Âgé de 45 ans, E.A. a subi, le 8 janvier 2009, une ablation du lobe du poumon, pour soigner un cancer diagnostiqué le 3 décembre 2008 alors que la maladie était suspectée depuis le 4 août. Il est actuellement traité en chimiothérapie, ce qui implique, toutes les trois semaines, une extraction à l'Unité hospitalière sécurisée interrégionale (UHSI) de Toulouse pour trois jours. Les deux experts désignés par le juge de l'application des peines ont considéré que son état médical n'était pas, à ce stade et sous réserve du bilan programmé en mai 2009, incompatible avec la détention. Mais leurs rapports font manifestement abstraction de la réalité carcérale. Le premier expert a subordonné son avis à la condition que E.A. puisse impérativement bénéficier d'une prise en charge immédiate en cas de complications. Le second, se fondant sur les modalités de traitement anticancéreux à domicile, a estimé « probablement possible » de subir une chimiothérapie en milieu carcéral. Le médecin de la prison a pourtant estimé, le 27 mars 2009, que « la pénitentaire de Lannemezan n'est pas adaptée à cet état clinique et aux risques de complications de ce type de traitement ». De fait, les effets secondaires du traitement se font de plus en plus durement ressentir et les incidents dans la prise en charge de l'intéressé se multiplient.
Une réunion s’est tenue le 18 février 2009 à la préfecture de Tarbes, avec pour but de « préciser les règles en matière d’extraction du détenu DPS E.A. qui bénéficie d’un traitement de chimiothérapie (…) dont les effets secondaires pourraient s’avérer dangereux pour l’intéressé si une réponse médicale n’était pas apportée dans les meilleurs délais. » Le médecin de la centrale en charge de E.A. a souligné que « le traitement va devenir particulièrement agressif dans les prochaines semaines et qu’il risque à ce moment là de subir des effets secondaires et d’avoir de réels problèmes de santé. Il est à craindre le choc sceptique difficile à prévoir (…) Il ne serait alors pas transportable ». Le commandant du groupement de gendarmerie a quant à lui pointé « la qualité de DPS de E.A., statut qui ne permet aucune souplesse au dispositif (…) Compte-tenu du moment de l’intervention (en journée ou pendant la nuit) et des impératifs du service, un délai situé entre 20 mn à 1 heure sera nécessaire pour mettre en place l’escorte. » Contactée par l’OIP, la gendarmerie a précisé que les délais étaient davantage compris entre 0h45 et 1h15, expliquant que le statut du détenu nécessitait de faire appel à des militaires des pelotons de surveillance et d’intervention.
Un premier dysfonctionnement s’est produit dans la nuit du 1er au 2 mars 2009, alors que E.A. était pris de colique néphrétique. A 1h24, les services des pompiers et la gendarmerie ont été contactés pour le prendre en charge. Une fois sur place, les pompiers ont pris des dispositions pour le transporter à l’hôpital de Lannemezan. La gendarmerie a pu constituer une escorte à 1h55 mais a interpellé le médecin régulateur du SAMU à l’hôpital de Tarbes quant à la nécessité de l’hospitalisation. E.A. a finalement été traité dans la cour de la centrale, dans le véhicule du SMUR dépêché sur les lieux, selon un protocole fixé par la préfecture, modifié depuis. Il a ensuite réintégré sa cellule dans la nuit, après avoir crû qu’il serait hospitalisé. Selon la préfecture, lors de cette première alerte, « rien n’a fonctionné, les consignes n’ayant pas été convenablement diffusées ».
Dans la nuit du 22 mars, E. A. a de nouveau été pris de violentes douleurs aux reins et a alerté les surveillants vers 2h40. Les pompiers, sollicités dans un premier temps, ont dû faire appel au SAMU à 3h37. Le SAMU a tenté d’adresser le patient à l’hôpital de Lannemezan mais s’est heurté au refus de la direction de la prison. Celle-ci a fait appel à la préfecture à 4h30, pour imposer l’intervention du SMUR sur place. Arrivé à 4h 40, ce dernier a pris en charge E.A. jusqu’à 6h en cellule. A 16h45, ce dernier a de nouveau eu une crise. Selon la direction, le médecin du SAMU a accepté « après moult négociations d’envoyer le SMUR qui a décidé d’extraire E.A. » à l’hôpital de Lannemezan. Celui-ci est revenu à la centrale à 21h30, après qu’un transfert à l’hôpital de Tarbes ait été envisagé. La direction de la prison a adressé le lendemain un courrier au préfet pour se plaindre du médecin du SAMU, qui « n’avait en aucun cas voulu entendre les consignes » et qui « avait tenu des propos incohérents et irrespectueux ». Elle a estimé « nécessaire qu’un personnel soignant puisse rendre visite à ce détenu le dimanche afin de vérifier son état de santé ». Les autorités de santé ont quant à elles indiqué que les consignes avaient été modifiées et que E.A. devait être pris en charge selon les modalités communes à l’ensemble des détenus.
Les conditions d’extraction et d’hospitalisation imposées à E.A. sont également très éprouvantes. Du 8 au 11 janvier, E.A. est resté menotté à son lit au sein du service de soins intensifs de l’hôpital Larrey, alors même qu’il venait de subir une lobectomie. La Sécurité publique de Toulouse a expliqué à l’OIP que les policiers avaient suivi les consignes concernant la garde des détenus dangereux. Vendredi 3 avril, E.A. a été escorté par pas moins de 18 personnels de police et pénitentiaire dont une partie cagoulés et armés pour bénéficier d’un électromyogramme après une séance de chimiothérapie. Il a conservé les entraves de pieds pendant l’examen. Le juge des référés du Tribunal administratif de Pau avait pourtant enjoint, le 30 mars, au ministre de la Justice de réexaminer la demande de radiation du répertoire DPS, considérant que « les raisons qui avaient justifiées son inscription (…) avaient disparu ou, à tout le moins, que l’urgence justifie une radiation de l’intéressé de ce répertoire ». Interrogé par l’OIP, l’État-Major de Sécurité pénitentiaire à déclaré que « pour l’instant, pour l’administration, E.A. est toujours DPS » et rétorqué, au sujet de l’examen sous entrave, que « le médecin n’a rien objecté ; il n’y a donc pas de problème ». Le juge de l’application des peines du TGI a indiqué à l’avocat de E.A. qu’il examinerait avant l’été les demandes d’aménagement présentée par celui-ci.
L’OIP rappelle que la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France pour traitement inhumain à raison du maintien en détention d’un prisonnier atteint d’un cancer et de l’utilisation de menottes et d’entraves pendant ses extractions vers l’hôpital (CEDH, Mouisel c. France, 14 novembre 2002). Dans cette affaire, qui concernait une personne également détenue à Lannemezan, la Cour a retenu « l’état de santé du requérant, le fait qu’il s’agit d’une hospitalisation, l’inconfort du déroulement d’une séance de chimiothérapie et la faiblesse physique de l’intéressé pour penser que le port des menottes était disproportionné au regard des nécessités de la sécurité ». Elle a jugé que le « maintien en détention [de l’intéressé] (…) a porté atteinte à sa dignité. Il a constitué une épreuve particulièrement pénible et causé une souffrance allant au-delà de celle que comportent inévitablement une peine d’emprisonnement et un traitement anticancéreux ».