Rentré en prison à 18 ans pour de la « délinquance de quartier », Bryan a 27 ans lorsqu’il écrit à l’Observatoire International des Prisons (OIP). Entre les deux, c’est un implacable engrenage qui s’est mis en place qu’il nous décrit dans sa lettre.
« Bonjour,
je vous écris pour témoigner de ma peine de prison qui n’en finit pas. Je suis rentré en prison à 18 ans pour des vols et violences, j’ai écopé de plusieurs peines – de 3 ans, 18 mois et 22 mois. J’ai donc pris 6 ans et demi. J’étais choqué, je ne savais plus comment faire pour sortir la tête de l’eau.
Six mois après mon incarcération, on a voulu m’envoyer au centre de détention de Saint-Mihiel. Ne connaissant que la ville de Strasbourg dehors, j’étais choqué, pour vous dire la vérité j’avais peur ! Me retrouver en prison seul, loin de chez moi, c’était l’enfer sur Terre qui m’attendait. J’ai bloqué tout l’étage à la maison d’arrêt de Strasbourg, j’ai menacé de me faire du mal ou de faire du mal à celui qui rentrerait dans la cellule, avec une lame de rasoir. Ce qui a fini par me rapprocher et m’amener au centre pénitencier de Nancy-Maxéville – ville que je ne connaissais même pas avant mon incarcération. Je me suis retrouvé là-bas entouré de jeunes avec tous des grosses peines, j’étais perdu.
Là, j’étais souvent frustré, je pleurais ma pauvre mère le soir en silence. Il fallait faire le délinquant pour tenir le coup, je ne vous mens pas, j’étais mort dans le film sinon. Entre rackets et tout ce que tu veux, en prison ce n’est vraiment pas une vie… J’ai commencé à découvrir mes premiers séjours au QD [quartier disciplinaire], souvent pour insulte, accrochage avec les gardiens, etc. Ce qui m’a valu mon premier jugement où j’ai pris, si je m’en rappelle, quatre ou six mois de prison ferme. J’ai été placé au QD direct pour un téléphone rentré au parloir. Sanction difficile à vivre quand vous avez 18 ans, que tout ce que vous voulez c’est un téléphone pour rester en contact avec vos proches… Prendre vingt jours de mitard à 18 ans, faut le supporter ! J’ai donc tenté de sortir du QD en brûlant le matelas, ce qui m’a valu de nouveau du QD. Ainsi de suite…
J’ai multiplié les incidents de ce genre parce que je ne supportais pas ma peine. Je n’avais même pas de baskets bien, j’avais rien à manger, je galérais toute ma peine avec rien, je devenais fou. Je ne payais pas mes dettes aux autres détenus. On m’envoyait dans plein de prison et je commençais à me faire des ennemis partout. J’ai eu droit à toutes les embrouilles du monde, livré à moi-même dans les prisons de l’Est. J’ai fini au mitard pour insulte, parce que j’en avais juste marre de cette vie-là et que le mitard et être seul au monde, c’était là ma place. J’ai accumulé plus de deux ans de mitard et fait dix-huit mois d’isolement. J’ai fait dix transferts disciplinaires. J’ai commencé à avoir un gros palmarès et à devenir une bête noire – pour les prisons d’ici en tout cas. Même si je reconnais que je me suis souvent mal comporté, j’ai subi trop d’injustices. Beaucoup trop même, si vous saviez…
On m’a envoyé à Montmédy à 19 ans. Jusqu’à mes 21 ans j’étais bloqué là-haut à 300 kilomètres de chez moi et dans le pire CD [centre de détention] de l’Est. Et j’ai commencé à prendre des peines là-bas. En un an, j’avais repris dix-huit mois. J’en avais marre, à chaque fois le tribunal suivait mes CRI [comptes-rendus d’incident]. Je réclamais mon transfert, je pleurais devant la directrice, j’avais des problèmes en détention parce que j’étais seul. Bref, c’est parti vraiment en couille (excusez-moi du terme) et j’ai craqué, j’ai causé une mutinerie à l’isolement, qui m’a coûté deux ans ferme. Je l’ai fait parce que j’étais à l’isolement depuis trois mois, que ma femme, avec mon premier enfant, commençait à craquer, à me faire des parloirs fantômes(1), et que la directrice allait renouveler l’isolement au lieu d’entendre mon mal-être et de me transférer. J’ai fini à Paris [au centre pénitentiaire de Réau], à 600 kilomètres de la maison. T’es à l’isolement seul au monde, ça fait déjà trois-quatre ans que t’es en prison : t’as juste envie de mourir. Surtout que dès mon arrivée, pendant quinze jours, on me laisse comme un chien sans aucune affaire, et avec les mêmes habits de la mutinerie que j’avais quinze jours avant. J’ai craqué, j’ai demandé sans arrêt à voir la directrice, à avoir des affaires, à appeler chez moi, on me le refusait. J’ai tout cassé dans la cellule au QI [quartier d’isolement] de Réau.
Et me voilà parti pour cinq mois de QD et de QI à Paris alors que jamais de ma vie, je n’avais été à Paris. Impossible d’avoir des parloirs, de voir ma famille. (…) J’ai pleuré, regretté ma vie, alors même que je faisais semblant de rigoler avec d’autres détenus à la fenêtre pour faire le mec qui tient le coup. Moi tout ce que je voulais, c’était ma famille, voir mes proches, me rapprocher de chez moi, voir mes parents que je voyais plus, et pour ça je voulais être au CD d’Oermingen. Ils m’ont refusé cinq demandes de transfert à cette époque. Je me suis acharné, j’ai crié ma colère, je ne savais pas comment faire autrement pour me faire entendre. Je n’ai rien eu le droit de dire sans sanction.
Là, alors que j’attendais de gagner une détention normale, pour des cellules cassées on m’a annoncé un transfert en centrale sécuritaire à Clairvaux ! Même l’infirmière était choquée que j’arrive là-bas à 21 ans sans avoir tué, braqué ou violé quelqu’un dans ma vie. Le directeur aussi, il me suppliait de rester calme parce que pour lui c’était une erreur de transfert et que je n’avais rien à faire là-bas. On m’a par la même occasion signalé qu’ici, j’allais attendre minimum un an pour lancer ma demande de transfert. Ce que j’ai immédiatement refusé : par tous les moyens possibles il fallait que je parte de là-bas au plus vite, je n’avais rien à faire entouré de perpétuités. Donc j’ai inventé des problèmes pour finir à l’isolement. Pendant six mois j’ai fait grève de la faim, j’ai fait des scandales comme pas possible pour que le directeur accélère mon transfert. J’ai fait de fausses tentatives de suicide, j’ai fait tout ce qu’il est possible de faire, j’ai envie de dire, pour partir de là-bas. Dieu merci, je n’ai pas fini radicalisé. J’étais bien plus fort que ça psychologiquement, parce que je vous le dis, je reviens vraiment de l’enfer, j’allais crever en cellule, j’ai brûlé quinze mitards différents à Clairvaux, j’ai ébouillanté un surveillant. Et oui, quand t’es désespéré, t’es prêt à niquer ta vie, mais là…
Grâce à ce directeur – que je remercie – j’ai réussi à revenir en centre de détention à Écrouves au bout de onze mois passés à Clairvaux. Mais à quel prix… Arrivé à Écrouves avec un dossier comme le mien, tous les yeux étaient braqués sur moi et j’ai eu droit à des fouilles sans arrêt et à des surveillants qui avaient du mépris à mon encontre. On m’a menacé, on m’a inventé des insultes, on ne m’a pas lâché du tout. Ma femme n’avait rien sur elle, ils la faisaient exprès sonner au parloir. Vous n’imaginez pas à quel point les surveillants d’Écrouves me détestaient. Ils ont même fait un tract syndical sur moi à cette époque (…). Ils disent que j’étais le chouchou, que j’avais le droit de tout faire en prison, alors que je n’avais rien du tout, je galérais pour m’en sortir. Je n’avais pas pris de rapport jusqu’à ce qu’avec les fouilles à répétition, ils commencent à trouver un, puis deux téléphones tous pourris, même pas avec Internet – j’appelais ma femme et mon fils avec. J’ai pris neuf mois ferme. Ce jour-là, Monsieur G., incarcéré à Écrouves tout comme moi, comparaissait pour cinq téléphones. Lui, pour cinq portables, a pris quatre mois ferme. Merci les injustices !
J’ai donc fini à Nancy-Maxéville… Me revoilà ici en 2015 alors qu’en 2011 ça s’était déjà mal passé. Dès l’arrivée, menace du surveillant : “Ici tu n’es pas à Écrouves, tu vas payer pour les collègues !” Croyez-moi, j’ai payé. J’ai fait 21 mois de quartier fermé sur 23, à Maxéville. J’ai subi lourdement mon passé carcéral. J’ai subi plusieurs dizaines de fouilles en un mois, parfois c’était deux fois par jour. Dès le premier jour, j’ai fait un certificat médical qui prouve qu’on m’a tapé pour rien sous prétexte que lors de ma fouille arrivant, j’avais quelque chose entre les fesses. Ils m’ont plié dans tous les sens alors que je vous jure devant le bon dieu que je n’avais rien. Bref, ils m’ont mis en position viol pour récupérer du vent et me mettre des coups, voilà ce qu’ils ont fait. J’ai tellement trouvé ça injuste que j’ai fait un certificat. À partir de là, ça s’est très mal passé. J’ai fait que du mitard pour rien, je me tenais vraiment calme, c’est eux qui n’arrêtaient pas de me tourner autour. Jusqu’à un matin où je me suis réveillé et j’ai décidé que j’allais les insulter tous les jours jusqu’à ce qu’ils me transfèrent. Je ne pouvais plus supporter ça parce que c’était vraiment abusé, j’avais vécu au quartier fermé comme à l’isolement, j’étais confiné en cellule pendant quinze jours, avec ouverture des portes par trois agents et promenade de 7h à 8h. Ils me retiraient même ma télé, comme ça, en claquant des doigts, sans aucune procédure.
Bref, je ne me plains pas de ça parce que ce n’est rien à côté de tous les autres QD que j’ai vécus, où j’ai fini en sang parce que je réclamais du pain, parce que j’avais faim. Je me nourrissais à Montmédy au QD grâce à des détenus qui m’envoyaient à manger par yoyo. Pendant une semaine, on ne te donne pas la douche, on te laisse sans tabac, sans rien dans la cellule. J’allais au parloir à Réau avec des menottes aux pieds et aux mains, voir ma copine avec des cocards et des bleus partout, la lèvre pétée. À l’isolement, ils m’ont tellement tapé que je me suis fait caca dessus en pleine intervention. Ils se sont moqués de moi pendant une semaine, jusqu’au jour où, trop blessé dans mon orgueil, j’ai fait caca à l’avance, je m’en suis mis partout, et j’ai insulté leur mère, comme ça tous les surveillants ont touché mon caca et j’ai pu à mon tour me foutre de leur gueule. J’ai cassé des cellules au QD, là-bas, parce qu’on me laissait comme un chien avec rien du tout, même pas de tabac, je ne voyais personne, je voulais juste sortir du mitard et d’isolement. Je devenais fou, c’est tout simple.
A Nancy, en 23 mois, j’ai eu droit à trois suspensions de parloir. Un jour avec ma conjointe ça n’allait pas, donc j’ai appuyé sur le bouton pour sortir du parloir, ce qui a été fait dans le calme, il n’y a pas eu plus que ça d’embrouille entre nous. Le week-end d’après, elle a voulu prendre rendez-vous, vous savez ce qu’ils lui ont dit ? “Madame, vous avez une suspension de six mois parce que le week-end dernier, quand vous êtes sortie du parloir, votre enfant pleurait et vous étiez rouge.” Mais la blague du siècle ! Tout ça parce que j’avais une étiquette collée à la peau à cause des embrouilles au parloir d’Écrouves. (…) Lorsqu’on m’a dit “je supprime vos permis de visite”, j’ai fait une crise de larmes, tellement ils jouent avec la seule chose que j’ai dans ma vie et qui me soutient. Ça s’est tellement dégradé que j’ai été transféré à Saint-Mihiel. J’y suis resté trois semaines parce que là-bas le chef de détention me connaissait et a fait pression pour que je dégage au plus vite. Encore une fois mon dossier a parlé pour moi. Soit on me fait la misère, soit on me tue de peines pour rien, soit on me dégage, en gros.
J’ai accumulé 18 peines en détention depuis que je suis incarcéré. ça fait donc une peine de 14 ans à effectuer alors que je suis rentré en prison à 18 ans pour de la délinquance de quartier. (…) Ça fait maintenant 104 mois pleins que j’y suis, depuis le 15 janvier 2010 exactement, je ne suis pas un violeur, par un braqueur, pas un tueur, et ça fait trois ans que j’ai compris que se battre et s’acharner contre l’administration pénitentiaire ne sert à rien. (…)
Et donc en toute sincérité, ça fait un an que je suis trop fier de moi, de mon comportement irréprochable, j’ai même fait une formation soudure, j’ai obtenu le diplôme ici, à Toul, j’ai fait cinq demandes de permission parce que ça fait 18 mois que je suis ici et que je trouve que j’ai grandi, évolué, et que j’ai envie de m’en sortir. Surtout que j’ai eu avec ma femme un troisième enfant. Donc voilà j’ai vraiment envie d’en sortir, j’ai fait deux formations, auxiliaire d’étage aussi, j’ai travaillé à l’atelier trois mois, je ne prends plus de rapport. Avant, je n’avais jamais pu vraiment travailler dans ma peine, ou payer des parties civiles, etc. J’ai toujours pris 500 CRI par année, parfois je passais au prétoire avec treize rapports, même l’avocat était choqué. Je suis extrêmement fatigué de la prison. J’ai 27 ans cette année, je n’ai jamais dormi avec une fille dans un lit, ni même avec ma femme. Je ne sais même pas ce que c’est que de rentrer dans une auto-école… (…)
Mais voilà, c’est fait, on m’a attrapé avec un téléphone et je repasse au tribunal en novembre pour la vingtième fois. Il y a eu une fouille il n’y a pas si longtemps, ils ont trouvé neuf portables sur dix cellules, et personne qui passe au tribunal… Moi, parce que je suis récidiviste de portable en prison, je reprends un an. Et hier, j’ai encore été condamné alors que ça faisait trois ans que je n’avais plus repris de peine de prison. J’ai eu droit à huit mois ferme pour dégradation d’une porte de promenade du quartier disciplinaire qui s’est pliée quand j’ai mis un coup de pied dedans : j’avais été placé en promenade de force pour que Monsieur le Directeur soit sûr de passer son prétoire sans entendre ma voix. J’ai mal supporté de rester quatre heures en promenade sans cigarettes alors que je ne demandais rien à personne. Alors que je m’en sortais, et que j’allais entrer en dessous des trente mois de prison à faire encore, je vais prendre encore une peine et c’est comme ça, ainsi de suite, c’est sans fin. Je suis désespéré, je ne m’en sortirai jamais.
J’ai demandé cinq permissions cette année, elles ont toutes été refusées, même s’ils disent qu’ils voient les efforts, ils s’en foutent. Alors que je n’ai pas tué, pas violé, pas braqué (…) Tandis qu’à côté, je vois des gens sortir alors qu’il leur reste plus de temps à purger que moi, ils vont en permission. (…)
On n’évolue pas dans cet univers, on empire. (…) Heureusement qu’il y a des portables et du cannabis et de la musique en prison, pour garder le sourire, sinon je me tuerais. »
Ce témoignage a été adressé à l’OIP en 2018 et est publié avec l’accord de son auteur. Celui-ci est depuis sorti de prison. Il est actuellement placé sous surveillance électronique. Compte tenu de sa longueur initiale, ce courrier n’a pas pu être reproduit intégralement et a subi un léger travail d’édition. Les plus grosses coupes sont signalées par (…).
Cette lettre a été publié dans le Dedans Dehors N°116 dédié aux Peines nosocomiales : Quand l’enfermement n’en finit pas