Le 15 mai dernier, le Conseil d’État reconnaissait l’indignité des conditions de détention au sein de la prison de Saint-Étienne-La Talaudière et enjoignait à l’administration d’adopter en urgence sept mesures destinées à les améliorer. Cette décision est le fruit d’un combat judiciaire aux multiples rebondissements, révélateur de la tendance de la justice à trop peu remettre en cause les affirmations de l’administration pénitentiaire.
Le centre pénitentiaire de Saint-Etienne est notoirement surpeuplé, vétuste et insalubre. Le 15 mai dernier, le Conseil d’État, saisi par l’Observatoire international des prisons (OIP) et l’Association des avocats pour la défense des droits des détenus (A3D), a reconnu que les conditions de détention y sont indignes et enjoint à l’administration de prendre en urgence sept mesures, en plus des deux déjà ordonnées par le juge saisi en première instance. Ces injonctions concluent un parcours judiciaire riche en rebondissements.
En novembre 2022, Andrée Taurinya, députée de la Loire, décidait de visiter l’établissement. Cette première visite mettait en lumière la gravité de la situation et l’urgence d’agir : l’eau s’infiltrait par le toit et les fenêtres des cellules, l’installation électrique vétuste présentait des risques sur le plan de la sécurité incendie, les cellules dans lesquelles sont entassés les détenus étaient dans un état de dégradation avancé et l’ensemble des espaces communs tels que les douches, les cours de promenade ou les espaces de circulation étaient insalubres et jonchés de déchets. L’élue s’émouvait en outre de l’état du quartier disciplinaire qui, selon elle, fait figure de lieu d’expiation, et constatait avec étonnement que dans certaines cellules du quartier femme, il était impossible, au vu de l’agencement des lieux, de s’asseoir normalement sur la cuvette des toilettes.
Mauvaise volonté du tribunal administratif
Forts de ces constats, l’Observatoire international des prisons et l’Association pour la défense des droits des détenus saisissaient, le 9 mars dernier, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon d’un référé-liberté. Sur près de soixante pages, les associations énuméraient l’ensemble des dysfonctionnements relevés au sein de la prison et concluaient leur requête par trente-deux demandes d’injonctions pour faire cesser ces atteintes aux droits. Dès le lendemain, le juge des référés avait cependant rejeté cette requête par une ordonnance de tri, au motif que « les requérants ne justifi[aient] pas d’une situation d’urgence impliquant qu’une mesure visant à sauvegarder les libertés fondamentales doive être prise dans un délai de quarante-huit heures ».
Cette décision, comme l’appréciation qui la fonde, était en contradiction flagrante avec la jurisprudence constante élaborée en matière de conditions indignes de détention : depuis plus de dix ans, saisi de conditions similaires à celles dénoncées à la prison de Saint-Etienne, le Conseil d’État a systématiquement retenu l’urgence et estimé, parfois en formation collégiale, qu’il était de son office d’ordonner à l’administration d’engager des mesures visant à améliorer la situation.
Un second référé-liberté, qui rappelait cette position constante de la jurisprudence administrative, a donc été rapidement déposé et examiné par le même magistrat. Si ce dernier n’a, cette fois-ci, pas trié la requête, il n’a cependant ordonné que deux mesures – de faible portée – sur les trente-deux sollicitées par l’OIP et l’A3D : la remise en fonctionnement du parafoudre et la distribution de produits permettant aux personnes détenues d’entretenir leur cellule.
La parole de l’administration prise pour argent comptant
Pour écarter les autres demandes, le juge s’est notamment appuyé sur les affirmations du ministère de la Justice, qu’il n’a, à aucun moment, cherché à vérifier. Dans son ordonnance, on pouvait ainsi lire qu’« il résulte de l’instruction, notamment des pièces produites par le ministre, (…) que le nettoyage des cellules du quartier disciplinaire est effectué à chaque sortie de fin de sanction, (…) que les sols, murs, plafonds, les fenêtres des cellules, les toilettes des cellules et la douche du même quartier sont dans un état satisfaisant de propreté et que les fenêtres des cellules dudit quartier fonctionnent de manière satisfaisante ». Le ministère de la Justice affirmait notamment que toutes les cellules disciplinaires avaient été repeintes et produisait, à l’appui de cette allégation, la photographie d’une des cellules.
Une seconde visite de la députée Andrée Taurinya, effectuée quelques jours après cette décision en compagnie de journalistes, a cependant permis de contredire cette affirmation. Elle a en effet pu constater que seules deux cellules sur les huit que compte le quartier disciplinaire avaient réellement été rénovées. Des améliorations de surface : dans l’une de ces cellules fraîchement repeintes, la fenêtre était toujours cassée.
Les contradictions entre les pièces fournies par le ministère de la Justice et la réalité ne s’arrêtaient pas là. Alors que le juge avait par exemple fait sienne la déclaration du ministère selon laquelle les cours de promenade et les abords du bâtiment A faisaient l’objet « d’un nettoyage quotidien », la visite réalisée à la suite de la décision a permis de constater que de nombreux déchets continuaient à joncher abondamment le sol. De même s’agissant des douches, que l’administration et le tribunal administratif de Lyon avaient affirmé être suffisamment propres, et dont la députée n’a pu que relever la grande saleté.
Face à l’ampleur de l’aveuglement du tribunal de première instance, les associations requérantes ont décidé de faire appel de son ordonnance. Un recours qui a porté ses fruits, sept mesures supplémentaires ayant été ordonnées par le Conseil d’État. Preuve de l’importance que revêt cette décision, la haute juridiction l’a accompagnée d’un communiqué de presse – chose qui n’était pas arrivée depuis 2017 en matière de contentieux pénitentiaire.
Parmi les mesures ordonnées figure notamment l’installation d’un cloisonnement des sanitaires présents dans les cellules de nature à garantir l’intimité des détenus. Le Conseil d’État a également enjoint à l’administration de faire procéder à la vérification des installations électriques par un bureau de contrôle technique ainsi que de solliciter une nouvelle visite de la commission de sécurité, afin de s’assurer de la conformité des installations avec les normes de sécurité incendie. Il a enfin réclamé le nettoyage des douches et d’une cour de promenade, le pompage des eaux de pluie sur les toits et l’aménagement d’abris et d’équipements de repos dans les cours de promenade.
La Haute juridiction a en revanche maintenu son interprétation restrictive du champ des injonctions que peut prononcer le juge des référés, qui ne permet pas de prendre des mesures structurelles pour mettre fin à l’indignité des conditions de détention et ce, alors même que des atteintes graves et manifestement illégales à des libertés fondamentales ont été constatées. C’est par exemple le cas des injonctions relatives à l’amélioration des conditions d’aération et de luminosité des cellules disciplinaires, qui ont été rejetées alors que le Conseil d’État constatait lui-même des insuffisances.
Cette affaire met en lumière la promptitude avec laquelle le juge administratif fait sienne les affirmations de l’administration pénitentiaire sans faire usage de ses pouvoirs d’instruction. Sans les visites répétées, documentées et photographiées de la députée Andrée Taurinya et sa présence à l’audience du Conseil d’État, il y a fort à parier que de telles mesures n’auraient pas pu être obtenues.
Un projet de rénovation très insuffisant
Ouvert en 1968, le centre pénitentiaire de Saint-Étienne est tristement connu pour l’indignité de ses conditions de détention. Outre l’insalubrité et la vétusté des bâtiments (rien que cet été, une partie du toit s’est envolée lors d’une tempête), l’établissement souffre d’une suroccupation importante, qui n’a cessé d’augmenter ces dernières années. Sur le plan matériel, la situation est à ce point dégradée que l’administration avait envisagé sa fermeture en 2017 en contrepartie de la construction d’un nouvel établissement, avant de renoncer face aux vives contestations des riverains. Un projet de rénovation a finalement vu le jour en 2018 pour un montant total de 30 millions d’euros – une enveloppe conséquente qui reste cependant largement insuffisante devant l’ampleur des travaux à effectuer, ainsi que l’a notamment souligné la CGLPL.
Par Charline Becker et Amélie Pasquiou
Cet article est paru dans la revue DEDANS DEHORS n°119 – août 2023 : Discipline en prison : la punition dans la punition