Marion* est en placement à l’extérieur depuis près d’un an à la ferme Emmaüs de Baudonne, qui accueille et accompagne une douzaine de femmes. Alors que l’heure du départ approche, elle décrit les étapes contrastées de son cheminement personnel, la place qu’y prend le travail, et les défis d’une vie collective dans laquelle elle s’est beaucoup impliquée.
« Je ne suis pas arrivée ici par hasard : j’avais déjà demandé un transfert dans le seul centre de détention pour femmes qui offrait une formation d’horticulture, et je voulais poursuivre sur cette voie.
Quand je suis arrivée à la ferme, l’endroit m’a stupéfiée : se retrouver soudain au milieu des arbres plutôt que derrière des grillages… Mais je ne me suis jamais fait d’illusions : dès lors que je suis sous écrou, je suis toujours en prison. Si je ne peux pas me permettre d’aller boire un verre avec une copine à Bayonne et d’y rester jusqu’à trois heures du matin, je suis toujours en prison. Même si bien sûr le cadre est beaucoup plus souple.
Je suis passée par une phase atone, de sidération et de désenchantement, qui a duré un certain temps. J’avais même une envie tenace de retourner en prison ! Heureusement, la vie aux champs, le fait d’avoir des journées structurées par le travail, m’a permis de me remobiliser. J’ai trouvé un stage chez un producteur. Ma peine se termine dans quelques mois, j’ai une formation en botanique qui commence bientôt et je suis en train de finaliser ma recherche de logement, c’est très encourageant. Ces dernières semaines ont été surprenantes, beaucoup de choses se sont décantées… Je suis aujourd’hui bien plus optimiste que je n’ai pu l’être.
Nous nous partageons entre le maraîchage et différents ateliers qui nous permettent d’avoir une vue globale du métier, de la préparation des terres à la vente des légumes. Même si c’est compliqué pour certaines, le travail est un pilier, il tire le groupe vers le haut. La vie de la maison, quant à elle, s’organise comme une grosse colocation, avec ses tâches qui semblent parfois rébarbatives, mais qui sont aussi gratifiantes quand on a rendu l’endroit plus agréable pour tout le monde. Tout cela serait difficile sans un groupe de bénévoles, qui tient une part importante dans l’organisation de la ferme. Nous avons une réunion tous les mercredis pour faire le point sur ce qui va et ce qui ne va pas, présenter des suggestions pour améliorer notre fonctionnement, passer en revue les activités proposées. Et en parallèle, une assistante socio-professionnelle nous accompagne dans nos démarches pour préparer la sortie, que ce soit la recherche d’un logement, l’activation de certaines aides, etc.
Malgré tout, cet endroit reste un défi quotidien. Articuler tous nos bagages personnels avec une vie collective aussi soutenue ne va pas de soi. À mon arrivée, j’étais témoin de conflits permanents entre résidentes… Le collectif a changé depuis lors et nous sommes plutôt dans une bonne dynamique en ce moment. Mais c’est très énergivore. La bienveillance de l’équipe ne peut pas tout faire, le professionnalisme est essentiel, nous demandons d’ailleurs un code de conduite. Nous avons beaucoup à faire pour gérer tout cela plus efficacement et gagner en pragmatisme. Cette ferme est un organisme vivant, on tâtonne, on a l’impression d’être un peu comme un enfant qui apprend à marcher.
Nous avons toutes quelque chose à apporter pour que les choses avancent dans le bon sens. Grâce aux efforts des responsables auprès de la juge, nous avons obtenu une journée d’autonomie où, de 9h à 19h, nous pouvons aller et venir où nous voulons sans avoir à justifier quoi que ce soit. Normalement, les choses sont plus encadrées. C’est une avancée dont nous bénéficions aujourd’hui, mais qui est le fruit de démarches entreprises bien plus tôt. Cela fait du bien de penser qu’on peut être pionnière : on sème une graine, et quand ça pousse, on avance et on laisse les autres prendre la suite.
Qu’on aime la ferme ou pas, il faut se donner les moyens d’en partir. C’est indispensable. L’idéal serait de partir le cœur léger. Avec beaucoup d’enthousiasme, et peut-être aussi l’envie d’y revenir donner un coup de main plus tard… quoique je trouverais sain de pouvoir balayer tout cela et passer à autre chose. C’est une étape importante, de pouvoir garder la ferme derrière soi. »
*Le prénom a été modifié
Propos recueillis par Johann Bihr
Cet article est paru dans la revue DEDANS DEHORS n°120 – Octobre 2023 : Placement extérieur, une alternative à la peine