Surpopulation carcérale… Ces mots, je les entends depuis 1994, ma première incarcération. J’étais alors au début de neuf longues années de prison. C’était surtout les surveillants qui se plaignaient de notre surnombre. Peut-être comprenaient-ils mieux ce qui se passait déjà ? Personnellement, je ne le ressentais pas. […] Un lit superposé dans chaque cellule, c’était austère, mais je n’ai jamais connu de matelas au sol à cette période. […] Surtout, la prison gardait la possibilité d’adapter les codétenus (fumeurs-non fumeurs, jeunes-moins jeunes…) et elle avait encore suffisamment de capacités pour les séparer rapidement en cas de conflit. Je ne sais pas où à cette époque les surveillants pouvaient voir de la surpopulation. Peut-être était-ce une histoire de mètres carrés non respectés ? Mais aujourd’hui, il n’y a plus personne pour respecter les lois et les droits humains.
Le nombre d’incarcérations ne cessant d’augmenter, la prison [où j’étais à l’époque] a trouvé une solution : au lieu d’un lit superposé, deux lits [superposés] ont pris place dans le même espace, et là tout devient invivable. Il faut apprendre à marcher comme les Égyptiens des dessins, de travers. Encore plus de promiscuité, une intimité qui devient inexistante, des odeurs, des bruits qui ne font qu’agacer… Depuis le Covid, tout le monde a compris qu’il n’était pas simple de vivre 24h sur 24 même avec quelqu’un que l’on aime.
Privés du droit de pleurer au téléphone
[Dans la maison d’arrêt où je suis aujourd’hui], la situation est encore bien pire. C’est une prison d’un autre âge, dont l’architecture ne permettra jamais […] une humanité digne de notre France du xxie siècle. Elle a cette particularité d’avoir de très petites cellules pour deux détenus, où vous touchez les murs en écartant les bras, et beaucoup de cellules pour quatre voire six personnes, à peine plus grandes que celle que j’avais en 1994. […] En 2025, j’ai l’impression de me retrouver dans un de ces films des années 1980 critiquant les prisons de pays autoritaires.
Comment entretenir cette cellule où nous vivons H24 quand il n’y a même pas la place de tout ranger, pas la place de poser tous les pieds ? Où est l’intimité dans un monde où même les douches doivent se prendre en caleçon, où est l’hygiène dans ce cas ? […] L’intimité est aussi compliquée, voire impossible, pour ceux qui veulent se concentrer sur un simple courrier. Je ne parlerai pas des appels téléphoniques autorisés, avec toutes les oreilles à l’écoute. Ce manque d’intimité nous empêche de parler à fond avec notre avocat, nous prive du droit de pleurer avec notre famille.
La surpopulation, c’est aussi moins d’activités, car le nombre de places reste le même à l’école, au sport, au dessin, à la bibliothèque… et au travail. Donc des personnes encore plus enfermées ensemble, des tensions qui naissent et pas de solution… Toujours le même nombre de parloirs, dont un réservé au quartier femmes, et là encore des familles lésées. Pour le seul tour du samedi, il faut être sur l’application qui gère les réservations dès minuit une, à l’ouverture…
L’humain disparaît
La surpopulation, c’est encore un énorme manque d’encadrement pour ces personnes dont l’enfermement seul n’est pas une solution. Je vois le visage dépité des surveillants face à des personnes hors-sol… Manque de personnel côté santé : toujours le même nombre d’heures pour les médecins, psychologues, addictologues, infirmiers… Autrefois, on voyait les infirmiers une fois par mois, [une] discussion qui en quelques minutes pouvait permettre de jauger l’état psychologique d’une personne… Mais ça, c’était avant. Manque de personnel au niveau judiciaire aussi. Ici le Spip [service pénitentiaire d’insertion et de probation] est, comment dire, invisible. En ce qui me concerne, une visite en quatre ans, alors que la mission des conseillers d’insertion et de probation [implique] un suivi régulier… Et que dire des jugements qui vont en s’éternisant, des juges qui n’ont plus le temps ni les moyens pour audiencer ? En 1994, mes camarades d’infortune et moi-même étions une fois par trimestre devant le juge instructeur. En 2025, je vois des personnes abandonnées, attendant sans rien voir venir… […]
Manque de personnel aussi du côté des surveillants. Je crois que beaucoup d’entre eux vivent très mal la surpopulation, la plupart détestent ce qui se passe. Comment leur redonner foi quand on leur demande de n’être que des « matons » ? Du chef de détention au surveillant, ce qui leur est demandé c’est d’entasser, de s’enlever toute solution, d’avoir de plus en plus d’embrouilles à gérer, de rendre les fouilles hautement improbables, et tout cela entre burn-out, fatigue, démotivation… Si nous sommes les méchants, les surveillants deviennent aussi des méchants, inhumains, et cela non par volonté, mais par délégation de politiques et de juges qui n’assument que virtuellement.
La prison, c’est avant tout de l’humain, et je crois que cette notion disparaît. Déshumanisée, que va-t-elle devenir ? […] La surpopulation coûte cher aussi. Combien d’amendes auprès de la Cour européenne des droits de l’homme ? Combien de moyens qui disparaissent ? Ici, il faut tellement économiser que le kit hygiène individuel n’est plus remis à chaque détenu, mais à la cellule. Un kit pour deux, quatre, six détenus, voire plus. Il nous faut maintenant acheter nos sacs poubelle, acheter tout notre papier toilette… Jamais vu cela en seize ans d’incarcération. J’attends sous peu un loyer à payer…
Tout se termine en prison
Mais d’où vient-elle, cette surpopulation ? D’un manque de moyens ? Des prisons qui ne sortent pas de terre ? À quoi bon, […] le personnel ne suit pas, et ce à tous les niveaux. J’ai vu ma prison se surcharger à la simple nomination d’un ministre. Pourtant je l’avais vu se vider sous l’effet du Covid. Tant de solutions trouvées d’un seul coup… Tout est judiciarisé de nos jours et tout se termine en prison. De défaut de permis en multi-récidive, ce ne sont plus des arrivants que nous avons mais des revenants, toujours en attente d’un retour, aux très courtes peines, qui ne viennent pas apprendre mais se détruire, ou s’instruire au contraire pour devenir de meilleurs voyous.
Alors, quelles solutions ? Plus de prisons ? Compliqué voire infaisable, tant de gouvernements s’y sont pris les pieds. Et si simplement on appliquait la loi ? Application des peines […], présomption d’innocence en lieu et place des placements massifs en détention provisoire… Je regrette de voir la régression de notre système. Nous avons aujourd’hui atteint le niveau que nous critiquions, au nom des droits de l’homme, avec tant d’images-choc.
Droits de l’homme. Mais quel pays affirme avoir inventé les droits de l’homme ?
Ah oui, la France…
Je vais arrêter là mon texte. Difficile de se concentrer, à quatre dans 12m2.
Par J. F.
Ce texte est paru dans la revue de l’Observatoire international des prisons – DEDANS DEHORS n°126 – Surpopulation carcérale : les personnes détenues prennent la parole