour le reste de la vie quotidienne, je n’avais pas d’aide particulière. Une visiteuse venait me voir pour le moral tous les vendredis. Le mercredi, on avait une heure de sport dans une salle. Et tous les quinze jours, j’avais les réunions des Alcooliques anonymes. Pour l’information sur les activités, ils distribuent un prospectus et on peut s’inscrire en mettant le nom, le numéro d’écrou et le numéro de la cellule. Ça, j’arrivais à le faire, grâce à ma loupe. A chaque fois que je savais qu’un spectacle était organisé, je remplissais le papier et je le glissais sous la porte, mais ils ne venaient pas me chercher. Sauf une fois : il y a eu un spectacle de musique classique et comme j’adore ça, j’ai écrit au SPIP en expliquant qu’à chaque fois que je demandais à aller à un spectacle, on ne venait jamais me chercher. J’ai insisté, et j’y ai eu accès. Une seule fois en un an. Le reste du temps, pour m’occuper, j’avais la télévision, c’est tout. Les bouquins de la bibliothèque, je ne pouvais pas les lire, les caractères étaient trop petits. Sauf un livre sur Pavarotti, écrit avec des gros caractères. J’ai demandé si je pouvais avoir des livres adaptés ou des livres audio, mais il n’y en avait pas. »
Des rendez-vous médicaux systématiquement suivis de fouilles à nu
« Quand j’allais à l’hôpital pour mes yeux et qu’ils me ramenaient ensuite à la prison, les surveillants me forçaient à me déshabiller entièrement. C’était très dur. Pourtant, j’étais en permanence avec des surveillants lors de ces visites médicales. Pendant le trajet, à l’hôpital, ils étaient là. Et je restais menotté, même pendant les examens. Les médecins ne disaient rien, ils devaient trouver ça normal. Même chose après les parloirs : les surveillants me fouillaient à nu. A chaque fois.
Je n’ai pas eu beaucoup de visites de ma famille. Mon père, qui est âgé et qui vit à trois cent kilomètres de Paris, est venu me voir quatre fois. Ma sœur, deux fois. Pour des parloirs de quarante-cinq minutes. Le reste du temps, j’étais dans un isolement presque total, entouré par tous les bruits de la prison. Des cris, du matin au soir. Les surveillants criaient, les détenus criaient. A Fresnes, personne ne parle normalement. La nuit, les surveillants allument la lumière et si on ne bouge pas ils mettent des coups de pied dans la porte, « pour voir si on est vivant ». Quand je demandais à aller à l’infirmerie ou que je voulais téléphoner à mes parents, je mettais un papier sous la porte. Quand ils ouvraient la porte à sept heures du matin, je redemandais. On me disait « après les promenades ». Mais après les promenades ce n’était plus le même surveillant et le nouveau me disait « non, j’ai pas le temps, j’ai pas que ça à faire, on verra plus tard ». C’était pareil pour voir ma CPIP. Je lui écrivais, elle répondait parfois qu’il fallait attendre, qu’elle avait beaucoup de monde. Je ne l’ai vue que deux fois en un an. On nous dit toujours d’écrire pour toute demande, et on ne nous répond pas. Alors il faut recommencer. Et attendre, attendre. »
Recueilli par François Bès