Très régulièrement sollicité par les personnes détenues et leurs proches pour des situations résultant de mesures disciplinaires, l’OIP publie, ce mardi 6 février, un rapport d’enquête sur l’usage et la réalité de la discipline en prison. Après un travail approfondi et documenté, le constat est édifiant : la discipline ne fonctionne qu’au prix d’atteintes graves et nombreuses à la dignité et aux droits fondamentaux des personnes détenues.
En 2022, près de la moitié des personnes incarcérées ont fait l’objet de comptes rendus d’incident (CRI) qui ont conduit au prononcé de 69 174 sanctions disciplinaires, dont plus de 100 000 jours de quartier disciplinaire (QD).
Dans un univers carcéral saturé de règles et d’interdits, ces chiffres reflètent la place omniprésente de la discipline dans le quotidien des personnes détenues, et ses conséquences importantes sur le régime de détention, l’accès aux activités, les liens avec l’extérieur, ou encore la durée de la peine.
En prison, la liste des fautes passibles de sanctions disciplinaires est potentiellement infinie, renvoyant à des catégories de comportements suffisamment floues pour favoriser l’arbitraire, derrière des mentions de « sauvegarde de l’ordre » ou de « fonctionnement normal » de l’établissement. Aux côtés de faits graves pouvant être signalés (violences, menaces…), des comportements plus anodins sont ainsi passibles d’une sanction, comme une tenue vestimentaire jugée non appropriée, un œilleton bouché, une radio dont on refuserait de baisser le volume.
Si les faits pouvant donner lieu à sanction doivent être actés formellement, la plupart du temps, ils le sont de façon indigente, et les écrits souvent de piètre qualité. Les enquêtes qui suivent les comptes rendus d’incident sont sommaires, et négligent fréquemment des éléments importants, comme l’audition des témoins ou la prise en compte de la personnalité. La commission de discipline, elle, est marquée par la position prédominante du chef d’établissement, à la fois juge et partie, le respect aléatoire de droits de la défense déjà fortement rognés, et des recours très peu mobilisés.
En 2022, la moitié des sanctions prononcées en commission de discipline conduisent au quartier disciplinaire. La durée d’enfermement peut y atteindre 30 jours, au mépris des Règles pénitentiaires européennes selon lesquelles « la mise à l’isolement ne peut être imposée à titre de sanction que dans des cas exceptionnels et pour une période définie et aussi courte que possible ». Au cœur de la réponse disciplinaire, le placement au quartier disciplinaire est aussi inhumain que contre-productif – pour ne pas dire destructeur : mobilier vissé au sol, fenêtres laissant à peine passer la lumière, isolement total, sortie quotidienne d’une heure dans une « cour de promenade » laissant à peine voir le ciel et dénuée de tout équipement, sans compter les nombreux cas de violences et de brimades par des surveillants pénitentiaires rapportés à l’OIP et aux diverses institutions de contrôle. Expression ultime du mal-être que ces conditions entraînent, les tentatives de suicide sont extrêmement fréquentes, le risque de mettre fin à ses jours étant quinze fois plus élevé au QD qu’en détention ordinaire*. Le 2 février encore, une personne détenue âgée de 20 ans était retrouvée pendue au quartier disciplinaire de la prison de Bordeaux-Gradignan.
Outre la sanction décidée en commission de discipline, une faute peut par ailleurs entraîner des conséquences en cascade sur le quotidien carcéral – par exemple en termes d’accès au travail ou de régime de détention –, mais également sur le parcours d’exécution de la peine – à travers notamment l’octroi des permissions de sortir, des aménagements de peine ou des réductions de peine.
En 2024, la palette des réponses qu’apporte l’administration pénitentiaire à un comportement qu’elle estime problématique revêt de nombreuses zones d’ombre, aux conséquences dommageables manifestes, où le contradictoire et le droit au recours peinent à être effectifs. Ce rapport s’efforce de les mettre en lumière et souligne l’urgence à agir pour fonder le quotidien des personnes détenues sur des impératifs non négociables de préservation de la dignité et de respect des droits fondamentaux.
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