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« C’est à l’intérieur des prisons qu’on crée des récidivistes »

Une terrible déception. Pour François Delezenne, sorti de prison depuis deux ans sous surveillance électronique, le projet de loi ne répond pas aux facteurs essentiels de récidive : des conditions de détentions indignes, un recours insuffisant aux peines alternatives et une intervention des services d’insertion et de probation focalisée sur le contrôle.

François Delezenne a été détenu huit mois à la maison d’arrêt d’Angers. Il a présenté la contribution d’un groupe de détenus lors des auditions publiques de la Conférence de consensus pour la prévention de la récidive.

Dans votre contribution à la conférence de consensus, vous aviez identifié « les conditions de détention indignes » parmi les facteurs de récidive. Ce volet ne figure pas dans le projet de loi. Qu’attendiez-vous comme changements prioritaires ?

Le changement prioritaire, c’est le respect de la dignité. A deux, voire trois détenus dans une cellule de 7 m2 sans eau chaude et sans intimité pour les commodités, on ne peut pas demander à des êtres humains de rester « normaux ». Comment ne pas devenir agressif quand il fait 40° dans les cellules, sans aération ? Quand on a droit à deux rouleaux de papier toilette par détenu et par mois? Quand on voit très peu le monde extérieur, qu’on n’a que quarante-cinq minutes de parloirs par mois, comme c’est souvent le cas ? Ces conditions désocialisent, elles créent de l’agressivité et de la haine, entre détenus et contre la société. La dette est payée, mais les gens ont été encore rabaissés.

C’est à l’intérieur qu’on commence à créer des récidivistes. Je reprends la formule que j’ai employée à la conférence de consensus : « vous entrez en prison avec un CAP de voleur à la tire et vous en ressortez avec un Master en criminologie ». J’ai été incarcéré pour abus de confiance dans une grande entreprise. Pendant mon incarcération, j’ai appris où et comment me procurer de la drogue, des faux billets, comment ouvrir une voiture sans les clés, comment faire un cambriolage… J’ai 57 ans, je n’avais jamais vu de drogue avant d’être incarcéré. En huit mois de détention, j’en ai vu l’équivalent de vingt kilos. Plus vous allez mettre des gens en prison pour des petites peines, plus ils vont apprendre ce genre de choses. La récidive commence aussi comme ça.

Et puis comment des jeunes qui ne font rien de la journée à part fumer leur « bedo » pourraient-ils progresser ? Il faut leur apprendre à lire, à écrire, leur faire passer le code de la route, etc. Sinon, ils préfèrent aller au bout de leur peine que de subir les contraintes d’un bracelet électronique ou d’une liberté conditionnelle. Il faut leur mettre le pied à l’étrier pour leur apprendre à se bouger, les motiver pour qu’ils aient envie de sortir. Certaines de ces mesures ne représentent aucun coût, et pourtant rien ne figure dans le projet de loi. La déception est terrible.

Votre groupe recommandait d’« éviter la prison pour les petits délits ». Le projet de loi prévoit d’abaisser les seuils en deçà desquels une courte peine peut être aménagée. Qu’en pensez-vous ?

Les courtes peines m’évoquent les sanctions que l’on inflige aux enfants : « Tu n’as pas une bonne note, tu n’auras pas de dessert ». Elles sont vides de sens. Pire, que ce soient pour six mois ou un an, la prison détruit. On apprend aux gens à se détester les uns les autres. Les conséquences collatérales peuvent être extrêmement graves – notamment sur la vie de famille, sur l’équilibre psychique – mais les juges n’en tiennent pas compte. J’ai rencontré des personnes qui restaient trois mois en détention : par exemple, un père de famille incarcéré pour des amendes impayées. Il est vrai que la prison ferme est souvent précédée de condamnations avec sursis. Que se passe-t-il alors à la sortie du tribunal ? Le condamné paye son avocat et on n’en parle plus. Grave erreur. Le Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) devrait intervenir dès ce moment-là. La récidive doit être contrée dès la sortie du tribunal, la première fois.

Vous demandiez « davantage de peines de substitution ». La « contrainte pénale » répond-elle à cette attente ? Quel contenu devrait-elle avoir pour être utile dans la prévention de la récidive ?

Je ne vois pas ce qu’apporte cette nouvelle peine, elle aussi basée sur la pression et la contrainte. Le suivi exercé par les SPIP ne devrait pas se résumer à trois minutes et demie tous les deux mois : vous montrez vos bulletins de salaires, tout va

« Il faut des SPIP “de terrain’’, pas des SPIP “de bureau’’. Qui vont voir les personnes sur leur lieu de vie, s’intéressent à ce qu’elles font, instaurent un climat de confiance. Que la personne se sente appuyée, pas seulement contrôlée. »

bien, au revoir et à la prochaine fois… Il faut plus de conseillers d’insertion et de probation, je suis attaché à ce système : mais il faut des SPIP « de terrain », pas des SPIP « de bureau ». Qui vont voir les personnes sur leur lieu de vie, s’intéressent à ce qu’elles font, instaurent un climat de confiance. Que la personne se sente appuyée, pas seulement contrôlée.

Votre groupe recommandait d’« organiser des travaux d’intérêt général (TIG) plus stricts, dans un délai plus court ». Que faudrait-il pour rendre le TIG plus pertinent ?

Il faudrait que le SPIP intervienne immédiatement après la condamnation pour expliquer comment se déroule un TIG et mettre en place le suivi. Les TIG se déroulent en majorité dans les collectivités locales, avec un balai pour ramasser les feuilles ou une pelle pour planter des arbres. Il n’y a là aucune dimension de réinsertion. Les jeunes pourraient par exemple être mis au service des pompiers, dans les camions. Il faut une activité structurante, tout de suite à la sortie du tribunal et non des mois après.

Le projet de loi fixe pour objectif d’éviter « une remise en liberté sans aucune forme de suivi judiciaire, qui est facteur de récidive », et crée à cette fin une procédure de « libération sous contrainte ». Cet objectif vous paraît-il répondre aux attentes de votre groupe ?

Tant que les JAP continueront, pour ne pas avoir d’emmerdes, à suivre systématiquement les réquisitions du Parquet disant « celui-là, il reste en prison », les changements de texte de ce type n’auront aucune incidence. Il faudrait former les JAP dans l’idée que le gars en prison doit forcément sortir, car le but c’est de le réinsérer, pas de le laisser moisir en prison. Il y a bien trop de sorties sèches aujourd’hui et la majorité de ceux-là récidivent.

Cela dépendra aussi de la nature du suivi. J’ai rencontré de nombreux jeunes à la maison d’arrêt, auxquels il manquait les bases : pas de cocon familial, père alcoolique, etc. Certains sont extrêmement fragiles, l’incarcération les détruit, et quand ils sortent, ils sont livrés à eux-mêmes, sans argent, sans famille, sans amis, sans logement. Vous n’avez même plus de sécurité sociale, de mutuelle, d’assurance voiture. Essayez d’assurer une voiture quand vous avez passé quelques années en prison : c’est impossible ! Essayez d’avoir votre sécurité sociale : il m’a fallu deux ans pour la récupérer ma carte Vitale ! Dans ces conditions, la récidive n’est pas illogique, elle est presque normale.

Comme il existe des « quartiers arrivants » pour atténuer le choc carcéral, on devrait créer des « quartiers sortants » pour déconnecter d’avec la prison, un mois avant la fin de peine. Avec de meilleures conditions matérielles et une visite hebdomadaire du SPIP pour mettre en place le RSA, la carte Vitale, aider à trouver un logement. Du concret. Puis avoir un suivi pendant un an ou deux par un SPIP « de terrain », pour aider la personne à se reconstruire. C’est ce qui manque dans le projet de loi: quand va-t-on arrêter de croire que les délinquants ne sont que des délinquants, et ne penser qu’en termes de contrôle ? Il faut écouter ceux qui connaissent la prison : à la conférence de consensus, nous avons été autorisés à parler dix minutes chacun, de façon hyper briefée, il ne fallait pas déborder du sujet de la récidive. Alors que certains étaient en prison depuis dix ans et avaient beaucoup de choses à dire.

Certains ont exprimé le sentiment « d’être suivis, traqués » après la sortie. Qu’est-ce qui crée ce sentiment et en quoi entrave-t-il la réinsertion ?

La police surveille de près certains sortants de prison, elle attend le faux-pas. Le gars est suivi, son téléphone est mis sur écoute, les flics stationnent devant chez lui, regardent s’il est là le matin. Ça crée un climat de suspicion dans l’entourage, le voisinage. Beaucoup sont devenus de véritables chiens enragés en prison. Ils sortent et la société continue à les montrer du doigt. Ils se disent « puisque je suis considéré comme ça, je vais continuer à voler le portefeuille de la grand-mère d’à côté, ou à faire mes petits trafics ».

« La récidive peut être un acte involontaire » lit-on dans votre contribution à la conférence de consensus. Que vouliez-vous dire, et quelles mesures d’accompagnement peuvent éviter un tel processus ?

La récidive est involontaire quand la personne se trouve dans le besoin, n’est plus consciente de ce qu’elle fait. Ce n’est pas comme un banquier qui a détourné deux millions d’euros. On n’est plus conscient quand on a faim ou quand on est un toxicomane en état de manque. Il y a une grande incohérence à l’égard de la drogue : un jeune peut être condamné à deux ans d’emprisonnement pour un petit trafic, et une fois incarcéré, on le laisse se droguer. A sa sortie, il va continuer, la récidive est inévitable. Les personnes violentes, qui boivent, qui se droguent, ont besoin de soins. Au lieu de quoi on les met en prison : on aggrave leur maladie, et ils recommencent. Donnons-nous les moyens de protéger la société plus intelligemment. Surtout que la prison coûte cher : pour surveiller un détenu jour et nuit, il faut trois gardiens. Pour suivre une vingtaine de détenus avec un bracelet électronique, il faut un seul CPIP. Quand j’ai participé à une émission de télévision avec Mme Taubira, nous avons parlé après l’émission. J’ai pensé que c’était gagné, car elle avait compris tout ça. Les détenus, ils y ont tous cru.

Recueilli par Barbara Liaras