Permettre aux personnes incarcérées de s'exprimer sur leurs conditions de détention et d'être consultées par l'administration sur les décisions qui les concernent ne revêt pas un caractère utile. C'est ce que vient de juger le Tribunal administratif de Basse-Terre en rejetant la requête de l'OIP de contraindre la direction du Centre pénitentiaire de Baie-Mahault à mettre en place un dispositif de concertation des détenus.
Le 13 janvier dernier, 208 détenus de Baie-Mahault adressaient à l’OIP une pétition pour dénoncer leurs conditions de détention : hygiène déplorable, cellules de 7m2 partagées à trois (ou de 13 m2 à six), manque d’activités, augmentation des violences… Fait plus rare, ils revendiquaient la mise en place de dispositifs d’expression et de consultation dans le cadre d’une démarche qui se voulait « pacifique ».
« Nous demandons que soit mis en place un forum de réflexion ou un cahier de doléance afin que des plaintes puissent être enregistrées et consultées, dans le but d’éviter les conflits entre surveillants et détenus ainsi que de trouver des solutions rapides à des problèmes devenus trop récurrents ».
Après avoir sollicité plusieurs fois la direction de l’établissement sans jamais recevoir de réponse, l’OIP a demandé au juge administratif d’ordonner la mise en place d’un dispositif d’expression et de consultation des personnes incarcérées dans cet établissement. Dans une ordonnance du 9 octobre 2014, le juge des référés du Tribunal administratif de Basse-Terre oppose un refus de principe à cette requête. Il reconnaît que « les violences à l’encontre du personnel du centre pénitentiaire de Baie-Mahault et entre détenus sont fréquentes, du fait, en particulier, des conditions de détention difficiles dues à la promiscuité et à l’insuffisance des activités proposées en détention » et que « la concertation [peut] contribuer à l’apaisement des tensions ». Mais il rejette l’ensemble des demandes de l’OIP en considérant que la libération de la parole des personnes détenues n’est pas « à elle-seule de nature à prévenir ou faire cesser des atteintes au droit à la vie ou des actes de torture ou des traitements inhumains ou dégradants ». Ce que l’Observatoire ne soutenait évidemment pas. L’OIP s’était contenté de rappeler qu’il s’agissait de garantir l’exercice effectif, d’un droit fondamental (la liberté d’expression) dont les personnes incarcérées se trouvent privées. Le tout sans risque pour la sécurité et le bon ordre des établissements pénitentiaires, les dispositifs d’expression collective étant au contraire un facteur d’apaisement des tensions.
La sociologue Antoinette Chauvenet, dont les travaux ont constitué la pierre angulaire de deux groupes de travail de la Direction de l’administration pénitentiaire sur les violences en prison, résume le phénomène en ces termes : c’est bien « parce que les détenus se voient refuser les moyens de se faire entendre pacifiquement qu’ils agissent par les moyens qui leur sont laissés, en retournant contre eux-mêmes, contre autrui ou contre l’organisation, les armes de cette dernière, la violence ou la peur, et créent des incidents ».
Pour autant, la France ne semble toujours pas prête à mettre en œuvre la règle pénitentiaire n°50 du Conseil de l’Europe, qui recommande aux Etats membres de faire en sorte que « les détenus [soient] autorisés à discuter de questions relatives à leurs conditions générales de détention et doivent être encouragés à communiquer avec les autorités pénitentiaires à ce sujet ».
Dans la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, le législateur s’est contenté d’instaurer une consultation des personnes détenues sur les activités qui leur sont proposées. Le décret d’application n’impose que deux consultations par an et laisse entière discrétion aux chefs d’établissement pour en définir les modalités. Dans ces conditions, le Tribunal administratif de Basse-Terre a pu considérer que cette disposition était respectée à Baie-Mahault puisque l’administration y distribue deux fois par an un questionnaire demandant aux détenus de cocher, sur une liste de 20 activités telles que « allumettes », « cuir » ou « lecture », les 10 auxquelles ils souhaiteraient participer si elles étaient mises en place.
Devant le caractère dérisoire de ce type de consultation, l’OIP-SF ne peut que regretter que le juge administratif ne franchisse pas un palier supplémentaire pour garantir aux personnes détenues le droit à la liberté d’expression. Un droit qui constitue pour la Cour européenne des droits de l’homme, « l’un des fondements essentiels [d’une société démocratique], l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun et vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture, sans lesquels il n’est pas de société démocratique » (Cour EDH, 7 déc. 1976, Handyside c./Royaume-Uni, n°5493/72, §-49).