Un surveillant de la maison d’arrêt de Saint-Étienne a été condamné le 1er octobre pour avoir frappé un détenu. Malgré la gravité des blessures constatées, l’agent s’est contenté, lors de l’audience qui s’est tenue le 20 septembre, de nier les faits, expliquant que le détenu s’était probablement blessé tout seul. Une défense qui n’a convaincu ni le parquet, ni la présidente du tribunal. Récit d’audience.
21 février 2021. Peu après son incarcération à la maison d’arrêt de La Talaudière à Saint-Étienne, Eddy C. interpelle un surveillant, Karim B. : « Dans ton équipe de rugby, tu es la cinquième roue du carrosse, ils ne font appel à toi que quand ils n’ont personne d’autre : ici, c’est pareil. » Quelques heures plus tard, en l’emmenant à la promenade, le surveillant entraîne Eddy C. dans un sas à l’abri des caméras. Ils y restent seuls pendant 13 secondes, avant que d’autres surveillants interviennent : sur ce court moment, les versions divergent. Toujours est-il qu’Eddy C. est ensuite placé au quartier disciplinaire (QD) à titre préventif. Lorsque le détenu voit un médecin, le lendemain, il est immédiatement envoyé à l’hôpital. Le bilan est lourd : hématomes, contusions, fracture du nez, fracture du cartilage thyroïdien, suspicion de fracture du larynx. Au total, 45 jours d’ITT sont prononcés – finalement ramenés à 10 par un second expert quelques jours plus tard.
Interrogé sur sa version des faits lorsqu’il comparaît devant le tribunal judiciaire de Saint-Étienne, Karim B. explique qu’Eddy C. s’est montré insultant et l’a attrapé par le col. Il affirme avoir alors fait une clé de bras pour le plaquer au sol et le neutraliser, niant avoir porté le moindre coup. Ce que dément fermement Eddy C. : « Il m’a palpé, puis m’a fait une clé autour du cou, m’a mis par terre, et m’a roué de coups, il me frappait la tête contre le sol en me disant “moi je ne fais pas de rugby, je fais de la boxe”. J’ai appelé, j’ai essayé de me protéger le visage. Les autres surveillants sont arrivés et m’ont monté au QD. Je saignais du nez et je ne pouvais presque plus parler », explique-t-il à la barre. Karim B. dit ignorer comment de telles blessures ont pu être occasionnées. Selon lui, le détenu se serait « peut-être fait cela tout seul ». Une théorie à laquelle souscrivent les deux surveillants intervenus à la suite de l’altercation, mais qui laisse la présidente de l’audience dubitative : « S’auto-fracturer la thyroïde, ce n’est pas banal. À la limite, le nez, si on est ambitieux, on peut se taper la tête contre le mur. Mais la thyroïde… » Elle enfonce le clou : « Ça paraît bizarre que Monsieur se soit serré le cou de manière suffisamment forte pour s’auto-fracturer le larynx. » Loin d’être ébranlé, Karim B. maintient l’avoir « juste plaqué au sol ».
« Avez-vous vu les photos prises après l’incident ? Vous avez vu la plaie derrière l’oreille ? Il a poussé le luxe à s’être fait une plaie derrière l’oreille ? » insiste la présidente. Lorsqu’elle demande pourquoi Eddy C. a été emmené dans un sas non-vidéosurveillé, Karim B. se défend. Bien qu’en poste dans cet établissement depuis 2017, il affirme ne pas connaître l’emplacement des caméras. Un argument dont le parquet « doute très sérieusement ». Le trajet jusqu’au quartier disciplinaire, que le détenu effectue intégralement la tête baissée, interpelle également le tribunal. « À aucun moment on ne voit son visage sur les caméras, vous trouvez-ça normal ? », demande la présidente, qui s’étonne : « Est-ce normal, pour des insultes, de partir de manière préventive au QD ? » Autant de questions auxquelles Karim B. oppose le silence.
Pour l’avocate d’Eddy C., au-delà des coups portés, cette affaire est révélatrice de l’omerta qui règne en détention. Les deux surveillants intervenus à l’issue de l’altercation n’ont, selon leurs déclarations, « rien remarqué sur le visage d’Eddy C. ». Tout comme le responsable du quartier disciplinaire, qui ne signale rien d’anormal à l’arrivée du détenu. Tous ont d’ailleurs, dans les comptes rendus d’incident rédigés le 21 février, déclaré qu’Eddy C. présentait des traces de coups sur le visage à son entrée en prison qui étaient encore visibles lors de l’incident, alors que les déclarations du médecin ayant examiné Eddy C. lors de sa garde à vue comme les photos prises à ce moment-là attestent du contraire. L’avocate pointe également le comportement de la directrice de l’établissement qui, lors de la commission de discipline tenue deux jours après les faits, mettra en garde Eddy C. sur les complications auxquelles il s’exposerait s’il portait plainte.
Pour le ministère public, la qualification des faits ne fait « aucun doute ». Selon lui, l’idée que le détenu aurait pu se blesser tout seul est « inconcevable ». Le 1er octobre, le tribunal a condamné Karim B. à six mois de prison avec sursis et trois mois d’interdiction d’exercer le métier de surveillant pénitentiaire.
par Charline Becker