L'inapplication du droit du travail en prison est-elle conforme à la Constitution ? Le Conseil constitutionnel s'est penché sur cette question mardi 4 juin 2013 dans le cadre de l'examen d'une question prioritaire de constitutionnalité formulée par deux personnes détenues. L'OIP est intervenu dans la procédure, au soutien des deux requérants. Dans les observations qu'il a adressées au Conseil, et qu'il rend aujourd'hui publiques, il démontre que la situation actuelle du travail en détention est contraire à de nombreux droits et principes constitutionnels, parmi lesquels les principes de dignité humaine et d'égalité devant la loi. De l'analyse du Conseil constitutionnel dépendra l'évolution des droits des détenus travailleurs.
Saisi par deux personnes détenues qui critiquaient devant le Conseil des Prud’hommes de Metz la faiblesse de la rémunération de leur travail, le Conseil Constitutionnel va devoir se prononcer sur la constitutionnalité de l’article 717-3 du CPP qui prévoit « les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l’objet d’un contrat de travail ». Alors que le législateur n’a doté le travailleur détenu d’aucun statut, l’absence de contrat de travail a de lourdes conséquences : elle entraîne l’inapplication des droits et garanties prévus par le droit du travail.
Ainsi qu’a pu le souligner le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, le travail en prison a « des relents du XIX ème siècle ». Les dispositions du Code du travail relatives à la période d’essai, au préavis, au droit d’expression collective des salariés, à la procédure de licenciement mais également aux différents droits sociaux afférant à l’exercice d’une activité professionnelle ne s’appliquent pas aux travailleurs privés de liberté. Ces derniers ne peuvent ainsi pas prétendre au salaire minimum, ne bénéficient pas du droit à la retraite complémentaire ou de prestations en espèce en cas de maladie ou d’accident du travail, et n’ont pas droit à l’assurance chômage. Ils sont également exclus des dispositifs de protection de la santé des travailleurs, n’ayant par exemple pas accès à la médecine du travail et n’étant pas soumis à une visite médicale d’embauche alors que l’inspection du travail dispose en prison de pouvoir beaucoup moins étendus qu’à l’extérieur.
Soumises à des rémunérations en moyenne quatre fois inférieures au salaire minimum, et exclues des mécanismes d’indemnité en cas d’arrêt de travail, les personnes détenues ne disposent pas de moyens convenables d’existence leur permettant de faire face aux diverses charges qui pèsent elles (besoins de première nécessité, charges de famille, frais de défense, indemnisation de victimes, préparation de la sortie, etc.). Elles sont en outre placées dans une position d’extrême vulnérabilité par rapport à l’administration pénitentiaire et aux entreprises concessionnaires, toute protestation relative aux conditions de travail pouvant être sanctionnée par la perte de l’emploi.
Comme l’expose l’OIP dans ses observations, la situation actuelle du travail en prison est ainsi manifestement contraire à de nombreux droits et principes constitutionnels parmi lesquels les principes de dignité humaine et d’égalité.
En outre, l’OIP rappelle que les conditions de travail imposés aux personnes détenues contreviennent également aux engagements pris par la France au titre de la ratification de la convention de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur le travail forcé. En application de ce texte, l’utilisation du travail pénitentiaire par des concessionnaires « n’est compatible avec la convention que dans le cadre d’une relation de travail libre » (OIT, Abolition du travail forcé, Étude d’ensemble, 1979 et 2007) Or, pour l’OIT, il ne peut y avoir de consentement libre que si le travail en prison offre des garanties similaires à celles des travailleurs libres en matière de rémunération, protection sociale, sécurité et santé au travail, ce qui lui « semble difficile, voire impossible en l’absence d’un contrat de travail et en-dehors du champ d’application du droit du travail ».
Lire les observations de l’OIP, ici.