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« Au tribunal, je ne comprenais rien »

Nadir, 21 ans, a été condamné pour petit trafic de cannabis et incarcéré à Fleury-Mérogis en 2011. De l’incompréhension des mesures de sursis avec mise à l’épreuve, travail d’intérêt général, obligations de soins… à l’importance de croiser quelques mains tendues pour s’en sortir.

Pourriez-vous décrire ce qu’était votre vie avant d’avoir affaire à la justice ?
Dans l’ensemble, c’était plutôt bien je crois. Je suis né en Algérie, là-bas j’aimais l’école et j’avais de bonnes notes. Je suis arrivé en France en 2003, en classe de 5e. J’ai commencé à avoir des problèmes quand j’ai arrêté l’école en 2007. Quand la question de mon orientation s’est posée en 3e, j’avais encore des problèmes en français. Je voulais aller en filière générale et faire du dessin, mais la conseillère d’orientation m’a dit que je n’avais pas les capacités. Elle m’a proposé un BEP en électrotechnique, qui avait l’air bien comme elle me l’a vendu. En fait, c’était de l’électricité dans le bâtiment. Dès le premier stage, j’ai su que ce n’était pas pour moi. J’ai quand même obtenu mon BEP et puis j’ai fait une demande pour changer de spécialité, mais j’ai été refusé. Ils m’ont dit : soit tu continues en Bac pro, soit tu vas chercher ailleurs. J’ai préféré aller ailleurs, mais en fait me suis mis à traîner, fumer, puis trafiquer. Je ne pensais pas avoir les capacités pour faire de longues études.
Mais j’étais en colère qu’on m’ait envoyé dans une filière qui n’avait rien à voir avec ce que j’aimais. Les gens s’en fichent, ils veulent juste te caser.

Est-ce que vous avez rapidement eu affaire à la justice ?
Oui, la police venait souvent me contrôler, car je traînais dans le square où se passe le trafic. Je me suis fait arrêter trois fois début 2007 : les deux premières pour détention de stupéfiants, la troisième pour trafic. J’ai pris du sursis. Au bout d’un an, j’ai cherché du travail mais je ne trouvais rien. Mes parents m’ont dit de reprendre mes études pour qu’au moins je fasse quelque chose. En 2009, je suis retourné en classe de Première. Je continuais quand même à faire des conneries. Et en milieu d’année, j’ai été condamné à de la prison ferme, et mes sursis ont été révoqués : je suis resté sept mois en prison, puis deux mois sous bracelet électronique.

Comment se sont passées vos comparutions au tribunal ?
J’étais perdu, je ne savais même pas quoi dire. Ils parlaient tous vite, je ne comprenais rien. Tu te sens tout petit et tu te dis « pourvu que ça se finisse ».

Quand vous étiez condamné à du sursis, cela n’avait aucun impact ?
Je croyais que c’était rien du tout le sursis. Je demandais à mon avocat si j’allais en prison, il me répondait non. Et je ressortais du tribunal en me disant que ce n’était pas grave, sans avoir compris ce qu’était le sursis.

C’était du sursis simple, sans obligations ?
Si, j’avais 140 heures de soins [Ndlr : en fait, un travail d’intérêt général], mais je n’y suis pas allé.

Vous n’avez pas été envoyé au service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) ?
Le SPIP, c’est le truc à Tolbiac ? Si, j’y allais, mais le conseiller, il n’était pas là pour m’aider. Enfin, je le voyais comme ça.

Et comment votre famille a réagi à vos premières condamnations ?
Franchement, je ne leur disais pas, j’étais majeur. Ils ne savaient pas ce qui se passait.

Lors de votre dernière condamnation, vous êtes allé directement en prison ?
Oui, c’était en comparution immédiate. Le soir même, j’étais à Fleury. On m’avait parlé de la prison, mais une fois que tu te retrouves là-bas, ce n’est pas pareil. Au début, tu n’y crois pas. Les soirs d’après, quand t’arrives pas à dormir, tu réfléchis.
Je me suis dit que cela devait arriver, je n’étais pas innocent.
En tout, j’avais 16 mois à faire avec mes sursis révoqués. J’ai obtenu une conditionnelle au bout de sept mois, parce que le lycée a accepté de me reprendre et que le SPIP m’a bien aidé pour toutes les démarches avec le lycée.

Et pendant les sept mois de détention, qu’avez-vous fait ?
J’avais un éducateur, Elvis, spécialisé pour les jeunes incarcérés.
Il me faisait passer les devoirs à faire dans ma classe. Au bout de quelques mois, j’ai aussi pu aller à l’école de la prison, mais je n’avais que deux heures par semaine, et c’était juste du soutien en français pour ceux qui ne savaient pas lire.

Vous avez pu suivre vos cours du lycée tout du long ?
Oui, j’ai eu de la chance, parce qu’un prof m’a soutenu. A ma sortie de prison, il a convaincu le proviseur de me faire passer en Terminale, alors que je n’avais été présent que trois mois en Première. Il a dit que j’avais les capacités pour rattraper le temps perdu. Il n’a pas mentionné mon incarcération, il a fait croire que j’avais dû partir en Algérie pour le service militaire.
J’ai pu passer en Terminale pro dessin industriel, comme je voulais depuis le départ. J’ai eu mon bac et j’ai continué en BTS dans le même lycée. Je n’en serais pas là aujourd’hui s’il n’y avait pas eu ce prof, je n’aurais jamais continué mes études. A Fleury, il y avait d’autres jeunes que personne n’aidait, c’est à eux que la prison fait vraiment du mal.

Est-ce que tout cela serait arrivé si vous n’aviez pas arrêté le lycée ?
Je ne crois pas. Quand j’étais au lycée, je ne pensais pas à fumer. J’ai commencé à vraiment consommer quand je me suis retrouvé à rien faire. Et puis je n’avais pas assez d’argent pour en acheter, donc là commence le trafic. Je savais que ça n’allait pas durer, que je finirais par tomber.

Pour vous, c’était un risque à prendre ?
Franchement, oui. La vie sans argent me faisait plus peur que d’aller en prison. Ce n’était pas pour m’enrichir ou me donner une image, je voulais mettre l’argent de côté pour créer un truc, une marque de vêtements. L’environnement joue aussi, parce que j’étais dans un lycée où le shit circulait à flot. C’était beaucoup plus facile de vendre du shit que de trouver un travail.
A un moment, j’ai travaillé à la Défense pour un salaire de 900 euros par mois, non déclaré. J’aurais pu me faire la même somme en deux heures avec le deal. Mais je ne vendais pas énormément non plus. En tout, si on cumule mes trois condamnations, on arrive à 50 grammes.

Ce qui a mis un coup d’arrêt pour vous, c’est la prison ?
Oui. Peut-être l’âge et les études aussi. Quand j’ai repris le lycée avant d’être incarcéré, je commençais à vouloir arrêter.

Comment avez-vous vécu votre temps de prison ?
On ne peut pas se sentir bien là-bas. On n’était pas mal traités, les surveillants étaient corrects, ils faisaient leur travail et moi j’acceptais ma peine. C’est surtout la privation de liberté qui m’a posé problème. J’aime bien m’occuper et je ne supporte pas d’être dépendant. Pour n’importe quoi en prison, il faut que tu demandes. Et encore, au D3, on avait la douche en cellule, le bâtiment était neuf. Le manque d’activités était dur, je restais 22 heures sur 24 en cellule presque tous les jours.
J’avais deux heures de promenade, et le jeudi un atelier de deux heures. En cellule, on faisait un peu de sport chacun notre tour avec mon codétenu, on regardait la télé, parfois on jouait aux cartes. A force de dormir je me réveillais à n’importe quelle heure, et je n’avais toujours rien à faire. Quand tu te réveilles à 2 heures du matin, il y a le silence, tu as juste envie de sortir, besoin de faire un tour, mais tu ne peux pas. Ça rend fou. Il y avait aussi des problèmes pour les soins. Un jour, j’avais un mal de dents terrible, j’ai écrit pour aller voir le médecin, mais ça a pris plus d’un mois pour avoir une consultation.

Comment cela se passait avec vos codétenus en cellule ?
On était par binômes, j’ai eu des bons codétenus. Les plus âgés me racontaient qu’ils venaient pour la 4e ou la 5e fois.
A force de les entendre, je me disais que je n’avais pas envie d’être comme ça : ils n’ont pas de vie de famille, ils n’ont rien.
Les codétenus m’ont aussi expliqué le système du sursis, c’est là-bas que j’ai enfin compris.

A la sortie de prison, vous n’avez pas subi des pressions pour recommencer à dealer ?
Pas vraiment. Avant la prison, j’étais comme dans une chaîne, je ne pouvais pas me retirer comme ça. Mais une fois sorti de la chaîne, je n’étais pas obligé d’y retourner, tout avait continué sans moi pendant ma détention. Quand on est dans le trafic, on a l’impression de ne pas pouvoir faire autre chose, d’être un bon à rien. Aujourd’hui, j’ai encore des tentations, tous les jours quand je vais au square des gens me demandent du shit.
Il faut résister à l’envie de se faire de l’argent. Mais je sais que si je recommence, je n’aurais pas mon BTS.

Après votre libération, vous avez de nouveau été suivi par le SPIP ?
Oui, mais la CPIP pensait que je mentais, elle ne voulait pas croire que j’étais en BTS, même quand j’ai ramené un certificat de scolarité. Elle me convoquait deux fois par mois à 10 heures du matin. Avec le temps de transports, ce rendez-vous me faisait rater quatre heures de cours. Tout ça pour un entretien de 10 minutes, où elle prenait juste mes papiers. Je lui ai demandé de changer l’horaire, mais elle n’a rien voulu entendre. Un jour, je me suis énervé. Elle a fait comme si de rien n’était, à la fin elle m’a dit au revoir comme d’habitude. Et elle a fait quoi ? Elle a envoyé mon dossier à son supérieur, pour qu’il demande au juge la révocation de ma conditionnelle et que je retourne en prison. Heureusement, j’ai pu avoir un entretien avec le supérieur, qui s’est bien passé. Il m’a demandé si j’étais vraiment étudiant, je lui ai montré mes papiers, lui ai demandé ce que je pouvais faire de plus qu’apporter un certificat de scolarité et un bulletin de notes ! J’ai expliqué que cette CPIP me rendait fou et que dans leurs petits bureaux [Ndlr : boxes d’entretien], j’avais peur de péter les plombs. Le supérieur m’a cru et m’a dit qu’il n’enverrait pas mon dossier à la juge.

Et vous n’êtes plus retourné voir cette CPIP ?
Non, le supérieur a compris le problème et il ne voulait pas que je rate mes cours. Il a décidé de me passer en « suivi », avec un rendez-vous tous les quatre mois. Du coup, il doit me convoquer seulement une dernière fois, à la fin de ma mesure.

Il vous a fait confiance.
Oui. Et quand les gens te font confiance, tu n’as pas envie de les décevoir.

Est-ce que vous aviez d’autres obligations à respecter dans le cadre de cette mesure après la prison ?
J’avais une obligation de soins. Je devais aller voir un psychologue une fois par mois. Il me faisait des exposés sur les drogues : la cocaïne, le shit… Je lui disais que je n’avais pas besoin de savoir tout ça. Un psychologue, il ne peut pas t’aider. Je te jure que des fois, pour pouvoir aller à son rendez-vous, j’étais obligé de fumer avant ! Au bout d’un moment je lui ai dit que ça ne m’aidait pas du tout, qu’en sortant de son bureau, je me posais trop de questions. Il m’a proposé à partir de là de venir juste pour faire tamponner le papier comme quoi j’étais bien venu et de repartir. On fait comme ça maintenant.
Elvis mon éducateur n’essayait pas de me faire la morale : il nous emmenait en sorties, pour des petits voyages avec les autres jeunes du quartier, c’est de ça dont on avait besoin.
La CPIP et le psy, ils passaient leur temps à me rappeler que j’étais en tort. Je le sais très bien, mais je ne suis pas que ça, je ne suis pas mauvais.

Aujourd’hui, vous arrivez à vous en sortir grâce aux études ?
Oui, j’espère que je finirai par faire de bonnes études et trouver du travail. Le prof qui m’a dit que j’avais les capacités d’aller en BTS, il m’a aussi convaincu que j’étais capable de trouver un travail. Encore aujourd’hui, je sais que je peux aller le voir si j’ai un problème, parler avec lui de mon projet. Même s’il est en cours, il prend 15 minutes pour moi, il m’explique tout.

Le fait d’avoir un casier judiciaire vous pose-t-il des problèmes ?
Oui, parce que maintenant je suis connu de la police. Je me fais tout le temps contrôler et fouiller. La dernière fois, j’avais un petit pocheton d’herbe de deux grammes, j’ai refait une garde à vue et je vais encore avoir un jugement. Tout le monde fume dans mon quartier, dans ma classe, c’est banal. Mais moi, je peux avoir de graves problèmes pour ça. J’ai un peu l’impression que c’est sans fin. Après la prison, il y a eu le bracelet électronique, il fallait que je rentre chez moi à 19 heures tous les jours. Après il y a eu le suivi pour la conditionnelle, et maintenant pour le sursis. Ça me rappelle que ce n’est pas derrière moi, c’est difficile pour avancer. Parfois, j’ai l’impression d’avoir encore des problèmes alors que je ne les ai plus.

Par Marie Crétenot et Sarah Dindo