La scolarisation des personnes illettrées et non francophones est une priorité pour l’administration pénitentiaire. Encore faut-il qu’elles soient systématiquement repérées : si l’institution s’est, au fil des années, dotée d’outils pour mener à bien cette mission, ces derniers semblent largement sous-utilisés.
C’est en 1995 que l’administration pénitentiaire adopte pour la première fois un outil de repérage des personnes illettrées et non francophones. Mais ce dispositif, qui prévoit un prérepérage par les personnels pénitentiaires avant que les enseignants n’affinent le diagnostic, peine à faire ses preuves, les agents pénitentiaires s’en emparant diversement. En 2009, alors que l’article 27 de la nouvelle loi pénitentiaire vient insister sur la nécessaire prise en charge de ces publics prioritaires, la pénitentiaire décide d’affecter spécifiquement à cette mission ses « assistants de formation », postes créés en 2001 pour épauler les enseignants. La manœuvre porte ses fruits : « À Corbas, l’assistante de formation est devenue indispensable pour le repérage de l’illettrisme et des besoins en FLE [français langue étrangère], constate un enseignant. Elle voit systématiquement tous les arrivants, et si elle repère quelqu’un qui ne parle pas français ou qui ne sait pas lire, elle nous le signale, avec son niveau d’étude, son niveau de français, etc. » Cependant, les assistants de formation ne peuvent assurer une présence constante au quartier arrivants. Congés, vacances, arrêts, postes non-pourvus : en leur absence, le pré-repérage incombe à nouveau aux surveillants. Surtout, leur déploiement est loin d’être homogène sur tout le territoire : en 2019, 60 établissements sur 180 en étaient dotés. Et si certaines directions interrégionales (DI), comme Marseille, comptaient en 2019 huit assistants de formation à temps plein, ils n’étaient que deux à Bordeaux… Résultat : dans les établissements disposant d’un assistant de formation, « le pré-repérage est réalisé sur 70 à 95 % des entrants », tandis que dans les autres, « le chiffre varie de 30 à 60 % », note le Bilan annuel de l’enseignement pénitentiaire 2018-2019 à propos de la DI de Toulouse. En 2016-2017, la Commission nationale de suivi de l’enseignement estimait que seulement 55 % des entrants avaient pu bénéficier d’un test de repérage(1).
Pour pallier ces lacunes, un nouvel outil de repérage est créé en 2019 : le CELF (test de compétences élémentaires en lecture du français). Il vise à donner aux surveillants un outil de pré-repérage uniformisé et simple d’utilisation, et surtout à en systématiser l’usage grâce à un couplage avec le logiciel Genesis(2). Déployé en 2020, ce nouvel outil peine cependant à convaincre, tant au sein de l’administration pénitentiaire que parmi des enseignants. « Normalement, la première partie du test doit être faite par la pénitentiaire, au quartier arrivants, mais ils sont un peu réticents », explique ainsi un responsable local d’enseignement (RLE). « Je suis censée pouvoir consulter le résultat du test, mais ils estiment que ce n’est pas leur travail, ils l’utilisent peu, et souvent il ne me revient pas », souffle une autre professeure. Et si dans certaines prisons où les personnels pénitentiaires n’assument pas ce rôle, les enseignants s’organisent tant bien que mal pour venir compléter (voire, parfois, réaliser) le pré-repérage, à la faveur de réunions collectives ou d’entretiens individuels réalisés au quartier arrivants (QA), ce n’est pas toujours le cas. « Je n’ai jamais vu ma responsable descendre au QA faire un entretien », relève un professeur intervenant en maison d’arrêt. En principe, le repérage ne se limite cependant pas aux arrivants : tout au long de la détention, surveillants, conseillers d’insertion et de probation, codétenus voire personnel médical peuvent adresser des signalements aux RLE. Des pratiques qui dépendent des sensibilités de chacun et des relations que le scolaire noue avec les autres acteurs de la détention. « Nous avons un très bon contact avec les surveillants, ils nous signalent les gens qui ne savent pas lire. Après, c’est comme partout : certains sont “pro-scolaire”, incitent les détenus à s’inscrire et remontent les infos, et d’autres pas du tout », explique un professeur en maison d’arrêt. Dans d’autres établissements, la situation est parfois plus tendue : « On a des relations compliquées avec la pénitentiaire, admet une professeure. La plupart des chefs de bâtiment s’en foutent un peu. Si je ne vais pas leur demander, avec le sourire, s’ils ont identifié des personnes, je n’ai pas de retours. C’est toujours à nous d’aller à la pêche aux personnes qui ont besoin de cours. »
Par Charline Becker
(1) Bilan annuel de l’enseignement pénitentiaire 2018-2019.
(2) Logiciel de traitement de l’ensemble des informations relatives aux personnes détenues.