Dans une décision du 20 juin dernier, le tribunal administratif de Dijon a donné raison à une personne détenue qui considérait qu’elle avait été tacitement – et illégalement – déclassée (l’équivalent d’un licenciement en prison, où il n’existe pas de contrat de travail). Une affaire qui illustre la précarité du statut des travailleurs détenus. Et rappelle l’urgence, maintes fois répétée, de réformer le droit et l’organisation du travail en prison.
Incarcéré au centre de détention de Joux-la-Ville, le requérant travaillait aux ateliers depuis janvier 2017. Fin juin 2017, il avait, avec l’aide de son avocat, formulé une demande d’indemnisation auprès de l’administration, estimant que sa rémunération ne correspondait pas au minimum légal. Mais, à la suite de cette requête, il n’avait plus été appelé aux ateliers. Si la direction de l’établissement justifiait cette décision par la baisse des activités proposées par le concessionnaire, le détenu considérait de son côté qu’il avait été implicitement déclassé par mesure de rétorsion.
Dans sa décision, le juge administratif a confirmé qu’il s’agissait d’une « suspension d’emploi illégale », la direction de l’établissement n’ayant pas apporté au tribunal la preuve de la baisse d’activités invoquée en dépit du prononcé d’une mesure d’instruction de la juridiction lui demandant de le faire. Il a condamné l’État à verser au détenu l’équivalent de la rémunération moyenne qu’il touchait avant son déclassement, et ce jusqu’à ce qu’il soit réintégré. Pour son avocat, Me Alexandre Ciaudo, « il s’agit d’une décision importante au regard de l’utilisation par le juge administratif de ses pouvoirs d’instruction », celui-ci ne s’étant pas contenté des explications données par la direction de la prison.
Au-delà de cette décision, cette affaire vient rappeler la précarité du statut des travailleurs détenus, privés des garanties qui s’appliquent aux travailleurs de droit commun. Les critères d’accès à l’emploi sont flous et insuffisamment encadrés, laissant souvent place à l’arbitraire. La durée du travail n’est pas réglementée : la population pénale est soumise aux aléas des besoins des concessionnaires, les interruptions de travail ne donnant lieu à aucune rémunération. Surtout, le salaire minimum prévu par la loi pénitentiaire, déjà très faible (de 20 à 45 % du Smic horaire brut), est rarement respecté. Aux ateliers, le tarif est souvent fixé à la pièce, en toute illégalité.
Lors de l’annonce de son plan sur le sens et l’efficacité des peines, le président Emmanuel Macron avait posé la nécessité d’une révision du statut des travailleurs détenus. « Je souhaite que le droit du travail, en étant adapté évidemment à la réalité et aux contraintes de la prison, puisse s’appliquer aux détenus », avait-il alors déclaré, notant au passage qu’ « on ne peut pas demander à des détenus de respecter la société, de pouvoir se réinsérer en elle, si on nie la dignité et les droits de ces individus ». Nulle trace cependant de la refonte annoncée dans l’avant-projet de loi de réforme pour la justice qui doit être discuté au parlement à l’automne prochain. Le 23 juin dernier, plus de 300 universitaires signaient une tribune dans laquelle ils rappelaient que « cette absence de cadre contribue, en termes d’horaires, de rémunération, d’hygiène et de sécurité, à toute sorte d’abus, maintes fois déplorés » et demandaient au président de passer de la parole aux actes. Seront-ils entendus ?
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