Sacha avait 18 ans lorsqu’il s’est donné la mort à la maison d’arrêt de Saint-Brieuc, le 27 avril 2021. Placé au quartier disciplinaire, il avait alerté à plusieurs reprises sur son état de détresse psychologique et avait, le matin de sa mort, supplié la direction de fractionner sa peine.
Le 27 avril 2021, Sacha est retrouvé pendu au sein du quartier disciplinaire de la maison d’arrêt de Saint-Brieuc. Il avait dix-huit ans.
Souffrant d’addictions depuis son entrée au lycée, Sacha passe une partie de son adolescence en foyer d’accueil, et a eu plusieurs fois affaire à la justice pour des faits de petite délinquance. Incarcéré une première fois à l’établissement pénitentiaire pour mineurs d’Orvault en avril 2020, il retourne ensuite vivre chez ses parents. Le 26 décembre 2020, il vole deux des caisses du supermarché dans lequel il est employé et prend la fuite. Pendant un mois, il n’enverra que quelques messages à ses parents, qui ne savent pas où il se trouve. Sa cavale se termine le 22 janvier 2021, lorsqu’il prend le train sans titre de transport. Interpellé par les gendarmes de Saint-Brieuc, il est jugé en comparution immédiate et écroué le jour-même.
Les parents de Sacha, qui étaient jusque-là sans nouvelles de leur fils, reçoivent alors un appel les informant qu’il est incarcéré pour une durée de six mois à la maison d’arrêt de Saint-Brieuc. « À ce moment-là, moi, je souffle… se rappelle la mère de Sacha. Je pense : “Je peux dormir tranquille, désormais il est en sécurité. On ne risque plus de m’appeler demain pour me dire qu’il est mort.” »
Sacha reprend contact avec ses parents un mois plus tard. Lors de leurs échanges quotidiens, le jeune homme relate sa détention, au cours de laquelle il rencontre de nombreuses difficultés. Le 25 février, Sacha passe en commission disciplinaire à la suite d’une altercation avec un détenu, pour laquelle il est sanctionné de dix jours de placement au quartier disciplinaire (QD) avec sursis. Le 18 mars, en manque de tabac, il s’en prend à un autre détenu en cours de promenade. Le 25 mars, la commission de discipline révoque son sursis ; il écope de seize jours de cellule disciplinaire. Le 7 avril, une nouvelle bagarre avec son codétenu entraîne une nouvelle peine de quatre jours. Sacha est donc sanctionné de vingt jours de mitard au total, qui doivent être exécutés du 23 avril jusqu’au 11 mai.
Deux jours avant son placement au QD, le jeune homme est hospitalisé après avoir ingurgité une importante quantité de médicaments. Il réintègre la prison le jour-même et demande à voir un psychiatre, mais n’obtient un rendez-vous que plusieurs jours plus tard. Ce qui n’empêchera pas son placement au quartier disciplinaire.
Selon les procès-verbaux cités dans la plainte déposée par les parents, le dimanche 25 avril, et alors qu’il est placé à l’isolement depuis deux jours, Sacha sonne pour signaler qu’il s’apprête à faire “une bêtise”. Un major vient alors échanger avec lui et retire un lacet accroché à la grille de sa cellule et un “yoyo”, une corde confectionnée avec des draps permettant aux détenus de faire des échanges entre cellules. En sortant, l’agent alerte la direction et demande une surveillance renforcée, affirme-t-il aux enquêteurs.
De leur côté, les parents de Sacha, qui n’ont plus eu de nouvelles de lui depuis trois semaines, s’inquiètent. Le lundi 26 avril, ils contactent la maison d’arrêt qui les renvoie vers le service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip). Mais personne n’est en mesure de leur dire si Sacha est actuellement, ou non, au quartier disciplinaire. Lorsque sa mère précise depuis quand elle n’a plus eu de contact avec son fils, on lui répond que cela correspond à la date à laquelle Sacha n’a plus eu d’argent pour téléphoner. Sa mère lui en verse alors immédiatement afin qu’il puisse les appeler. Mais – qu’il n’ait pas su cet argent disponible ou qu’il n’ait pas téléphoné – les parents de Sacha n’entendront plus la voix de leur fils.
Le mardi 27 au matin, d’après les PV d’audition cités dans la plainte de la famille, deux majors sont alertés de la situation d’extrême mal-être dans laquelle se trouve Sacha. Ils le sortent de sa cellule et l’emmènent dans leur bureau pour discuter. Ils remarquent alors des traces rouges au niveau du cou de Sacha, qui laissent supposer une tentative de suicide. Ils conseillent au jeune homme d’écrire à la direction, afin de solliciter un fractionnement de sa sanction de mitard. Ce que Sacha fera. « Je suis au bord du gouffre, écrit-il. Je suis prêt à en finir avec la vie, mais d’un autre côté je sais que ce n’est pas la bonne solution. » Il dit avoir réfléchi à ses actes et les « regretter amèrement ». Il supplie de fractionner sa peine de mitard et précise qu’il ne pourra pas tenir un jour de plus. « J’en appelle à votre humanité et à votre empathie. »
Après une promenade d’une heure, Sacha est remis en cellule et l’unité sanitaire est alertée. En début d’après-midi, sa mère reçoit un appel du directeur de la maison d’arrêt. « J’ai une bien triste nouvelle à vous apprendre. Votre fils s’est donné la mort ce midi », lui annonce-t-il. Le corps de Sacha a été retrouvé sans vie dans sa cellule du quartier disciplinaire. Selon l’enquête qui suivra, Sacha a déchiré le liseré de sa couverture et l’a accroché à la grille de sa cellule avec un lacet.
Les parents de Sacha ne seront reçus par l’établissement pénitentiaire que le 18 mai 2021, soit trois semaines après le décès de leur fils. Durant cet entretien, le directeur aurait affirmé que la lettre de Sacha avait bien été lue et que sa demande avait été acceptée, précisant toutefois que la direction attendait la visite d’un médecin pour acter la décision. Mais cette dernière n’aura pas lieu à temps.
« Pourquoi, alors qu’il criait son mal-être et avait déjà fait deux tentatives de suicide, notre fils a-t-il été maintenu au quartier disciplinaire ? Pourquoi n’a-t-il pas immédiatement été vu par un médecin ? A-t-on vraiment dit à Sacha que sa demande était accordée, qu’il allait être sorti du QD ? Comment a-t-il pu se retrouver en possession d’un lacet ? N’aurait-il pas dû être particulièrement surveillé ? » Aujourd’hui, les parents de Sacha attendent des réponses. Après une première plainte classée sans suite, ils ont décidé, assistés de Me Etienne Noël, de déposer une plainte avec constitution de partie civile pour mise en danger d’autrui d’une part, et d’engager un recours devant le tribunal administratif pour faire reconnaître la responsabilité de l’État d’autre part.
par Pauline Gurset