L’association d’étudiants le Genepi fête cette année 40 ans d’intervention en détention.
L’occasion de revenir sur les difficultés d’agir en toute indépendance lorsqu’on est partenaire de l’administration pénitentiaire et en partie financé par elle.
Quelle était la mission originelle du GENEPI en matière d’activités en détention ?
Quand le GENEPI s’est créé, en 1976, il s’agissait de proposer à des étudiants des grandes écoles – HEC, polytechnique… – d’intervenir en détention pour dispenser des cours. L’idée était de sensibiliser les futurs dirigeants d’entreprises et employeurs à la question carcérale et à celle de la réinsertion des personnes détenues.
C’était véritablement le cœur de son action, son objet social. Mais cette mission a progressivement évolué au fil des ans. Ne serait-ce que parce qu’aujourd’hui, les étudiants des grandes écoles sont rares parmi les génépistes. Ce sont surtout des étudiants en droit, en psychologie, en sociologie, dans l’ensemble peu susceptibles de se retrouver en position d’employeur. On a aussi choisi d’abandonner le terrain de la réinsertion, telle qu’envisagée alors : selon nous, elle ne devrait pas se limiter à trouver un travail et à entretenir des relations sociales en-dehors. Il s’agit surtout de trouver les clés pour être maître de ce qu’on choisit de faire à la sortie.
Vous avez changé d’objet social en 2011 et visez désormais le « décloisonnement des institutions carcérales ». Qu’est-ce que ça signifie concrètement ?
On entend par là faire un pont entre le dedans et le dehors, faire entrer la société civile dans les murs et faire connaître la prison hors les murs. L’objectif est aussi de créer des espaces de vie et de réflexion collective entre les murs, avec le dehors. Nous avons aussi changé de nom : avant, GENEPI signifiait Groupement étudiant national d’enseignement aux personnes incarcérées. Maintenant, c’est juste le Genepi, sans acronyme. Ce changement marque notre volonté de nous détacher des missions proposées au début. Faire de l’enseignement, c’est cautionner le fait que les pouvoirs publics ne se donnent pas les moyens de mettre suffi samment de « vrais » enseignants en prison. Aujourd’hui, plutôt que l’enseignement et le soutien scolaire individuel, on privilégie les ateliers collectifs, en nous inspirant des principes de l’éducation populaire. On souhaite que les personnes détenues soient partie prenante de notre action. Ça passe d’abord par la concertation : au début de chaque séance et en amont du lancement des ateliers, on décide avec elles du programme des suivantes. On essaye aussi de faire en sorte que les ateliers soient coanimés par les personnes détenues, afin qu’elles en soient aussi actrices. On réfl échit par ailleurs à développer des ateliers mixtes, avec des détenus femmes et hommes. Ça existe déjà, mais vraiment à la marge.
Quelles relations entretenez-vous avec l’administration pénitentiaire (AP) ?
Le GENEPI est né de la volonté du président la République de l’époque, Valéry Giscard d’Estaing. La direction de l’AP et les directions inter-régionales comptaient parmi les premiers membres de droit de notre conseil d’administration. Il y avait une vraie dimension partenariale : à l’époque, nos locaux se situaient place Vendôme ! Le Genepi a progressivement voulu gagner en indépendance et porte aujourd’hui un discours militant. La DAP n’a pas vraiment compris ce changement de posture. Cela explique sans doute certaines crispations, à chaque fois que l’on cherche à modifier la convention nationale qui nous unis. Il y a toujours des concessions à faire, mais dans la dernière, nous avons obtenu de belles avancées. Nous avons réussi à instaurer qu’un temps de concertation soit organisé avant la mise en place des ateliers, indépendamment de ceux éventuellement organisés par l’AP. Celle-ci nous propose de le faire par questionnaires.
Nous préférons l’organisation de forums, durant lesquels chacune des associations viendrait présenter son projet et échanger avec les personnes détenues. Finalement, pour le dernier renouvellement de notre convention, les principaux points de blocages étaient surtout sémantiques : l’AP continue de nous identifier comme « association partenaire ». Nous souhaiterions remplacer ce terme pour gagner notre indépendance, au moins symboliquement. Mais nous comprenons aussi qu’elle souhaite le maintenir, dans la mesure où c’est notre principal financeur.
Est-ce réellement conciliable, de tenir un discours critique tout en intervenant en détention et en dépendant financièrement de l’AP ?
La question de notre présence en prison fait débat en interne. Les plus militants refusent même d’intervenir en détention.
Mais beaucoup disent aussi qu’on n’attaque jamais mieux que lorsqu’on connaît les choses de l’intérieur. D’ailleurs, certains considèrent que leur envie de militer prend sa source dans la confrontation à l’univers carcéral. A côté de ça, certains génépistes sont dans une approche assez « caritative » de l’action en détention et ne sont pas forcément toujours à l’aise avec le discours que l’on peut porter au niveau national.
On doit aussi le prendre en compte. Au-delà de ces dissensions internes, le fait que l’on dépende financièrement de l’AP nous contraint nécessairement : on doit souvent faire le grand écart entre le discours institutionnel et le discours militant. Je pense qu’on s’autocensure aussi parfois, de manière inconsciente. On ne peut pas tout se permettre : beaucoup de génépistes sont abolitionnistes, mais adopter officiellement cette position ne serait pas tenable. Tant qu’on en reste au niveau de critique auquel nous sommes actuellement, c’est conciliable. Mais on ne peut pas aller beaucoup plus loin sans remettre en cause notre intervention en détention.
On se trouve à la croisée des chemins. L’issue serait alors peut-être de créer deux associations, l’une, plus institutionnelle, centrée sur l’action en détention, et l’autre, davantage militante, qui n’interviendrait plus en détention et ne serait plus financée par l’administration.
Etes-vous soumis à une obligation de réserve ?
Nous avons au contraire un devoir de témoignage, formalisé dans la dernière convention. Certes, on travaille en bonne intelligence, on respecte les contraintes lorsque l’on est à l’intérieur, mais en-dehors, nous sommes libres de témoigner.
On encourage nos bénévoles à le faire, ça fait partie de leur formation initiale lorsqu’ils intègrent l’association. C’est ainsi en partie suite à notre saisine que le CGLPL a émis des recommandations en urgence sur la situation à la maison d’arrêt de Strasbourg en mai 2015. Après ça, nos interventions dans cet établissement ont été bloquées pendant une semaine. Mais on évite généralement de cibler une prison dans nos prises de parole et articles. Nos dossiers abordent des thématiques générales, des problèmes que l’on retrouve dans plusieurs établissements.
Vous dites « respecter les contraintes à l’intérieur ». De quel type de contraintes s’agit-il ?
De longs délais pour obtenir une visite et les laisser-passer.
Il y a pas mal d’établissements où ça bloque : on fait la demande en novembre, mais en février, ce n’est toujours pas en place. On est aussi contraints dans le choix des thématiques des ateliers, puisqu’ils sont soumis à la validation de l’AP. On contourne en proposant des thèmes très vastes, où l’on peut mettre à peu près tout ce qu’on veut. Mais le plus souvent, les restrictions se justifient pour des raisons de sécurité : activité qui nécessiterait des ciseaux ou que la séance se déroule dans la pénombre, etc.
Avez-vous constaté des changements depuis la mise en œuvre du plan de lutte anti-terroriste (PLAT) en prison ?
Enormément d’ateliers de revue de presse ont été suspendus juste après les attentats de janvier. A partir de novembre surtout, nos créneaux ont été provisoirement réquisitionnés pour les activités de lutte contre la radicalisation, généralement des groupes de parole. Comme l’AP manque de place, on nous a imposé de faire du tête-à- tête au parloir, du soutien scolaire, alors qu’on préfère le collectif. Pour notre part, nous avons refusé au niveau national la subvention de lutte contre la radicalisation.
C’était un refus de principe, parce qu’on estimait que le terme de « radicalisation » n’était pas suffisamment défini dans l’appel à projet et n’a, de toute façon, pas de sens. Cela pose problème dans la mesure où c’est précisément ce contre quoi elle entend lutter. Selon nous, le risque est grand, pour l’AP, de tomber dans une islamophobie qui ne dit pas son nom.
Par Laure Anelli