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Aumôneries en rangs dispersés sur la professionnalisation

L’objectif de Manuel Valls annoncé le 13 janvier de « parvenir à une réelle professionnalisation » des aumôniers ne répond pas à une demande de l’ensemble des cultes. Les chrétiens, très implantés en détention, craignent de perdre des postes et libertés historiquement acquises. Les religions intervenues plus récemment n’ont pas même les ressources minimales pour assurer leur présence. Et tous n’ont pas la même conception leur rôle auprès des détenus. Entretien avec les responsables des aumôneries catholique, protestante et israélite.

Quelle est votre position par rapport à la création d’un statut professionnalisant les aumôniers de prison ?

Vincent Leclair, aumônier national catholique : Nous avons plus de craintes que d’enthousiasme. Nous avons plus de 600 aumôniers et la grande majorité est bénévole. Ceux qui touchent une indemnité la reversent dans un pot commun, qui contribue à défrayer l’ensemble des aumôniers et à la prise en charge des frais généraux. Ce système nous garantit une autonomie à la fois financière et fonctionnelle par rapport aux services de l’État. Une professionnalisation entraînerait pour nous un risque de réduction du nombre d’aumôniers et, paradoxalement, une précarisation de leur situation en les rendant tributaires de contraintes budgétaires. On regarde avec une certaine inquiétude ce qui se passe dans les hôpitaux où des postes sont supprimés, regroupés : les aumôniers sont recrutés par l’établissement lui-même et, en cas de coupes budgétaires, c’est sur ces postes-là que l’on fait des économies.

Par ailleurs, pour des raisons liées à l’essence même de notre religion, l’aumônerie catholique est attachée au statut d’intervenant bénévole. La raison pour laquelle nous nous rendons en prison, c’est que nos textes fondateurs nous y envoient. Ils nous invitent à nous rendre disponibles pour ceux qui sont enfermés. Il y a donc une certaine « gratuité » dans cette démarche. Un autre risque important serait d’aboutir à un cloisonnement des religions, à un système à l’anglo-saxonne ou chacun s’occuperait de ses adeptes. Or, nous ne sommes pas là, à mon sens, pour nous adresser de manière catégorielle à ceux qui sont étiquetés catholiques. Nous venons en prison pour apporter un soutien spirituel à toute personne détenue qui le demande, dans le respect des convictions et des consciences. Le fait que des détenus puissent librement faire appel à plusieurs aumôniers, participer à plusieurs cultes, me semble très important et tout à fait dans la logique de la laïcité.

Brice Deymié, aumônier national protestant : Nos aumôniers sont tous des bénévoles, vacataires pour certains, mais ils reversent leurs indemnités pour faire fonctionner l’aumônerie et financer des actions sociales. Il y a une petite moitié de pasteurs et les autres sont des laïcs. Ils y consacrent au moins une journée par semaine, mais je n’encourage pas à ce qu’ils soient à plein temps. Être aumônier, c’est quelque chose qui use, c’est difficile. D’ailleurs, le plein temps ne se justifie pas. En revanche, le nombre se justifie car dans les grands établissements, il faut des équipes de 2, 3, 4 voire 5 personnes qui puissent tourner. Quand on mentionne dans la presse le nombre d’aumôniers, on omet de préciser qu’ils sont loin d’être à temps plein. Si on ne peut plus faire appel à des bénévoles, on aura des gens certainement efficaces dans la relation d’aide, mais l’aumônerie perdra un peu de son âme. Nos communautés ne s’intéresseront plus du tout à la prison et on coupera un pont entre l’intérieur et l’extérieur. On restera dans notre petit pré carré ecclésial avec un périmètre bien défini. La professionnalisation aurait certes des avantages, en particulier celui d’avoir des personnes dont on pourrait exiger une formation plus importante que celle qu’on peut demander aujourd’hui. Mais globalement, je pense qu’on aurait pas mal à y perdre.

Philippe Chelly, secrétaire général de l’aumônerie israélite : Je suis aumônier depuis trente ans et ces discussions existent depuis aussi loin que je me souvienne. Pour moi, la question n’est pas de savoir si on est vacataire ou salarié. Mon souci, c’est que l’administration pénitentiaire (AP) revalorise le rôle de l’aumônier pour susciter de nouvelles vocations. Car on a aujourd’hui un gros problème de recrutement et il y a besoin de motiver les gens. Les aumôniers sont insuffisamment rémunérés. Le principal problème réside dans la limitation à 1 000 par an du nombre de vacations horaires autorisées par l’AP. Je ne réclame pas de nouveaux budgets mais qu’on puisse déjà déplafonner le nombre de vacations par aumônier. Pour permettre plus de latitude sur le volume horaire et sur les rémunérations. Pour pouvoir lui remettre une somme normale, au moins alignée sur un SMIC. Aujourd’hui, un aumônier régional ne peut pas toucher plus de 800 euros d’indemnités par mois, alors qu’il doit parfois faire des trajets de 300 ou 400 km pour se rendre dans une prison où il n’y a pas de communauté juive importante. Nous avons actuellement 66 aumôniers, dont 45 sont des vacataires et le reste des bénévoles. Je préférerais en avoir vingt correctement payés et qui s’engageraient à 100 % de leur temps. Un bénévole, je ne peux pas lui dire : « Il y a une urgence, est-ce que tu pourrais aller à tel endroit ? » Alors que quelqu’un à qui on en donne les moyens, il peut se déplacer rapidement pour aller régler un problème sur un établissement, et il a des comptes à rendre.

Craignez-vous une perte d’autonomie ?

B. Deymié, aumônerie protestante : Oui, car forcément, nous nous rapprocherions d’un statut pénitentiaire, comme mes collègues européens. Les anglais font partie de l’AP, comme les aumôniers militaires sont partie intégrante de l’armée. J’aurais peur que la professionnalisation fasse de nous des cadres de l’AP plus que des aumôniers. On serait soumis à un contrôle de ce qu’on fait. Le salariat entraînerait plus d’exigences de la pénitentiaire, forcément. Ils diraient « il faut que vous nous soyez utiles ». Moi je préfère que l’aumônerie soit tirée vers l’institution Église plutôt que vers l’institution pénitentiaire. Et puis, vis-à-vis du détenu, on est celui qui est libre, hors du système, qui ne connaît pas son dossier pénal. Il ne faudrait pas que cela change.

P. Chelly, aumônerie israélite : Je ne crois pas l’argument selon lequel salarier les aumôniers les transformerait en agents de l’administration pénitentiaire. En trente ans, jamais un détenu ne m’a demandé comment j’étais payé. Ce qui l’intéresse, c’est le moment qu’on va passer ensemble, de me parler de lui. Et de toutes les façons, arrêtons cette hypocrisie, on est déjà payés par le ministère de la Justice. Le système de vacation permet juste à l’AP de s’en tirer un peu mieux financièrement.

V. Leclair, aumônerie catholique : Nous risquons un plus fort encadrement de nos activités. Ce n’est pas forcément lié au statut, mais le fait de définir un statut peut y contribuer. Avec la multiplication des religions en prison et le discours selon lequel les surveillants doivent faire attention au prosélytisme, le contrôle de la religion est de plus en plus présent. On le constate déjà : on a des remarques de plus en plus fréquentes, on doit se soumettre à des procédures pour la distribution de publications, on a plus de difficultés à circuler dans la détention. C’est arrivé qu’on dise à des aumôniers qu’ils ne pouvaient pas saluer les détenus qu’ils croisent dans le couloir parce que ce serait faire du prosélytisme. Ou qu’un aumônier se voit refuser l’accès au quartier disciplinaire, alors que c’est un droit de la personne détenue affirmé par la loi pénitentiaire.

Nous avons aussi de plus en plus de difficultés à organiser nos activités collectives. Les locaux sont partagés entre les cultes, mais aussi avec d’autres services de l’AP. Il y a des établissements où l’on nous refuse de venir le dimanche, alors que ce jour a une valeur importante dans la vie chrétienne. Dans les prisons modernes, les salles de réunion se situent souvent en dehors des bâtiments d’hébergement et l’administration manque de surveillants pour assurer les mouvements des détenus. Normalement, les personnes détenues sont autorisées à participer à plusieurs cultes mais en réalité on leur dit : « Vous êtes inscrit ici, vous n’avez pas le droit d’être inscrit là ». Alors que la religion, jusqu’à présent, pouvait être un espace de liberté assez grand.

Une solution commune aux différentes aumôneries est- elle envisageable ?

V. Leclair, aumônerie catholique : Pour l’instant, on ne voit pas bien vers où va l’administration pénitentiaire. On attend de voir ce que les déclarations d’intention vont donner dans les faits. Il faudra nécessairement trouver une solution et faire évoluer les choses, je n’y suis pas fermé. Mais cela soulève aussi nombre de questions. Si cela passe par des salaires, comment l’État va-t-il pouvoir, dans la situation budgétaire que l’on connaît, débloquer des fonds pour mettre en place un statut professionnalisant qui concernerait les sept aumône- ries reconnues ? Et de quelle manière ces postes vont-il être répartis entre les différentes religions, sans que les détenus ne soient amenés à déclarer leur religion ? Il y a énormément de problèmes préalables à résoudre.

P. Chelly, aumônerie israélite : Le vrai problème aujourd’hui, c’est la possibilité pour certaines aumôneries, je pense surtout aux musulmans, d’avoir de nouveaux budgets sans pour autant venir rogner sur ceux des autres. C’est au gouvernement de trouver de l’argent et de faire ce qu’il faut pour que la machine puisse continuer à tourner.

B. Deymié, aumônerie protestante : Ce qui est certain, c’est qu’il faut trouver une solution pour les aumôneries musulmanes, qui n’ont pas du tout la même histoire. Le statut actuel est trop incertain et il faut trouver les moyens pour recruter suffisamment d’aumôniers musulmans car, actuellement, ils sont sous représentés. Nous veillerons à ne pas créer de blocage sur ce plan.

On risque d’évoluer vers un statut professionnalisant et il faut s’y préparer, mais on a encore du temps. Je ne crois pas que le gouvernement prévoit de fonctionnariser les aumôniers. Cela passera probablement par un statut semi-professionnel, qui pourrait être à géométrie variable. Il pourrait y avoir des personnes salariées et d’autres avec un statut de vacataires. Les musulmans verraient leur enveloppe augmentée, avec une possibilité d’avoir des postes salariés, puisque leur revendication c’est d’avoir des cotisations et une sécurité sociales. Nous, on pourrait rester sur un statut de vacataires et imaginer un système de salariat dans certains établissements, si on le souhaite. Je pense par exemple aux maisons centrales qui demandent une présence différente de celle des maisons d’arrêt.

Au-delà du statut, quelles évolutions seraient souhaitables à vos yeux ?

V. Leclair, aumônerie catholique : Un respect total de la liberté religieuse et de conscience. A mon sens, le premier agent de lutte contre le prosélytisme devrait être la personne détenue elle-même. C’est à elle d’être suffisamment informée de son droit à recevoir ou refuser une publication ou à rencontrer quelqu’un. Ce devrait être de son ressort de se plaindre si elle est victime d’abus ou de prosélytisme, de la part d’aumôniers ou de codétenus. Mais l’administration pénitentiaire, comme sur des tas de sujets, choisit à la place des personnes. Je crois que ce serait une véritable évolution que d’arriver à considérer que la personne détenue est la première responsable de son parcours pénitentiaire. Pas seulement pour la religion.

P. Chelly, aumônerie israélite : Il y a actuellement des problèmes de fond plus importants que celui du statut. On peut comprendre que les surveillants pénitentiaires de Fleury-Mérogis, où il manque plus de 200 agents, n’aient pas la tête à s’occuper de l’aumônier qui arrive, alors qu’ils doivent s’occuper d’un mouvement de 200 ou 300 détenus. Il faudrait une véritable refonte de tout le système. Au niveau des conditions de détention aussi. On va rajouter une douche, des toilettes, c’est très bien. Mais en attendant, il y a des détenus qui sont enfermés pendant plus de 21 heures par jour en cellule, sans activités. C’est une question dont la société ne se préoccupe pas.

Recueillis par Cécile Marcel