Inséré socialement et professionnellement, Olivier ne parvient pas à maîtriser ses « failles psychologiques », et commet à plusieurs reprises des délits qualifiés de « violences volontaires ». A l’âge de 55 ans, il passe 14 mois en détention. La présidente du tribunal juge elle-même cette peine « inadaptée », mais estime « n’avoir rien d’autre à proposer ». Une rencontre destructrice avec des institutions judiciaires et pénitentiaires qui ne l’ont pas aidé à changer.
Pourriez-vous évoquer votre vie avant votre rencontre avec la justice ?
J’étais cadre commercial et menais la vie, à la fois banale et assez heureuse, d’un homme rangé, ayant un bon niveau de rémunération, marié, entouré de nombreux amis. Mes parents, issus d’un milieu modeste, étaient professeurs. Je n’ai jamais manqué de rien, mais le quotidien de notre famille a été marqué par la maladie de ma mère qui a développé de graves troubles psychiatriques. Mon père est décédé et ma mère s’est suicidée peu de temps après dans des conditions dramatiques. J’avais tout juste 18 ans, ces décès m’ont brutalement projeté dans l’âge adulte. J’ai arrêté mes études et suis entré dans la banque, au guichet. J’ai été assez rapidement promu conseiller-clientèle, puis j’ai exercé des fonctions de directeur d’agence. J’ai passé plus de 20 ans dans la même entreprise, j’étais très investi dans mon travail, j’appréciais beaucoup la relation de conseil avec les clients.
Pensiez-vous un jour avoir affaire à la justice ?
Non, pas du tout. En ce qui me concerne, une faille psychologique personnelle a conduit à un comportement inapproprié. Mais on se pense plus ou moins infaillible. Je croyais que la prison, c’était pour les autres, pour des faits lourds, des braquages… Jamais je n’aurais imaginé que l’on pouvait y trouver des condamnés pour infraction routière, par exemple. Lycéen, j’avais assisté au procès d’un type qui, dans un état d’alcoolémie prononcée, avait assassiné sa femme. Sa présence devant la justice me semblait logique. J’ai pourtant été frappé par sa détresse, il semblait être un type bien, son employeur était venu témoigner en sa faveur. Cette expérience m’a fait prendre conscience que tout homme pouvait voir sa vie basculer.
Comment s’est passée votre rencontre avec l’institution judiciaire ?
J’ai été interpellé à plusieurs reprises, pour des faits de nature similaire. Chaque fois, ce fut très brutal. Ils font leur travail avec extraordinairement peu d’humanité, à la fois dans le ton et dans la façon dont ils s’adressent aux gens. J’ai eu le sentiment d’être rabaissé, piétiné. Les conditions de garde à vue sont très dures, inhumaines. Les cellules sentent l’urine, sont dégradées. On est agressé par le bruit des portes, des gars qui crient, ceux qui sont ivres. Vous vous retrouvez sur un muret de béton avec une couverture dans un état inimaginable. Toutes vos affaires vous sont retirées: lunettes, chaussures, ceinture, montre, etc. Vous n’avez plus de repère temporel, à part la distribution de nourriture – on ne peut pas parler de repas.
Ma dernière condamnation a eu lieu en comparution immédiate. Vous vous retrouvez au tribunal pour un truc complètement idiot, en état d’infériorité. Je n’avais pas pu récupérer mes lunettes, je ne pouvais pas voir mes interlocuteurs. Tout cela est avilissant. Les juges ont tendance à en rajouter dans cette incarnation de l’autorité chargée de prendre une décision qui conditionne votre vie future. Vous n’êtes plus rien, plus qu’un « truc » dont on doit se débarrasser très vite. Pris par l’enchaînement de dossiers, ils n’écoutent pas les avocats. Ils entendent mais n’écoutent pas. Lors de mon jugement, la présidente a reconnu que la prison n’était pas adaptée dans mon cas. « Mais je suis désolée, je n’ai pas d’autres solutions », a-t-elle conclu. Le procureur s’était chargé de me démolir.
Les articles parus dans la presse m’ont également fait un mal considérable. Tout mon entourage, y compris professionnel, en a pris connaissance, c’était extrêmement stigmatisant.
Mon employeur m’a obligé à démissionner. Les conséquences s’en sont aussi fait sentir en prison. Les détenus sont avides de journaux, pour savoir exactement ce qu’ont fait leurs codétenus. Si vous rentrez de la drogue, vous êtes considéré comme un héros, si vous avez été condamné pour un casse de voiture, ou un braquage, ce n’est pas un problème. Mais si c’est un problème d’ordre sexuel, c’est tout à fait autre chose. L’enfer commence.
Avant d’être condamné une peine de prison ferme, aviez-vous eu d’autres condamnations ?
Oui, notamment une peine d’un an d’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve. Suite à une réitération des faits, mon SME a été révoqué et j’ai été condamné à une autre peine de 12 mois d’emprisonnement. Je devais donc passer 24 mois en détention, ramenés à 18 avec le jeu des réductions de peine. J’ai passé les quatre derniers mois sous surveillance électronique.
La prison prend les gens, leur retire tout, ne les laisse plus rien gérer, puis un beau matin leur rend leur paquetage et les met dehors… On vous sort de la nuit pour vous remettre en plein jour.
Ces différentes peines vous ont-elles permis de travailler sur cette « faille psychologique » que vous évoquez ?
J’ai été dans l’obligation d’avoir un suivi psychologique, qui s’est avéré totalement insuffisant. J’ai été convoqué une première fois, puis le mois suivant… Mes interlocuteurs n’étaient jamais les mêmes – j’ai raconté trois fois la même histoire, dû donner à chaque fois des détails très personnels. Trois mois après, quasiment rien n’était mis en place. Les entretiens durent 5 à 10 minutes, ce n’est pas un vrai suivi. Un suivi c’est régulier, toutes les semaines. Objectivement, je n’ai pas trouvé de solution là-dedans.
Vous qui n’aviez pas envisagé la prison dans votre parcours, comment avez-vous vécu cette peine ?
Sur le moment, ça a été dur. Le premier progrès consiste à accepter sa peine, l’idée qu’elle « est là ». L’étape suivante est de travailler sur le « pourquoi », puis de chercher comment « ne pas revenir, qu’est-ce que je peux changer ». Il faut se livrer à une introspection personnelle dans des conditions qui n’y aident pas.
Au début, j’ai dû cohabiter, à trois en cellule, avec des personnes avec lesquelles je n’avais rien en commun, qui ne se lavaient pas, étaient fumeurs alors que j’ai des problèmes cardiaques. Vous plongez dans un contexte permanent de brutalité, d’agressivité, vous maintenant toujours sur le qui-vive. Vous faites connaissance avec le bruit, les gars qui s’interpellent d’une cellule à l’autre. Les pollutions sonores, olfactives, auditives se mêlent, vous n’arrivez plus à réfléchir, vous êtes fatigué moralement. Au cours de la détention, on vous balade d’un lieu à un autre, comme un objet, on vous parle aussi sur un ton sur lequel il y aurait beaucoup à dire. Vous perdez tout repère, vous êtes dépossédé de tout. Par la suite, ma situation s’est améliorée, j’ai eu une cellule individuelle et j’ai occupé un poste de bibliothécaire. On m’a fait confiance et j’ai pu organiser mon travail en toute liberté. Mais il a fallu être patient.
J’ai tenté de comprendre comment le personnel pénitentiaire fonctionnait, par quels circuits les demandes peuvent aboutir. Chaque week-end, j’écrivais une quinzaine de courriers, pour relancer chacune de mes demandes. Mais imaginez la personne qui n’a ni cette persistance, ni la capacité d’écrire. Je comprends ceux qui « pètent les plombs ». Vos courriers restent sans réponse, vos affaires sont détériorées, vous ne recevez pas vos cantines, les relevés de compte nominatif sont incompréhensibles, vous avez l’impression que l’on vous vole de l’argent. Vous devenez un numéro d’écrou, cassé et déshumanisé, et vous n’avez plus qu’à attendre. Ce n’est pas l’enfer au quotidien, mais une succession de petits détails qui poussent à bout, de frustrations interdisant toute sérénité. A un moment donné, on devient un chien enragé, c’est logique.
Comment la sortie est-elle préparée ?
Les Services pénitentiaires d’insertion et de probation se disent débordés, il est très compliqué d’obtenir un rendez-vous et les conseillers manquent souvent d’information, ignorent l’existence de certains textes. J’ai rencontré une personne de Pôle emploi, son ordinateur ne marchait pas. Elle devait m’envoyer une liste de structures susceptibles d’embaucher, j’ai dû lui adresser deux courriers de relance.
La prison prend les gens, leur retire tout, ne les laisse plus rien gérer, puis un beau matin leur rend leur paquetage et les met dehors… On vous sort de la nuit pour vous remettre en plein jour. Comment voulez-vous que les gens ne récidivent pas ? A la sortie, le détenu retrouve évidemment tous ses problèmes amplifiés : s’il avait du travail il n’en a plus, s’il avait une compagne il n’en a plus, s’il avait un logement il n’en a plus. Un champ de ruines. Vous n’avez même pas un sac pour mettre vos affaires – à moins que des proches ne vous en aient amené un au parloir. Vous sortez avec des sacs poubelles… Le symbole est fort ! Il faut tout reconstruire et aussi se reconstruire soi-même, se réadapter à la vie. En ce qui me concerne, j’avais un logement et une carte bancaire, l’essentiel pour redémarrer.
Les gens ont une vision de la prison les conduisant à ne plus regarder l’être humain, seulement l’étiquette. Vous savez que la société ne vous pardonnera jamais.
Comment s’est opérée votre réinsertion professionnelle ?
J’ai trouvé un travail dans une association de réinsertion, grâce à une information reçue d’un détenu. Cet emploi ne correspondait pas à mes compétences initiales, mais j’en avais besoin pour accéder à une libération conditionnelle. J’y suis resté un an, car au-delà, on considère que vous ne vous êtes pas pris en main. Je vais à présent débuter une formation pour intégrer ensuite une autre formation qui me permettra de remettre un pied dans l’entreprise et de retrouver un emploi stable. Mais il a fallu que je me batte pour la trouver.
Comment vous êtes-vous reconstruit socialement et psychologiquement ?
Ma structure familiale a été détruite. Les relations sont aujourd’hui meilleures avec mon épouse, mais nous sommes toujours séparés. J’ai également perdu des amis. Les gens ont une vision de la prison les conduisant à ne plus regarder l’être humain, seulement l’étiquette. Vous savez que la société ne vous pardonnera jamais. Vous êtes tellement fragilisé psychologiquement en sortant de prison que votre part d’ombre vous ronge encore plus. Vous êtes par moment tenté de tout laisser tomber, vous vous dites que de toute façon, vous n’y arriverez pas. C’est à ce moment-là que la part d’ombre reprend le dessus. J’ai la chance d’avoir rencontré en détention un aumônier protestant qui m’a beaucoup aidé. J’ai désormais rejoint une église protestante, c’est une communauté dans laquelle je me sens bien, qui m’apporte des repères. Tous savent que je sors de détention, mais ils ne portent pas un regard stigmatisant.
Il ne peut y avoir de changement que si la personne a envie de réfléchir à son parcours, à ce qui lui a manqué et ce qu’il faudrait pour que les choses changent. Peu de gens font ce chemin-là. Je suis en travail de reconstruction permanent. Sans un peu de culture, beaucoup d’acharnement et peut-être un peu de fierté personnelle, le chemin est impossible à refaire.
Propos recueillis par Anne Chereul