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Le choc de la libération

Des professionnels qui travaillaient à la maison d’arrêt de la Santé proposent, depuis sa fermeture, en juillet 2014, une consultation gratuite extra-carcérale à l’hôpital Sainte-Anne. Ils apportent un soutien psychologique aux sortants de prison de la région Ile-de-France, dans cette difficile transition du dedans au dehors.

Myriam Zaks et Magali Boulet exercent à la consultation extra-carcérale de l’hôpital Ste-Anne (Paris), la première comme psychiatre-praticien hospitalier, la seconde comme assistante de service social.

A quels patients est destinée la consultation extra-carcérale ?

Myriam Zaks (MZ): Aux personnes sortant de prison ou à celles placées sous main de justice dans le cadre d’une mesure pénale sans incarcération. Il s’agit de répondre à un vide d’accès aux soins: il y a un mur pour accéder aux structures de droit commun pour les « publics Justice ». Pourtant, la sortie de prison est une période dans laquelle le besoin de soutien est accru. Il y a souvent un après-coup de la peine, un choc de la libération. Les détenus peuvent aussi faire appel à nous dans le cadre d’une demande d’aménagement de peine, quand ils ont une injonction ou obligation de soins à la sortie et doivent justifier d’un premier rendez-vous. Depuis la prison, c’est le parcours du combattant pour obtenir un rendez-vous dans un CMP (centre médico-psychologique), ce qui peut faire obstacle à l’aménagement de peine.

Comment obtenir un premier rendez-vous ?

Magali Boulet (MB) : Nous préférons que la personne fasse elle-même la démarche d’appeler, mais toute personne en lien avec le public concerné peut aussi nous contacter. La première fois, le patient est reçu par une infirmière pour un entretien d’accueil : sur son parcours de vie, de soins ou carcéral, les difficultés ressenties à la sortie, les symptômes qu’il présente… Puis nous décidons en équipe de la prise en charge à lui proposer, en fonction de ses besoins.

MZ : Nous nous voulons très réactifs : le premier rendez-vous est proposé dans les jours qui suivent la prise de contact et le second entretien intervient dans la foulée. Le choc de la libération a en effet une temporalité de la crise. Même si les patients tempèrent, car ils ont beaucoup attendu ce moment, ils vivent parfois sur le plan psychique une sorte de choc traumatique.

Comment se manifeste ce choc de la libération, moins connu que celui de l’incarcération ?

MZ : Beaucoup de patients disent que la lune de miel après la sortie dure seulement quelques jours. Ensuite, ils sont confrontés au choc que constitue le passage rapide d’une passivation contrainte en milieu carcéral à une situation dans laquelle ils doivent être très proactifs. Avec l’épée de Damoclès d’un retour en prison s’ils ne réalisent pas les démarches qui leur sont demandées. D’un seul coup, ils disposent à nouveau de leur corps, alors que l’incarcération symbolise la privation de leur liberté d’aller et venir, leur corps ne leur appartenait plus. Ils ont beaucoup de difficultés à se déplacer, s’orienter, prendre les transports… Sensoriellement, les sortants ont tout à coup la vue qui peut aller au loin, alors qu’elle n’allait pas au-delà de quelques mètres en prison. Certains vivent dans leur chambre comme en cellule : par exemple, ils peuvent y attendre pendant une heure que quelqu’un vienne leur ouvrir la porte. Tout cela génère des symptômes de l’angoisse, allant de phobies avec des conduites d’évitement, jusqu’à des troubles du comportement. Se pose aussi la question de leur place dans la société, dans le groupe. De retour en famille par exemple, certains observent que la place qui leur était réservée à table a été prise par quelqu’un d’autre, que les enfants sont emmenés à l’école par la voisine… La vie s’est réorganisée sans eux. D’autres ont l’impression que la mention « détenu » est écrite sur leur front. Du coup, dès qu’ils se présentent quelque part, ils annoncent qu’ils sortent de prison, afin de ne pas être accusé de l’avoir dissimulé. S’ajoute à cela une sorte de tabou de cette souffrance et parfois l’impossibilité psychique de pouvoir l’exprimer. Cette expérience est peu commune, difficile à partager. Certains se mettent à penser qu’ils préfèreraient retourner en prison, ce que leurs proches peuvent difficilement entendre.E

Ils le pensent vraiment ?

MZ : Oui, même si cela ne signifie pas qu’ils vont le faire. Ils disent que les choses étaient plus simples en prison, c’est une vision relative à un moment donné.

MB : Un patient m’a dit qu’il avait mesuré le sens de la peine à sa sortie. Quand il a dû faire toutes les démarches qui lui étaient demandées auprès de la sécurité sociale, de la préfecture, la mairie… Il y a un choc entre la grande perturbation qu’ils ressentent à la sortie et la mobilisation qui leur est demandée à ce moment-là. Ils ont tout à reconstruire.

MZ : Pour y arriver, ils doivent comprendre et mettre en avant qu’ils ont des droits, qu’ils sont légitimes à faire des demandes. Alors que pendant l’incarcération, on leur a montré l’inverse.

MB : On attend qu’ils redeviennent immédiatement responsables de leur vie, alors que la prison les a déresponsabilisés.

Cet impact de la détention et la difficulté à se réadapter est-elle spécifique aux longues peines ?

MB : Non, les infirmières ont reçu récemment une personne qui avait passé deux mois en prison et tenait les mêmes propos.

MZ: Oui, il y a des difficultés même après une courte peine. Ceux qui n’ont pas été détenus très longtemps sont néanmoins plus souvent restés en rébellion, si bien qu’ils parviennent davantage à se mobiliser à la sortie, ils sont moins résignés. Davantage de condamnés à de longues peines sortent avec des ordonnances de trois pages : pour tenir si longtemps, il leur a fallu s’assommer de médicaments. Ils ont mis en place certains mécanismes pour arriver à dormir, qui ont pu saboter leur vie psychique. Ils ont vécu une sorte d’écrasement et de mise en sommeil de leur vie intérieure devant une réalité qu’ils ne pouvaient plus assimiler. Ce n’est pas donné à tout le monde de conserver un sentiment de soi vivant après une expérience extrême comme l’incarcération. Nous devons travailler à « ré-ouvrir » cet espace intrapsychique en quelque sorte.

Quels types de suivis proposez-vous ?

MZ: Etant une équipe pluridisciplinaire, nous pouvons pro- poser des entretiens psychiatriques, psychothérapiques, infirmiers et sociaux. Les problématiques récurrentes, outre celles plus intimes au sujet, sont : retrouver sa place dans la société, la légitimité à avoir des droits, la violence de la société telle qu’ils la vivent, la complexité des démarches… Nous allons aussi mettre en place des groupes de parole, autour du choc de la libération et du rapport à l’autre (respect, identité, violence). Notre ergothérapeute propose enfin des séances de relaxation, qui permettent aux personnes de se réapproprier leur corps, la sensation de leur tonus musculaire, de la respiration, ce qui est essentiel et en plus permet souvent d’éviter des prescriptions médicamenteuses.

Vous ne travaillez pas du tout sur la prévention de la récidive ?

MZ : Non, c’est le rôle du service d’insertion et de probation. Nous ne nous plaçons pas du côté de la défense de la société, mais du bien-être du patient. Nous cherchons avec lui comment il peut faire pour mieux vivre sa vie, sortir d’un fonctionnement mortifère, etc.

Mais certains patients peuvent être très angoissés à l’idée de replonger et retourner en prison, non ?

MZ: Nous pouvons parler avec eux des moyens de se réapproprier son existence, de faire ses propres choix, de l’immédiateté et du long terme, de la manière dont une situation difficile entre en résonance avec son histoire de vie… On va prendre le temps de comprendre ensemble ce qui arrive. Ensuite, la personne est adulte et libre de ce qu’elle décide de faire. Néanmoins, je pense que si la personne nous en parle, c’est qu’elle ne se situe pas dans le passage à l’acte. Et si nous estimons qu’elle est dans une « pré-impulsivité » annonçant un passage à l’acte et que cela relève d’une pathologie psychiatrique, nous avons aussi la possibilité de l’hospitaliser.

Vous assurez également une prise en charge sociale, de quoi s’agit-il ?

MB : Il s’agit le plus souvent de rendre les droits effectifs, par la réactualisation de la situation de la personne, par exemple auprès de la sécurité sociale. Il y a une nécessité d’accompagnement, pour des patients livrés à eux-mêmes après une période de passivation carcérale.

Est-ce important que les professionnels de cette consultation connaissent le milieu carcéral ?

MB : Oui, nous avons tous travaillé en prison, nous en connaissons certaines réalités, son jargon et ses codes. Cela facilite le fait que les personnes viennent vers nous. Elles savent que nous comprenons ce qu’elles traversent.

MZ: Cela nous permet aussi de mesurer l’importance d’un accompagnement dans cette période « d’extinction de la détention» que représente l’après libération. Jusqu’au moment où la personne n’en ressent plus le besoin et peut basculer sur les structures de soins de « droit commun ». Nous apportons un étayage soutenant mais qui ne doit pas être trop long. La personne peut intérioriser une expérience de fiabilité et d’accueil, sur laquelle elle pourra s’appuyer pour se sentir légitime à être prise en charge comme tout le monde. Notre but n’est pas de créer une filière ségrégative pour anciens détenus, mais d’établir une passerelle vers le droit commun. Un aspect important de notre travail est la médiation avec les centres médico-psychologiques. Comme les hospitalisations en psychiatrie sont de plus en plus courtes et rares, les personnes en crise sont envoyées vers les CMP, qui sont saturés. Une personne qui arrive avec une obligation mais pas de demande de soins n’est dès lors pas prioritaire. Les anciens détenus se heurtent aussi aux représentations véhiculées sur eux et à la peur qu’elles génèrent.

Est-ce que la consultation extra-carcérale sera maintenue à la réouverture de la maison d’arrêt de la Santé ?

MZ: Nous l’espérons. Il faudra alors augmenter les moyens, car pour ouvrir cette consultation, nous avons bénéficié d’une partie des ressources humaines du service médico-psychologique de la Santé. Nous souhaitons aussi devenir un terrain de recherche, afin que cette expérience puisse en générer d’autres. Car ce vide de prise en charge à la sortie de prison se pose partout.

Recueilli par Sarah Dindo


Se défaire de ça. « Quand on est en prison, on est toujours sur ses gardes, et il faut plusieurs mois, voire même plusieurs années pour se défaire de ça. Moi, il m’a fallu à peu rès trois ans. Ce n’était pas évident du tout. De temps en temps, ma femme remet un peu en cause notre lien, elle dit: “sincèrement, tu penses que tu serais encore avec moi s’il ne s’était pas passé ça ? Je ne veux pas que tu restes avec moi parce que j’ai été te voir en prison”. ». Simon, six ans de prison, dans La vie après la peine, S. Portelli et M. Chanel, Grasset, 2014


« Comme une ligne de train en construction ». « La conditionnelle, pour cela, c’est une bonne chose : elle permet réellement de se remettre sur les rails. C’est comme une ligne de train en construction : on est guidé un certain moment, mais après on sort des rails et on se débrouille par soi-même. Alors pour quelqu’un qui a une sortie sèche, je pense que c’est un puits sans fond : c’est impossible. Les gens qui vivent le système administratif au quotidien savent qu’il faut faire ci et ça, comment obtenir tel et tel papier. Mais une personne coupée de la société, si elle n’a pas d’affectif, de famille, de contacts, elle est complètement perdue. C’est insurmontable. […] Quand je suis sorti, l’association nous a emmenés dans une petite supérette pour faire des courses: il fallait acheter des savons, des rasoirs, le minimum. Mais on est perdu dans un supermarché ! La prison, c’est un monde institutionnalisé, on est soumis à un rythme complètement régulier, et quand vous avez besoin de quelque chose, vous signez un papier et on vous l’apporte le lendemain. En prison, on est dans un vaisseau spatial. ». Michel, huit ans de prison, dans La vie après la peine, S. Portelli et M. Chanel, Grasset, 2014


«Je ne sais pas où aller». « Il m’arrive de rester devant des portes ouvertes. Je reste devant, je ne passe pas. Je m’arrête systématiquement. Je pense à des trucs. J’ai été habitué à attendre qu’on m’ouvre. Je m’arrête, c’est un réflexe… Il y en a d’autres. En dix-sept ans, tout a changé. Les cartes bancaires, le métro. Comment il faut acheter un ticket. Tout ce qui est appareillage. Ou alors l’orientation. Je vais dans un parking souterrain, je ne sais pas où aller. 36 entrées, 36 sorties ». Chriske, 22 ans de prison, dans La vie après la peine, S. Portelli et M. Chanel, Grasset, 2014

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