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« On a laissé mourir mon fils dans des souffrances morales énormes »

Benoit s’est suicidé le 10 août 2024 dans sa cellule du centre pénitentiaire de Lutterbach. Incarcéré en pleine crise psychotique, il avait déjà tenté de mettre fin à ses jours dès son arrivée dans l’établissement. Sa mère, Dominique, raconte comment elle a vu son état se dégrader sans que son fils ne soit correctement pris en charge. Et comment les multiples démarches pour récupérer son corps et ses affaires n’ont fait qu’accroître sa douleur.

« Quand Benoit a été arrêté par la police, le 2 mars, il était dans un état de confusion totale, avec des bouffées délirantes. Il était en pleine décompensation psychotique à cause de l’arrêt brutal, deux semaines plus tôt, des médicaments qu’il prenait, méthadone, anxiolytiques et antidépresseurs. Le procureur a dit publiquement qu’il s’interrogeait sur sa pleine capacité mentale, que Benoit était très troublé, mutique, prostré. Et pourtant, il a été mis en détention direct. C’était une mauvaise orientation dès le départ, il aurait dû aller en psychiatrie.

« Au premier parloir, on a eu du mal à le reconnaître »

Après 48 heures de garde à vue, Benoit a été incarcéré au centre pénitentiaire de Lutterbach. J’ai dû courir la France entière pour le retrouver, personne ne m’avait informée. Après mon premier échange téléphonique avec lui, j’ai tout de suite alerté le Spip [service pénitentiaire d’insertion et de probation] sur son état psychique. Mais je n’ai plus reçu aucune nouvelle, ni de sa part ni du centre pénitentiaire. Je l’ai à nouveau cherché partout, et j’ai fini par apprendre qu’il avait été transféré à l’UHSA [unité hospitalière spécialement aménagée] de Nancy, dans le cadre d’une hospitalisation d’office suite à une tentative de suicide.

Au premier parloir que nous avons obtenu à l’UHSA, sa sœur et moi, on a eu du mal à le reconnaître. Son visage était figé. Il nous a montré une trace de strangulation sur le cou, encore très nette. Là-bas, Benoit a bénéficié d’un traitement médicamenteux et d’une prescription mensuelle d’injection antipsychotique pour le stabiliser, mais aucun accompagnement psychologique ne s’est mis en place. On m’a expliqué que le poste de psychologue de l’UHSA était vacant. Le volet toxicologique n’a pas été traité non plus. Ça ne risquait pas de s’arranger tout seul !

Le démarrage du traitement antipsychotique a stabilisé assez rapidement son état, et ses hallucinations auditives et visuelles se sont vite calmées. Au bout de cinq semaines, il est revenu à Lutterbach, au quartier “arrivants” puis au quartier “vulnérables”, avec un codétenu plus âgé avec lequel il s’entendait bien. Parfois on leur mettait un troisième codétenu, qui dormait sur un matelas par terre. Lutterbach, c’est peut-être un établissement tout neuf, au niveau des locaux c’est pas mal, mais il y a une forte surpopulation, et beaucoup de matelas au sol. Au bout de plusieurs semaines, Benoit a obtenu de faire une heure de sport par semaine… Le reste du temps, il était enfermé dans sa cellule !

« Je l’ai vu sombrer de jour en jour »

Mon fils était de plus en plus déprimé. Ce n’est qu’une fois stabilisé qu’il a réalisé que son père était mort. Il a fallu que je transmette un acte de décès à un officier. La culpabilité qu’il éprouvait, le traumatisme du geste commis, les perspectives très sombres de son avenir et la promiscuité en détention, tout cela le rendait de plus en plus mal. Il a fait l’objet de passages en CPU [commission pluridisciplinaire unique] “prévention suicide”, mais au mois de mai, ils ont estimé qu’il n’avait plus besoin de surveillance.

Au centre pénitentiaire, Benoit n’a eu aucune prise en charge toxicologique. Il a été sevré de la méthadone à la dure, sans traitement de substitution, mais il n’était pas stabilisé. Il ne voyait pas de psychiatre, puisqu’il n’y en a pas. Et sur le plan psychologique, il n’était pas suivi non plus. Pourtant depuis son arrivée il demandait à voir un psychologue, mais il n’a jamais obtenu de rendez-vous… Il ne voyait qu’une infirmière pour son injection mensuelle, c’est tout.

Il ne parlait pas du tout avec son codétenu de ce qu’il avait fait, il gardait tout à l’intérieur. Il n’en parlait qu’à nous, au parloir, mais quand j’y allais avec sa sœur, comme elle était enceinte, il voulait la protéger et il évitait d’en parler. Benoit ne voyait pas d’issue à sa situation, il me répétait qu’il n’arriverait pas à tenir le coup longtemps… J’essayais de lui remonter le moral comme je pouvais, mais je me sentais totalement impuissante. Je l’ai vu sombrer de jour en jour. À la fin, il me déversait toutes ses angoisses, il avait la sensation d’avoir bousillé la famille et il était très sombre sur l’avenir.

Je l’ai vu la veille de son suicide, il semblait plutôt bien, plus léger que d’habitude. Je ne sais s’il avait pris sa décision.

« Quand ils sont remontés, ils l’ont trouvé pendu »

Le 10 août à 20h05, la directrice adjointe de la prison m’a téléphoné pour m’apprendre le décès de Benoit. Il avait profité du fait que ses codétenus étaient en promenade pour se pendre. Quand ils sont remontés, ils l’ont trouvé pendu. Avec un surveillant, ils ont essayé de le ranimer, mais c’était trop tard. J’étais seule chez moi, j’ai fait une crise de panique. J’aurais préféré qu’on vienne m’apprendre la nouvelle en personne.

Alors qu’ils étaient deux en cellule depuis un moment, j’ai appris qu’un troisième détenu était arrivé la veille de son décès. Est-ce que ça aussi a pu jouer dans son passage à l’acte ?

Quand je suis venue chercher les affaires de Benoit à la prison, on m’a confirmé qu’il y avait six mois d’attente pour obtenir un rendez-vous avec un psychologue… Trop tard, mon fils n’a pas pu attendre jusque-là. Pourtant, pour le codétenu qui l’a découvert pendu, on a su trouver un psy pour l’aider à faire face.

On a laissé mourir mon fils dans des souffrances morales énormes. Je suis très en colère à cause du manque de protection dont il a fait l’objet, alors que sa fragilité était repérée depuis son arrivée. Tout le monde était alerté ! Pour moi, c’est clairement de la non-
assistance à personne en danger.

Ce drame m’a brisée. Après la mort de son père et la médiatisation de l’affaire, le suicide de Benoit, c’est le coup de grâce.

« C’est comme si mon fils appartenait à l’État »

Et puis il y a eu toutes les démarches administratives à faire, comme si même mort, mon fils ne nous appartenait pas, à nous, sa famille…

J’ai d’abord été auditionnée par les gendarmes chargés de l’enquête. Ensuite, l’autopsie a eu lieu, mais on a eu la conclusion du légiste longtemps après. Puis il a encore fallu attendre le permis d’inhumer, ça a été très long aussi. Et puis ils ne voulaient pas me rendre le corps de mon fils, ça a été un combat pour le récupérer, qui n’a fait qu’ajouter à la peine. C’était comme si mon fils appartenait à l’État. On n’a pas été pris en compte. On m’a annoncé qu’à la sortie de l’institut médico-légal, le cercueil serait scellé. Je m’y suis opposée, il a fallu batailler, je ne tombais jamais sur le bon interlocuteur, mais j’ai réussi à négocier pour qu’ils le conduisent jusqu’aux pompes funèbres dans le secteur de la prison. On a pu venir le voir une après-midi.

Quand, après ça, la directrice adjointe m’a demandé un certificat d’hérédité pour que je puisse récupérer les affaires de mon fils, ça m’a mise en pétard ! Tout ça pour les 300 euros de son compte détenu… mais c’est la procédure ! Il a fallu que j’aille à la mairie pour faire établir le certificat, et on a récupéré les affaires. Franchement, j’ai fait des démarches sans arrêt jusqu’à aujourd’hui.

Dans les affaires que j’ai récupérées à la prison ce matin, il y a des carnets, dans lesquels Benoit écrivait ce qu’il faisait, ce qu’il mangeait, comment il se sentait. Il écrivait par exemple : “Je n’ai pas bien dormi, j’ai été réveillé par la lumière de l’œilleton.” Il trouvait les journées longues, il se demandait comment il allait tenir le coup. Et cette dernière inscription : “La vie est trop difficile.” »

Propos recueillis par Odile Macchi

Cet article a été publié dans le Dedans Dehors N°124 : Dix fois plus de suicides en prison qu’à l’extérieur