L’opacité des démarches et le manque d’information sur ses droits, le coût exorbitant des communications téléphoniques, l’attente interminable avant les parloirs, l’inquiétude permanente pour son proche malade dans un système où l’accès au soin est défaillant… Céline a découvert tout cela brutalement, lors de l’incarcération de son conjoint au printemps. Depuis, elle tente de garder le plus de liens possibles avec lui, et se prépare à affronter une longue et difficile épreuve.
« Mon conjoint a été incarcéré en mars dernier en maison d’arrêt pour une peine de quatre ans. Au-delà du choc de cette annonce, je souhaiterais témoigner du basculement que cela a représenté dans ma vie, et de ma prise de conscience.
Jamais jusque-là je n’avais connu de personne détenue et je reconnais ne m’être jamais beaucoup intéressée au milieu carcéral. Je n’avais donc absolument aucune information concernant les conditions de détention de mon conjoint mais également concernant ce qu’il me revenait de faire…
Son avocate m’a appelée le soir de son incarcération pour me donner de nombreux détails sur les procédures pénales qui ont conduit à la peine de quatre ans. Son ton était désinvolte, amical certes, mais pas du tout approprié aux annonces qu’elle me livrait. Elle m’a conseillé d’appeler la prison le lendemain, m’assurant que ce serait simple, qu’il me suffirait de choisir le poste adéquat au standard téléphonique.
Bien entendu, mon premier appel m’a déstabilisée car je n’ai pas su quel service pouvait répondre à mes questions. Je n’avais d’ailleurs pas vraiment de question, ne connaissant aucun de nos droits en la matière.
J’ai donc appelé le secrétariat de direction qui m’a redirigée vers le Spip [service pénitentiaire d’insertion et de probation]. La personne qui m’a répondu était dans une atmosphère très bruyante (comme si c’était la pause-café) ce qui m’a fortement mise mal à l’aise : d’une part parce que j’ai une légère surdité, d’autre part par le manque de confidentialité de cette conversation. Elle n’était pas responsable du dossier de mon conjoint. Je l’ai entendue demander à l’une de ses collègues : “Il est condamné, le mec, là ? Enfin… le monsieur ?” Je n’avais révélé l’incarcération de mon conjoint qu’à mes enfants, jusque-là. Je me sentais honteuse, j’avais peur du jugement des autres (ce qui est toujours le cas). Alors cette petite phrase a achevé de me rabaisser.
J’ai eu les coordonnées de la personne du Spip en charge du dossier. Comme je ne savais toujours pas quels étaient nos droits, je ne l’ai interrogée que sur mes possibilités de visite et sur les affaires que je pouvais lui porter. Elle m’a envoyé les informations par mail, tard dans la journée. Une simple fiche avec des informations erronées sur les démarches à suivre (je m’en suis rendue compte plus tard bien sûr) : les horaires des parloirs n’étaient pas à jour et il n’y avait pas de liste des affaires personnelles autorisées…
Mon conjoint étant condamné, il n’a pas eu de droit de visite avant dix jours. C’est le délai nécessaire à l’obtention d’un permis de visite. Mais dix jours sans voir son conjoint de 58 ans, malade (il a fait un AVC il y a un an et a d’importantes allergies alimentaires), c’est extrêmement long… Je suis venue déposer des affaires à l’accueil des familles pendant un horaire de parloir. J’ai été reçue par un bénévole de la Croix-Rouge qui propose gentiment des boissons et ne pose aucune question personnelle. La responsable de l’accueil des familles m’a donné un livret à destination des familles avec des informations pratiques (c’est là que j’ai constaté que le Spip m’avait mal renseignée). J’ai pour la première fois vu des familles de détenus : des vieillards, des mères avec des nourrissons et de jeunes enfants… Le regard fuyant, ou compatissant pour d’autres. Cette confrontation avec la réalité m’a bouleversée. Je suis rentrée en larmes chez moi, ne pouvant me confier à personne.
En attendant le premier parloir, nous avons pu communiquer par téléphone avec mon conjoint et commencer à échanger nos premières lettres. Le courrier est devenu notre principal moyen de communication. Le coût des appels téléphoniques est exorbitant et trois fois plus cher sur les mobiles que sur les fixes. Le premier mois, cela nous a coûté plus de 100€, et en moyenne cela coûte entre 60 et 80€, en restreignant la durée des appels au maximum. Il y a un délai d’attente pour que les détenus puissent obtenir l’autorisation d’appeler sur un numéro. Cela peut aller jusqu’à deux semaines.
Et puis, il y a eu l’inquiétude pour son état de santé : aucune prise en charge médicale. Il avait des soins de rééducation pour les suites de son AVC. Tout s’est arrêté net. Son état régresse de jour en jour… La société qui gère les repas n’a pas adapté ses menus pour compenser les restrictions liées à ses allergies. Il lui arrive de n’avoir qu’un bol de semoule ou deux yaourts quand les plats au menu ne lui sont pas autorisés. Là aussi le coût des « cantines » est exorbitant pour tenter de compenser la médiocrité des repas quotidiens. Les dépenses mensuelles – appels téléphoniques compris – s’élèvent à 200€ minimum. Ces dépenses représentent une source d’inquiétude supplémentaire pour moi car je me retrouve avec mon seul revenu. J’ai encore une enfant à charge, étudiante, et nous avions débuté des travaux dans une ferme isolée…
Notre premier parloir a été un moment de grande émotion : nous n’avions que très peu d’informations sur les conditions dans lesquelles il allait se dérouler et pouvoir nous enlacer après dix jours de séparation était un grand soulagement. De mon côté j’ai assisté à mon premier rituel de contrôles d’identité, d’attente dans différentes salles, des regards fuyants ou compatissants encore… C’est plus tard, dans un moment d’attente dans l’une des salles, que j’ai vu affichées des informations sur les UVF [unités de vie familiale]. Personne ne nous avait donné cette information. Elle ne figurait pas dans le livret d’accueil des familles. Nous en avons fait la demande très rapidement à partir du moment où nous avons obtenu les informations adéquates.
La maison d’arrêt de Rodez est à échelle humaine, malgré la surpopulation (plus de 170 détenus pour 90 places). Le personnel pénitentiaire est dans l’ensemble bienveillant. Il n’empêche que mon conjoint est resté les deux premiers mois dans une cellule destinée à une personne seule, avec un autre détenu qui dormait sur un matelas au sol… Un surveillant-chef lui a conseillé de faire une demande de transfert en centre de détention, argumentant que les conditions d’incarcération y seraient meilleures.
C’est en cherchant des informations sur les centres de détention de notre région que j’ai lu un premier article de l’OIP. En parcourant le site, j’ai découvert de nombreuses informations sur les droits des détenus qui ne nous ont jamais été données. J’ai réalisé qu’en France, le sujet de l’incarcération est tabou. Les familles de détenus cachent leur situation, n’osent se plaindre, ne connaissent pas leurs droits. Et les détenus n’ont eux non plus aucune information sur leurs droits.
Lorsque je parle à mes proches des conditions d’incarcération de mon conjoint, leur première réaction est d’estimer que puisqu’il est condamné il n’a pas « besoin » de « confort » : après tout « il n’est pas au Club Med’ non plus ! » Je suis choquée que pour le commun des mortels un détenu doive purger sa peine dans des conditions de vie minimales. C’est comme si la privation de liberté impliquait de fait la perte des droits fondamentaux. J’ai d’ailleurs lu plusieurs articles sur le droit du travail carcéral. C’est scandaleux et archaïque !
Mon quotidien est devenu lourd. Les journées et les semaines passent extrêmement lentement, dans l’attente de notre parloir hebdomadaire. Souvent je pleure dans ma voiture en sortant. Après avoir eu le sentiment d’oublier quelque chose… mon conjoint, celui qui partageait ma vie jusque-là et qui me manque terriblement. Je m’inquiète pour son devenir, pour le mien également car la lourdeur du quotidien est pesante et je sais que ce n’est que le début d’une longue épreuve pour nous deux. » n