Free cookie consent management tool by TermsFeed

Le bracelet anti-rapprochement, outil de sécurisation ?

Près de deux ans et demi après l’instauration du dispositif, la Direction de l’administration pénitentiaire (Dap) comptabilisait près d’un millier de bracelets anti-rapprochement (Bar) actifs . Mesure phare de la lutte contre les violences conjugales, le Bar peine cependant à convaincre de sa pertinence.

Prévu par la loi fin 2019[1] – après seulement trois mois d’expérimentation – et entré en application l’année suivante[2], le bracelet anti-rapprochement (Bar) vise, en complément d’une interdiction de rapprochement, à s’assurer qu’une distance minimale est respectée entre un auteur et une victime de violences, tous deux étant géolocalisés en temps réel par le biais de balises GPS (l’auteur étant équipé d’un bracelet électronique). Deux zones sont définies : une zone de préalerte et une zone d’alerte. « Lorsque la distance entre les deux balises GPS se situe dans la zone de préalerte, les opérateurs en charge de la surveillance du dispositif contactent le porteur du bracelet et lui demandent de s’éloigner », explique Franck Ollivon, géographe et coordinateur d’une étude commandée par la Direction de l’administration pénitentiaire (Dap) sur ce dispositif. Lorsque la personne surveillée entre dans la zone d’alerte, « un appel est passé à la personne protégée pour l’en informer et les forces de l’ordre peuvent être dépêchées sur place », poursuit Franck Ollivon.

Applicable au civil comme au pénal et prononçable à tous les stades de la procédure, le Bar est donc avant tout un outil de sécurisation des victimes, pas une modalité de prise en charge des auteurs. Mais pour le chercheur, « l’hypersurveillance promise par le Bar est limitée par le dispositif technique en lui-même ».  « Le personnel de surveillance a à gérer entre cinq et sept mille alarmes en temps réel pour une dizaine d’agents. Parmi elles, très peu sont signifiantes : la plupart correspondent à des pertes de signal pour des raisons techniques. Chaque alarme génère néanmoins un rapport d’incident, à traiter non seulement par le pôle de surveillance, mais aussi par tous les acteurs de la chaine pénale – procureur, service pénitentiaire d’insertion et de probation, juge de l’application des peines », explique le géographe. « Sur le plan technique, c’est une catastrophe. Pour dix bracelets en cours, on a tous les jours trente ou quarante rapports. Dans la masse des rapports, de vrais incidents, il y en a relativement peu », témoigne Ludovic Fossey, magistrat au tribunal Créteil, membre de l’Association nationale des juges de l’application des peines (Anjap).

Au-delà de ces dysfonctionnements, ce dispositif par lequel on interdit à deux personnes de se rapprocher, sans qu’elles sachent où elles se trouvent l’une par rapport à l’autre interroge : rien ne permet a priori de savoir si un rapprochement est intentionnel. « On a souvent des alertes parce que le porteur de bracelet, en prenant les transports en commun ou l’autoroute pour aller travailler par exemple, passe dans la zone d’alerte ou de préalerte autour de la victime », rapporte le magistrat. Dans les petites villes, le problème se pose aussi, comme en témoigne Cécile Delazzari, vice-présidente de l’Anjap : « Si l’auteur habite dans le centre-ville et que la victime va faire ses courses par exemple, l’auteur se retrouve dans le cercle d’alerte alors qu’il est chez lui ; on ne va pas lui demander de déménager, et on ne va pas non plus interdire à la victime d’aller faire son marché ». Les situations confinent parfois à l’absurde : « Un homme était à un barbecue chez des amis. Il était fixe, et la personne protégée se rapprochait. L’opérateur l’appelle et lui demande de s’éloigner, sans évidemment lui révéler la position de la victime. Mais du coup, l’homme ne savait pas dans quelle direction aller », rapporte ainsi Franck Ollivon.

Qu’elles correspondent ou non à des situations de danger avérées, « on est tellement noyés sous les alertes qu’on ne réussit pas à les regarder toutes en temps réel comme on le devrait. Ça tue l’efficacité », déplore Cécile Delazzari. Un effet contre-productif également constaté par Franck Ollivon au niveau des forces de l’ordre : « Il a pu arriver que les services de police, qui sont souvent dépêchés sur les lieux pour rien, tardent à intervenir. C’est l’enfant qui crie au loup : plus il y a d’alarmes, moins elles sont prises au sérieux . »

Du point de vue des victimes, le Bar soulève encore d’autres questions. « Pour elles aussi, ça peut être beaucoup beaucoup de contraintes. Dès que l’auteur entre dans la zone d’alerte, elles sont potentiellement prévenues. Elles ont en permanence un objet qui leur rappelle qu’elles ont été victimes et peuvent l’être à nouveau. C’est très anxiogène », relève Franck Ollivon.

Du côté de la Dap, on met en avant les résultats : « Depuis le lancement, on n’a constaté aucune récidive de la part de porteurs de Bar. Le dispositif fonctionne », souligne Laetitia Bercier, référente nationale violences intrafamiliales.

Par Laure Anelli

Cet article est paru dans la revue DEDANS DEHORS n°118 – avril 2023 : Violences faites aux femmes, la prison est-elle la solution ? 


[1] Loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille.

[2] Décret du 23 septembre 2020.